Communiquer sans parler, l’œuvre d’un photographe.

 

USA. Pennsylvania. Pittsburgh. 1950 © Elliott Erwitt/Magnum Photos

 

D’Elio à Elliott 

 

1928, France. La famille Romano Ervitz fuit le régime politique russe et donne naissance à un garçon sensible et qui saura au mieux utiliser cette arme, Elio. 

 

1939, le 2 septembre, New York. La famille juive s’installe de l’autre côté de l’Atlantique pour une vie plus paisible. Elio Erwitz devient Elliott Erwitt. 

 

1951, des deux côtés de l’Atlantique. Engagé dans l’US Army pour servir en tant qu’assistant photographe, Erwitt voyage entre les Etats-Unis et l’Europe. Si le contexte d’après-guerre est difficile, c’est pour lui l’occasion de rencontrer une des figures de la photographie, Robert Capa, cofondateur de l’agence Magnum. Le feeling est bon, et ce dernier lui promet de l’engager dès son retour. 

 

1953, New York. Chose promise, chose due. Erwitt est invité à intégrer Magnum. Il y rencontre Henri Cartier-Bresson. Pris d’admiration pour le photographe français, il devient son élève. Les deux hommes partagent une même vision de leur art : la spontanéité. L’agence donne autant d’importance à la chose vue qu’à la façon de voir, et cela plaît au jeune photographe. L’élève doué devient rapidement un maître, et accède à la présidence de Magnum dans les années 1960.

 

1970, Etats-Unis. Erwitt étend son style et voyage dans tout le pays pour vivre et faire vivre le rêve américain. D’abord au cinéma où il rencontre les stars que sont Marilyn Monroe, Andy Wharhol, Clark Gable, puis chez HBO pour réaliser des séries télévisées. Sa modestie ne le quitte jamais, en se rappelant que rang social ou non, chacun se brosse les dents. Toutes sortes d’occasions se présentent à lui, certains diraient chance lui prône la curiosité, et il se confronte à la vie politique aussi. De nombreux clichés sont d’ailleurs noyés sous l’humour pour qu’ils soient mieux acceptés. Erwitt est un homme entier. Son travail est ce qu’il est autant par son talent que par sa personnalité.  

 

Noir et blanc ou couleur 

 

Ses appareils, un Leica 35mm ou un Rolleiflex, sont ses plus fidèles acolytes. Sans compter ses mains et ses yeux. Parties du corps considérées comme les plus expressives et les plus précieuses, elles sont devant et derrière l’objectif ses outils de travail. D’un côté pour comprendre tout ce qui n’est pas dit, de l’autre pour s’en souvenir. Homme brillant qu’est Erwitt, sa sensibilité prime sur toute autre émotion lorsqu’il est avec son appareil photo. Façon modeste d’affirmer « Mes meilleures photos sont celles que je n’ai pas prises. ». Passion devenant profession, le maître trouve un moyen simple de distinguer ses photos. S’effacer pour rentrer dans un moule n’est pas une option, il opte alors pour un choix des teintes.  

 

Couleur pour les commandes, noir et blanc pour les personnelles. Les unes prévues pour attirer l’œil non entraîné sur tout type de produit, les autres prises pour lui et pour tout volontaire à se laisser transporter par son imagination. Mais il serait difficile de catégoriquement séparer le professionnel du personnel. D’autant plus pour un homme à vocation. L’un et l’autre sont autorisés, et même conseillés, à se nourrir. Ainsi une banale publicité de bottes se transforme en une image simple, des pieds humains et un chien, mais iconique. Ne se prenant pas trop au sérieux, il s’amuse à photographier les canins qui sont des modèles sans complexité. Cette fois il décide de regarder la vie à la même hauteur qu’eux, et aussi facilement que cela naît le célèbre cliché. 

 

New York City, 1974 (dog legs)

Sujets de prédiction 

 

La pellicule d’Erwitt montre combien les chiens sont un sujet qu’il apprécie, ce dont il est conscient. 

 

Mais parfois les choses attirent notre œil sans que l’on ne le voit. 1984, commande d’un magazine japonais. Le photographe doit réaliser des photographies de couples. Alors qu’il pense s’essayer à un nouveau genre, il comprend vite que le sujet n’a rien d’une découverte. Son âme romantique n’a pas attendu si longtemps pour le mettre à l’exercice. Lui qui se plaît à regarder et saisir chaque instant, l’amour entre deux personnes semble être une situation parfaite. Alors Erwitt, adepte du « blink and you miss it » est partout dans son élément. 

 

ELLIOTT ERWITT (b.1928) California, 1955

 

Un bel hommage est rendu au photographe lors d’une exposition à La Sucrière jusqu’au 17 mars 2024. Ses photos le présentent de la meilleure des façons : d’une beauté fine. 

 

Emeline Cornu

Évaluation: 5 étoiles
7 votes