Comment un jeu vidéo illustre-t-il le déclin de la société japonaise ? 

 

 

Le Japon, pays du soleil levant, plaque tournante de l’économie mondiale, constitue un véritable poids dans le jeu des influences mondiales. Ce pays, dont la fierté nationale repose notamment sur la sécurité et le faible taux de criminalité, ripoline la façade d’une structure étatique désorganisée, voire même abandonnée pour une partie.


Ainsi, si l’on pouvait dénombrer 1,1 meurtre, 1,3 vol à main armée et 1,3 viol pour 100 000 habitants, contre respectivement 8,7, 233 et 38,1 aux USA en 1993, le Japon est l’un des seuls pays du G8 n’ayant pas signé la convention de la Haye, et possède un taux de pauvreté très élevé par rapport à sa richesse. La modernité apparente du Japon ne dépeint pas la véritable pauvreté que l’on peut retrouver dans certains quartiers.


Cette pauvreté/misère, Toshihiro Nagoshi la décrit avec sa série de jeu sobrement intitulée
“Yakuza” en référence à la pègre japonaise. En 2020 paraît un nouveau jeu: “Yakuza : Like a
Dragon”, lequel s’illustre à la fois par son ingéniosité de structure, ainsi que par sa critique
marquée de la société japonaise.


Le jeu narre le récit de Ichiban Kasuga, un yakuza qui se retrouve dans la zone grise de Ijincho (quartier fictif inspiré de Isezakicho) à Yokohama (ville voisine de Tokyo). Une zone grise étant un espace de dérégulation sociale, de nature politique ou socio-économique, échappant au contrôle de l'État. Ce quartier géré par les mafias asiatiques, rassemble des immigrés contraints de se prostituer ou de commettre de crimes, conduisant l’association Bleach Japan (issue du jeu vidéo) de vouloir éradiquer les mafieux et criminels.


1-Une fiction pas si fictionnelle

 

Cette œuvre est une critique totale du Japon contemporain et vient bousculer l’image mignonne et paisible que le Japon aime donner. Au japon les zones grises (terrains d’exploration du joueur) sont de véritables poches de pauvreté, et le jeu prend bien le temps
de le montrer au joueur en y développant tous les problèmes liés à ces zones. Le quartier de Kotobuki à Yokohama, par exemple, a pendant très longtemps été le terrain de jeu des mafias coréennes et des yakuzas, notamment avec le trafic de drogue. Depuis les années 2000, le pourcentage d’habitants de Kotobuki ayant un emploi ne dépasse pas les 28%, ce  qui en fait un des quartiers avec le plus haut taux de chômage de la ville. Les yakuzas sont par ailleurs encore présents et le quartier reste très sale et mal loti.


Mais le quartier symbolisant le plus cette image de cour de récréation de yakuzas est sans aucun doute le quartier rouge de Tokyo, Kabukicho. Le quartier de la pègre japonaise a longtemps été un lieu de conflit entre les triades (pègre chinoise) et les yakuzas, cachant derrière ses néons de sombres histoires de gangs, de représailles et de meurtres en tout genre. Bien que ce quartier ne soit plus aussi dangereux qu’avant, il est fortement déconseillé aux touristes de suivre les rabatteurs de rue, sous risque de se faire dépouiller en repartant avec plusieurs blessures.


Like a Dragon met aussi un point d’honneur sur la relation très intime entre les politiques japonaises et la corruption, en mettant en scène des histoires d’arrangement avec des milieux criminels ou encore la corruption du chef de la police remettant en question la confiance que nous pouvons avoir envers les forces de l’ordre. Bien que le Japon soit aujourd’hui considéré comme un des pays les moins corrompus du monde, (15e pays le moins corrompu dans le classement mondial de la corruption), l’archipel nippon a essuyé plusieurs affaires de corruption au cours de son époque contemporaine.


La plus marquante est sans aucun doute en 1989 lorsque le Premier ministre Noboru Takeshita a été forcé de démissionner de son poste pour avoir accepté de l’argent de la firme Recruit-Cosmos. C’est le plus gros scandale politique que le Japon ait connu après la Seconde Guerre Mondiale impliquant 70 fonctionnaires du gouvernement qui seront jugés sur une durée de 13 ans avec 322 audiences, d’autant plus qu’il est apparu qu’il avait demander de l’aide aux Yakuza pour l’aider à accéder au pouvoir.


Revenons sur Bleach Japan, l’association du jeu qui prône le nettoyage des villes, en commençant par l’élimination de la criminalité et des aspects “sale” de la ville de Yokohama. Leur principale action dans le jeu est de manifester devant des clubs de striptease, soapland et bar à hotesse dans le but de les faire fermer et de reloger les prostitués dans des habitations de meilleure qualité. Coup de théâtre ! On découvre que l’association est à la botte d’un politicien prêt à tout pour atteindre ses objectifs. L’objectif de Bleach Japan n’a jamais été de reloger les prostituées mais de les ré-émigrer dans leur pays d’origine. Car au Japon, une très grande partie des prostituées sont d’origines étrangères, à cause de la politique d’immigration du pays, et sont considérées comme des criminels car bien qu’extrêmement courante, la prostitution est illégale au Japon.


En 1980, durant le plus gros boom économique de son histoire (“Boom Izanagi”), le Japon appelle à l’immigration pour recruter de la main-d'œuvre à prix réduit. Cependant, le gouvernement, très nationaliste, déclare en 1986 : “Le Japon est un État d’ethnie unique.” Le pays va donc procéder à une immigration basée sur des critères ethnique. Selon ce postulat, il faudrait une ethnie considérée comme de “lignée japonaise”, dite “Nikkeijin”. Le mot peut sembler troublant, mais il désigne en fait la diaspora japonaise. Le gouvernement décide de se tourner vers l’Amérique du Sud.

 

Or, il n’y a pas que des Sud-Américains qui souhaitent immigrer au Japon. Pour les personnes majoritairement d’origines chinoises et coréennes, l’obtention de visa est bien plus compliqué. Ils sont contraints d’immigrer illégalement pour fuir leur régime politique ou la pauvreté.

 

Présenté comme un pays où l’on peut faire fortune et échapper à la misère, c’est tout le contraire que ce que vont rencontrer ces population immigrés quand elles vont arriver au Japon. Dans le jeu, Bleach Japan sert donc à nous montrer que des volontés nobles (comme favoriser la mixité avec l’immigration) peuvent être réalisées avec une grande cruauté (sélection éthnique), nous faisant nous demander s’il est bon de bafouer la morale pour parvenir aux plus nobles objectifs.


Évidemment ces problèmes ne sont pas spécifiques au Japon, n’importe quel pays dans le monde doit faire face à des problèmes d’immigration, de criminalité et de scandales politiques. Like a Dragon nous peint un monde contemporain plutôt triste, pourri, et corrompu fidèle à notre réalité, mais le chef d'œuvre du studio Ryu Ga Gotoku ne se contente pas de s’arrêter là et décide de faire passer un message d’espoir et de détermination aux nouvelles générations. Et ce dans son personnage principal.

 

2-Un message profond


Ichiban (littéralement “le meilleur” ou “le premier” en japonais) est un personnage avec une personnalité explosive qui fait toujours plus ressortir ses émotions. Un personnage enfantin et enjoué, qui vient contraster avec notre société. Là où l’ancien héros était une légende, Ichiban est marginalisé par la société qui a bien changé après sa sortie de prison. Il est la lumière dans une société toujours plus grisonnante où les rêves nous semblent interdits et où les gens se renferment toujours plus sur eux-même.


Le personnage est volontairement créé pour être le vestige vivant d’un monde où l’on pouvait encore rêver et être fantaisiste. Cela est directement imagé lorsqu'il combat. Par exemple, lorsqu'on affronte une horde d’ennemies, ces derniers vont prendre des apparences qui sortent du cadre de la réalité. Cela s’explique par le simple fait que lorsqu'il combat, il se croit dans son jeu vidéo préféré et maquille la réalité pour la rendre plus joyeuse.


Le jeu ne nous invite pas à refuser la réalité et à la rejeter mais simplement à en adoucir les
traits, à chercher comment nous pouvons colorer nous même notre perception du réel. Ichiban nous montre que laisser libre cours à ses émotions est quelque chose de noble et d’honnête. Il nous prouve que dans ce monde il est encore permis de rêver, de croire en l’humain, d’être heureux. Puis vient cette phrase qui résume toute la profondeur du jeu, qui nous est révélé à la fin du jeu après une lourde tragédie. “Continue de vivre, Ichiban”. Ce sont les derniers mots que nous pouvons voir du jeu sur notre écran.


Il est là l’ultime message de Yakuza : Like a Dragon pour la nouvelle génération. Dans un monde triste où les rêves et les espoirs semblent piétiner par les évènements, vous pouvez encore y croire. Vous pouvez défier la vie. Vous pouvez encore rêver et sourire pour les plus petites raisons car le monde et la réalité vous appartiennent.

 

Continuez de sourire, continuez de rêver, continuez de vivre.


Côme Jacquinet

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