Depardieu : faut-il séparer l'homme de l'artiste ?

 

picture alliance/dpa/Thierry Roge/Belga

 

Récemment visé par des plaintes pour agressions sexuelles, l’immense acteur français se retrouve aujourd’hui au cœur des polémiques. Mais alors, peut-on continuer de regarder les films de Depardieu de la même manière qu’avant? 

 

Alors qu’auparavant les formes d’art étaient beaucoup plus limitées qu’aujourd’hui, l’avènement du cinéma, du street art, ou encore des nouvelles technologies tend à redéfinir la notion même d’art. 

 

  • Qu’est-ce que l’art ? 

 

Selon le dictionnaire de l’académie française, l’art correspond à une technique, méthode, à un ensemble de procédés ou de règles propres à chaque genre de l’activité humaine et qui vient s’ajouter aux dons naturels.

 

En clair, on identifie aujourd’hui l’art comme un ensemble de schémas divers, techniquement justes et approfondis, ayant comme prétention une polarisation forte au sein de la communauté artistique. 

 

L’art est l’une des notions les plus personnelles et subjectives qu’il soit, tant sa définition n’a aucune prétention à l’universalité. En cela, l’art c’est aussi ce que l’on choisit de catégoriser comme tel, en fonction de notre ressenti personnel. 

 

Cette subjectivité repose aussi sur le fait que l’art représente en principe l’expression la plus personnelle, symbolique de l’auteur. Ce degré d’importance que l’on rattache à l’expression de l’auteur dépend néanmoins de la forme d’art à laquelle nous sommes confrontés. 

 

Ainsi, lorsqu’un peintre, connu comme étant un agresseur sexuel, représente dans ses tableaux des visages de femmes; l’interprétation qui va en être faite va largement être modifiée par rapport à un peintre qui n’a rien à se reprocher. 

 

En résumé, il existe des formes d’art comme la peinture, l’écriture ou encore la musique, dans lesquelles le lien entre la prestation artistique de l’auteur et sa vision du monde est beaucoup plus fort que dans d’autres catégories. 

 

En cela, il paraît par exemple difficile de séparer un auteur connu pour des faits d’agression sexuelles, de ses différents tableaux représentants des femmes. Son expression artistique est fomentée par une vision, voire une expérience malsaine dans son rapport aux femmes. 

 

  • Les différents types d’art 

 

Derrière ces formes d’art prééminentes, se cachent d’autres exemples de catégories artistiques dont le lien entre l’expression de l’artiste et sa vision des choses est beaucoup moins flagrant. 

 

Ainsi, l’interprétation cinématographique, la magie ou encore la céramique sont eux aussi des formes d’art auxquelles il est nécessaire de s’intéresser. 

 

En effet, ces formes d’art (sans nullement enlever à leur caractère artistique), sont moins le reflet de la vision du monde de l’auteur que peuvent l’être les autres catégories susmentionnées. Ainsi, un magicien connu pour des faits d’agression sexuelle, ne transposera pas de la même manière sa vision des femmes dans ses tours de magie, que pourra le faire un chanteur, également connu pour des faits d’agressions sexuelles, dans ses textes. 

 

Pour résumer, on pourrait donc distinguer 2 types de catégories d’art : L’art personnel, avec un lien entre la prestation artistique et la vision de l’auteur; et l’art impersonnel avec un lien plus indirect, voire minime. 

 

Le cinéma est un art qu’on pourrait donc qualifier d’impersonnel dans la dimension d’acting car l’acteur est automatiquement dépersonnalisé par le rôle qu’il incarne. En effet, il se met dans la peau d’un personnage imaginé qui n’est pas censé le représenter personnellement. 

 

En revanche, d’après Sylvie Roques dans son ouvrage « Dans la peau d’un acteur » « La pratique du jeu est alors conçue comme moyen de maîtriser l’interprétation, mieux encore, de s’éprouver. La dimension personnelle y est prépondérante : l’acteur apporte sa propre empreinte au rôle, conçu comme partition. Empreinte identitaire tant rythmique, énergétique qu’acoustique. Or, les démarches mises en œuvre par l’acteur sont complexes, sous-tendues par des processus tant cognitifs qu’émotionnels, tant visuels, auditifs, qu’olfactifs et tactiles. »

 

Se pose alors la question de la sensibilité de l’acteur qui s’implique alors très personnellement et intimement dans son rôle. Par exemple, dans Les Valseuses (1974), comédie française noire et décomplexé qui a été écrite et réalisée par Bertrand Blier, Gérard Depardieu incarne un jeune homme éhonté et cynique agressant sexuellement des femmes sans aucun remords, avec son acolyte Pierrot (le film ne tourne pas qu' autour de ça). 

 

Aujourd’hui, au vu des accusations non seulement sexuelles commises par cet acteur, mais aussi de son comportement semblable à un pervers narcissique; son interprétation dans ce film serait équivoque, tant dans son implication personnelle que dans son jeu d’acteur. 

 

Mais ce qui interroge d’autant plus dans ce rôle, c’est qu’il a permis de révéler Gérard Depardieu dans le milieu du cinéma, à une époque où visiblement les agressions sexuelles étaient banalisées. A la suite de ce film, il est devenu une des figures principales du cinéma français, mais a aussi percé sur la scène internationale notamment à Hollywood (Green Card 1990). 

 

Sa carrière et sa notoriété dans le milieu du cinéma pourraient se résumer aux deux cents films dans lesquels il a tourné, ou encore au fait que ce soit le deuxième acteur ayant cumulé le plus d’entrées en France derrière Louis de Funès. A cela s’ajoute le fait qu’il a reçu 13 prix sur 43 nominations dans les festivals dont le césar du meilleur acteur dans Cyrano de Bergerac (1991). Il n’était pas seulement un acteur et un comédien mais aussi le réalisateur de trois longs-métrages (Paris, je t’aime 2006). 

 

Cependant, ce grand acteur français émérite est controversé dès les années 1990 alors qu’il commence à être reconnu aux Etats-Unis, grâce à son rôle dans Cyrano de Bergerac. En effet, à la suite d’un interview pour le Time, en février 1991, GDP reconnaît avoir « attended » (assisté) à un viol collectif quand il avait 9 ans à Châteauroux, de ce fait, son succès fait controverse chez le public américain.

 

En réalité, cette interview se rapporte à une autre interview de Film Comment en 1978, passée inaperçue, dans laquelle l’acteur affirme qu’« il n’y avait rien de mal à violer des femmes » et que « les filles voulaient être violées ».

 

En ce sens, être un acteur représente une interprétation pure et dure d’un texte, en ajoutant certes, sa touche personnelle (c’est cela qui les hiérarchise selon leur niveau). Pour autant, la manière de jouer d’un acteur ne correspond pas à une expression formelle de sa vision du monde.

 

En clair, on peut voir un Gérard Depardieu acteur, ainsi qu’un Gérard Depardieu humain, tandis que l’on peut confondre un Pablo Picasso peintre et un Pablo Picasso humain

 

Toutefois, faire ce constat n’empêche en rien de condamner avec la plus grande fermeté les propos honteux résultant du comportement problématique de Gérard Depardieu. 

 

Il n’empêche pas de condamner avec la plus grande fermeté l’industrie du cinéma ayant, en passant sous silence ses actes, cautionné les paroles et comportements de l’acteur français. 

 

Il n’empêche pas de vouloir “déboulonner” Gérard Depardieu malgré son énorme impact dans le cinéma français. 

 

Condamner doit se faire unanimement, sans aucune considération politique ou culturelle (contrairement au discours du président de la République dénonçant une “chasse à l’homme”), tandis qu’agir résulte d’une action personnelle et subjective.

 

  • Le male gaze 

 

Le male gaze (regard masculin) est une théorie élaborée en 1975 par la chercheuse britannique Laura Mulvey, postulant que la culture visuelle prédominante dans les grands domaines audiovisuels, résulte d’une vision d’homme hétérosexuel. 

Pour faire simple, tous les grands films ayant été majoritairement réalisés par des producteurs masculins; la sexualisation de certaines femmes relève d’une vision masculine du corps de la femme et de sa fonction (en témoigne le costume de Leia Organa dans Star Wars : Le retour du Jedi). 

 

En résulte de ce male gaze un environnement plus propice au développement de ce genre de comportements problématiques, associant les producteurs ayant cautionné et conditionné ces propos, au comportement de l’acteur français. 

 

Évidemment, Gérard Depardieu n’est pas influencé par les producteurs en dehors du tournage d’un film et encouragé à tenir des propos déplacés ou à agir de manière inopportune. Toutefois, le comportement de Gérard Depardieu était connu par l’ensemble du monde du cinéma, et, dans le cas présent, le silence vaut approbation. 

 

Il est regrettable que le talent immense d’un acteur lui donne carte blanche sur ses actions auprès des femmes. 

 

Alors, certes, l’acteur n’a pas encore été condamné. Toutefois, lorsque l’on voit la manière avec laquelle Gérard Depardieu s’adresse aux femmes dans l’édifiant Complément d’Enquête paru sur l’acteur français, il ne semble en rien être diffamant de dénoncer des comportements problématiques de l’un des plus grands acteurs français. 

 

Bien que l’on puisse séparer Depardieu de ses rôles au cinéma (la prestation cinématographique est un art impersonnel), nous condamnons celui qui représente le cinéma français à l’international. 

 

Parce que la morale prévaut sur la puissance du cinéma français, dressons nous derrière les victimes, dans l’ombre et dans la lumière. 

 

Dans l’espoir que le cas Depardieu libère encore un peu plus la parole des femmes à ce sujet, afin d’éviter, de nouveau, d'éventuels drames et incidents.

 

Eliot Senegas et Sarah de Solere 

 

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