Close : une dénonciation de la culture de la masculinité chez les jeunes adolescents

 

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Il y a 2 ans, le film belgo-néerlandais « Close » réalisé par Lukas Dhont sortait sur les grands écrans. En mai 2022, ce film remporte le grand prix du festival de Cannes.

 

Cette œuvre cinématographique illustre une amitié fusionnelle entre deux jeunes collégiens Léo et Rémi, incarnés par Eden Dambrine et Gustave de Waele, qui va être déchirée par un drame. 

 

A travers cette œuvre, nous sommes amenés à entrer dans l’imaginaire de deux enfants qui évoluent vers l’adolescence. Ils rentrent au collège, période durant laquelle l’identité personnelle se confond, voire s’efface avec le jugement  du regard de l’autre, qui fait la part entre ce qui est conforme ou non au moule sociétal. Ce film permet alors de rendre compte de la sérieuse problématique sociétale concernant l’injonction des normes de la masculinité chez les jeunes garçons. Les deux protagonistes sont alors séparés entre celui qui souhaite rester dans l’insouciance et l’innocence du jugement sociétal, tandis que le second souhaite adapter son identité personnelle à la masculinité valorisée par cette société patriarcale.   

Afin de nous faire rentrer dans cet univers de l’enfance qui conjugue imagination, liberté et création mais aussi la tendresse, la découverte de l’affection, le rapport à l’autre ; le film commence dans le noir avec cette première scène qui nous permet de rentrer dans l’imaginaire de ses deux garçons, à travers un jeux d’action et de rôle.  Ils incarnent alors deux personnages qui fuient des méchants dans un conflit armé, en se cachant dans un bunker. 

 

Cette scène nous immerge dans une atmosphère sombre, avec des plans sur le regard des deux enfants, investis dans leur rôle imaginaire. Cette première scène met en lumière la tendresse de leur relation amicale pour créer un contraste avec ce lieu obscure.  Par la suite, ils parviennent à s’échapper de cet endroit, et finissent par courir entre des champs remplis de fleurs. Ils courent librement, « cours ils sont derrières ! » s’exclame Léo comme tout enfant investi pleinement dans son jeu. Les plans de ces scènes sont linéaires, ils arrivent jusqu’à la maison de Rémi (pour y dormir), où ils retrouvent sa mère.

 

Ces deux jeunes adolescents sont proches, ils partagent visiblement tout leur temps ensemble, alternant entre les soirées chez l’un et l’autre. On comprend même que Léo passe de nombreuses heures chez son meilleur ami, et qu’il est très proche de la mère de Rémi , car elle le considère presque comme son fils de cœur, témoignant de la proximité amicale qui lie Leo et Rémi. 

 

Mais comme tout enfant, vers 11/12 ans, ils entrent dans ce lieu qui nous bouleverse, qui nous confronte à l’autre, à son regard, sa différence et son jugement, bien souvent au détriment de sa propre personnalité : Le collège. Non seulement, ils rentrent au collège, mais ils débutent cette période si transformatrice pour chacun, qu’est l’adolescence. C’est une phase de la vie durant laquelle nous nous construisons.

 

Mais comment s’inventer, et finalement s’incarner soi même dans son propre rôle qui fait parti de ce jeu qu’est la vie, lorsque notre société ne nous permet pas de s’exprimer et de s’assumer complètement, à cause du contrôle social qui nous demande d’être conforme à cette masse d’individus impersonnelle. Chacun trouve sa stratégie face à ces changements. Souvent on souhaite se fondre dans la masse pour ne pas se retrouver seul, mais on peut aussi vouloir se montrer différent pour ne manifester aucune appartenance à ce moule, à défaut d’être complètement marginalisé. 

 

On peut notamment remarquer que cette période est marquée par l’accentuation de comportements genrés chez les adolescents et les adolescentes. Généralement, durant l’enfance, ils reçoivent une éducation genrée qui les pré-formatent à rentrer dans un genre relatif à la féminité ou à la mascuilinité, selon leur sexe.

 

Léo et Rémi eux ont l’air d’avoir évolué dans un cadre qui leur permet entièrement d’exprimer leur part de féminité et de masculinité que chacun à en soit, mais que tout le monde n’a pas eu la possibilité de pouvoir exprimer. En effet, leurs familles leur ont permis de vivre cette amitié sans avoir honte de l’affection qu’ils peuvent ressentir et d’exprimer cette tendresse que tout être humain peut ressentir dans une relation ambiguë ou non, car elles ne les ont pas catégorisé « d’efféminés » ou de « filles manquées ». 

 

C’est donc ce passage au collège qui va venir les confronter aux injonctions de masculinité impactant alors directement leur amitié. Leur relation interroge les autres collégiens qui directement les catégorise comme en « couple » ou « amoureux » parce qu’ils sont proches et partagent des moments d’affection durant lesquels ils expriment leur sensibilité et leur attachement pour l’autre. 

 

Ces interrogations témoignent qu’il y a une réelle confusion entre le corps et le genre. Car en effet, ce film est le miroir d’une société qui associe le corps physique a un genre, « on ne naît pas femme on  le devient » comme disait une certaine Simone de Beauvoir, mais c’est aussi  le cas pour les hommes. Les jeunes hommes sont formatés pour incarner l’homme viril, qui est insensible et fort, qui ne témoigne que très peu de douceur et encore plus dans les relations avec des personnes de même sexe.

 

Niobe Way,  psychologue américaine qui a écrit le livre « Deep secrets boy’s friendship and the crisis of connection », nous fait part d’une expérience psychologique qu’elle a réalisé avec des jeunes hommes concernant leur vision sur l’amitié entre hommes (homme avec un h minuscule). Dans un premier temps, elle les interroge quand ils sont de jeunes adolescents et puis elle revient vers eux lorsqu’ils sont devenus des jeunes hommes pour les réinterroger sur leur vision de l’amitié avec leurs pairs de sexe masculin.

 

Elle observe que leur perception de l’amitié ainsi que leur comportement vis-à-vis de leurs amis a complètement changé. Plus jeune, les garçons partagent des moments de tendresse, ont des gestes affectifs et ils ressentent des émotions profondes et fortes. Mais généralement vers l’âge de 16 ans, les garçons commencent à vivre ce que Way appelle une « crise de connexion » à mesure qu’ils grandissent et subissent les pressions imposées par notre culture hypermasculine. 

 

En d’autres termes, les garçons ne sont pas « naturellement » émotionnellement détachés et « indépendants » ; ils apprennent plutôt à agir ainsi, au détriment de leurs relations avec leurs amis. »  écrivait Harvard University Press dans un article concernant cet ouvrage. 

 

Mais les mentalités changent selon le réalisateur. Avec l’accès à internet, il y a une meilleure représentation de la diversité des identités, on parle plus de féminité dans les relations entre hommes, mais nous restons dans un monde qui a peur de la féminité chez le genre masulin, et cela se manifeste à travers l’homophobie. 

 

Dans ce film, le réalisateur tente de montrer des personnages en confrontation avec leur masculinité. Ici, les personnages cherchent leur chemin, entre un qui souhaite rester en contact avec la tendresse de cette relation, et l’autre qui souhaite s’investir dans sa masculinité car il comprend que leur relation ne l’aidera pas à  s’intégrer au collège, car trop différente des normes sociales. C’est Léo qui choisira cette dernière stratégie d’intégration sociale, il s’inscrira même à un sport assez violent dans lequel les hommes sont surreprésentés, le hockey sur glace, afin de se rapprocher de cette masculinité. En revanche, cette différence d’évolution entre les deux jeunes hommes mettra en difficulté cette amitié. 

 

Dans ce mélodrame, on retrouve certains passages majestueux qui nous offrent un plan d’ensemble sur les grands champs de fleurs qui remplissent notre écran de couleurs diverses. Close, est un film qui renverse les clichés, confronte les codes de la masculinité et permet  ainsi de montrer d’autres perspectives plus ouvertes, plus tendres qui reposent sur l’acceptation de l’autre. Il permet aussi de montrer des relations marginalisées et invisibles, et ainsi de les  rendre possibles et atteignables, car grâce au  cinéma on réinvente notre humanité, et en même temps, on la découvre. 


Selon Gilles Kerdreux, dans Ouest-France, ce deuxième film de Lukas Dhont est « celui de la peine et des regrets, de l’incompréhension, de la colère, de l’impossible résilience. Parfois, la grande beauté des images cogne avec le propos, comme le beau temps un jour d’obsèques. (...) Et la réflexion sur l’amitié, le deuil, l’amour est d’autant plus forte que la plupart des personnages font preuve d’une grande intelligence »

 

Sarah de Solere

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