Diplomatie: A quoi joue la France ?

Photo de Thibaut Camus/AFP

 

La position de la France sur la riposte et le blocus imposés par Israël dans la bande de Gaza est jugée par certains comme insuffisante, passive. Si le président Macron s’est dit opposé à une « invasion terrestre massive » de Tsahal à Gaza, la diplomatie française n’en est pas moins celle d’un soutien sans faille à Israël, réaffirmant le droit d’Israël à se défendre. Cette stratégie diplomatique ambivalente, sujette aux critiques de certains observateurs, reste néanmoins cohérente dans la mesure où elle veut s’inscrire dans la continuité de l’action portée depuis la présidence de Charles de Gaulle. C’est celle d’une indépendance assumée vis-à-vis des puissances étrangères, sur le plan militaire, mais aussi (et surtout) diplomatique. Explications.

I) La diplomatie en France depuis de Gaulle : l’esquisse
d’une troisième voie

 

Arrivé au pouvoir en 1958, le général de Gaulle prend le contrôle d’une France déclinante sur la
scène internationale en pleine période de décolonisation. Après la cuisante défaite de Ðiện Biên Phủ en 1954 marquant la fin de l’autorité française en Indochine, c’est maintenant l’Algérie, alors département français, qui se rebelle et fait valoir son droit à l’autodétermination.

 

La France apparaît alors isolée sur la scène internationale. Les Etats-Unis, fidèles au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, réprouvent la répression française en Algérie. Le prestige de la France est alors affaibli depuis sa défaite de 1940, et celle-ci semble incapable de se démarquer de l’emprise que les américains exercent sur l’Europe de l’Ouest.

 

Sous de Gaulle puis Pompidou, la France va pourtant réussir à affirmer son indépendance militaire. De Gaulle est hostile à la politique extérieure de la IVe République, qui suit à la lettre les volontés américaines. Plus que le plan Marshall, le Traité de l’Atlantique Nord en est l’illustration. Signé à Washington D.C. en 1949, les 12 plus grandes puissances de l’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord s’entendent sur une assistance militaire mutuelle et sur une coopération économique : l’OTAN est créée.


Cependant, de Gaulle y voit une certaine ingérence des Etats-Unis dans les affaires militaires
françaises. Prônant une indépendance dans ce domaine très stratégique, de Gaulle cherche dès lors à faire de la France une puissance nucléaire, meilleur moyen pour lui de garantir à la fois la sécurité et la souveraineté du pays. Malgré la réprobation des Etats-Unis et du Royaume-Uni, la France effectue ses premiers essais nucléaires dans le Sahara algérien en 1960, et dispose d’armes nucléaires opérationnelles dès 1964. L’acquisition de la force nucléaire redéfinit la puissance française à l’international. En 1966, toujours suivant la même ligne directrice, de Gaulle retire la France du commandement militaire de l’OTAN, hostile au survol de l’espace aérien français par des chasseurs américains et anglais.


Sur cette lancée, de Gaulle souhaite aller plus loin dans l’indépendance française. Il souhaite que la France dessine une troisième voie, dans un monde bipolaire fracturé comme jamais entre le socialisme soviétique et le capitalisme américain (la crise des missiles de Cuba en 1962 marque l’apogée de l’équilibre de la terreur). Une voie de modération, s’appuyant sur le passé diplomatique glorieux de la France, et son soft power basé sur son Histoire (prestige architectural, culturel, gastronomique, militaire). Surtout, la France est vue comme le pays des Droits de l’Homme, et tire de la Révolution Française un idéal qui inspire à travers le monde. Par exemple, la révolution bolchevique d’octobre 1917 reprend volontiers les codes de cet épisode, vu par le prisme de la lutte des opprimés (le peuple) contre les oppresseurs (les nobles).


Avec tous ses atouts diplomatiques, la France parvient peu à peu à se frayer un chemin dans la
politique internationale, se démarquant ainsi des Etats-Unis, sans pour autant s’opposer à eux sur les sujets majeurs. Avec sa politique extérieure, de Gaulle parvient à entretenir des relations avec les deux superpuissances, prônant une détente entre les deux blocs et renforçant son indépendance.

 

La France reconnaît la République Populaire de Chine en 1964, devenant le premier pays d’Occident à bâtir des liens diplomatiques avec la Chine de Mao.

« Quelque chose vient de se transformer quant au rôle international de la France. Car ce rôle, tel que je le conçois, exclut la docilité atlantique que la République d’hier pratiquait pendant mon absence. Notre pays est, suivant moi, en mesure d’agir par lui-même en Europe et dans le monde, et il doit le faire parce que c’est là, moralement, un moteur indispensable à son effort. » Mémoires d’espoir, Charles de Gaulle, 1970.

 

Les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing vont s’inscrire dans la
continuité de celle de de Gaulle en termes de diplomatie. La France retrouve progressivement une place parmi les Grands, alors que cette place pouvait paraître artificielle dans les années post-guerre. François Mitterrand va lui donner un nouvel élan : celui de l’élaboration d’une Union Européenne qui pourrait se dresser sur un pied d’égalité avec les superpuissances, alors même que le déclin de l’URSS semblait amorcé.

 

Les débuts de la Construction Européenne remontent aux années 1950, avec des alliances économiques dans un premier temps (CECA, CEE). Cependant, avec la signature du Traité de Maastricht le 7 février 1992, c’est une union politique, l’Union européenne, qui est instituée. L’Europe est dès lors censée s’unir pour préserver ses intérêts vis-à-vis des autres puissances émergentes, notamment la Chine, au grand dam de certains tenants de la tradition gaulliste de primauté de l’intérêt national avant tout, hostiles à toute notion de supranationalité.

II) La France dans les relations internationales du XXIe
siècle : un jeu d’équilibriste

 

Cependant, l’empreinte gaulliste sur le plan extérieur subsiste toujours et la volonté de faire de la France un pays à part sur la scène diplomatique est présente chez tous les présidents de la Ve République. La France souhaite pouvoir dialoguer avec le plus de pays possibles grâce à son statut hybride d’allié non-aligné avec les Etats-Unis. Elle se base également sur son histoire millénaire. Tous ces facteurs ont conduit à ce que beaucoup considèrent comme la plus grande réussite diplomatique française de ces dernières décennies : la réprobation de la Guerre américaine en Irak en 2003.


Après les attentats de 2001, les Etats-Unis prétextent la présence d’armes de destruction massive en Irak pour solliciter la formation d’une coalition internationale afin de renverser le régime de Saddam Hussein. La France, représentée par son ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, va, dans son discours du 14 février 2003 au conseil de sécurité de l’ONU, exprimer les réserves de la France quant à un nouveau conflit au Moyen-Orient. « Je viens d’un vieux pays ». De Villepin s’appuie volontairement sur l’histoire française pour délivrer une position lourde de sens.

 

Premièrement, la France est désormais capable de s’opposer frontalement aux Etats-Unis, contrairement aux autres pays européens, comme le Royaume-Uni ou l’Espagne qui s’engagent aux côtés des américains. De plus, la France adopte une posture pacifiste et choisit de ne pas s'engager dans une guerre les yeux fermés. Cela permet à la France de se positionner comme un interlocuteur privilégié des pays du Golfe, faisant valoir son indépendance diplomatique.

 

La suite donne raison à la France. Déjà, parce que la guerre s’éternise (les troupes américaines ne se retirent qu’en 2011). Malgré l’arrestation et l’exécution de Hussein, les américains ne parviennent pas à instaurer une stabilité régionale (on peut même parler d’aggravation de la situation). Aussi et surtout, le casus belli des armes de destruction massive se révèle être une supercherie.

 

La France se trouve confortée dans son choix, concrétisant une puissance diplomatique retrouvée. La France propose alors une troisième voie sur les plans diplomatique mais aussi économique. En novembre 2022, Emmanuel Macron se présente en « partenaire non confrontationnel » devant les pays émergents lors du sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC).

La France, comme lors de la Guerre Froide, cherche à dépasser les blocs (en l’occurrence la Chine et les Etats-Unis) en proposant une alternative : elle-même. La France s’attache ainsi à ne pas suivre aveuglément les orientations américaines, ce qui peut froisser ces derniers. Le french-bashing qui a suivi l’opposition française à la guerre en Irak en est l’illustration.

 

Cependant, cette volonté de désalignement va parfois à l’encontre des intérêts européens.
En effet, malgré la volonté de construire une Europe forte sur la scène internationale, la France cherche parallèlement à maintenir sa puissance diplomatique nationale. Toutefois, cela n’est pas toujours compatible. En avril 2023, Emmanuel Macron se rendait en Chine avec la présidente du Parlement Européen Ursula von der Leyen. Sur fond de conflit russo-ukrainien, cette visite était un moyen de réaffirmer l’unité de l’Occident dans son soutien à l’Ukraine et de tenter de convaincre la Chine de condamner l’invasion russe.

 

Cependant, le président Macron en a profité pour tenir un discours sur Taïwan qui a suscité de vives critiques chez les alliés occidentaux : « La pire des choses serait de penser que nous,
Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une
surréaction chinoise ». Alors même que la Chine intensifie sa présence militaire aux abords de
Taïwan, le timing tout autant que le contenu sont contestés. Les Etats-Unis fulminent, l’Union
Européenne également. Cela signifierait-il que la France laisserait la Chine envahir Taïwan sans
opposition ? Si depuis, la position française a été clarifiée et aseptisée, le constat reste le suivant : pour maintenir sa place de puissance diplomatique non-alignée sur les Etats-Unis, la France est prête à sacrifier beaucoup...… trop ?

 

C’est une question qui paraît légitime. Pour servir cet idéal de puissance indépendante,
jusqu’où peut-on, doit-on aller ? La complaisance avec la Chine peut-elle se justifier alors même que les conditions de travail, les répressions de l’opposition ou celle des minorités Ouighours sont dénoncées par toutes les organisations internationales ? La France a-t-elle intérêt à continuer cette politique qui va parfois à l’encontre des intérêts européens, qu’elle est censée défendre également ? Toutes ces préoccupations sont désormais au cœur de l’actualité, alors que ces questions sous- tendent les réponses diplomatiques françaises au conflit israélo-palestinien.

 

III) L’exemple du conflit israélo-palestinien : une France
qui cherche sa voie


A) Histoire de la France dans le conflit

 

Tout d’abord, la France n’a jamais varié de position: elle est en faveur d’une solution à deux Etats. Cependant, chaque présidence a apporté son lot de nuances vis-à-vis de la question israélo-palestinienne. De Gaulle, favorable à l’établissement d’Israël, va néanmoins tendre les relations franco-israéliennes à partir de 1967, déclenchant un embargo militaire et réprouvant l’intervention israélienne en Egypte. Qualifiant le peuple israélien de « sûr de lui-même et dominateur », le général va provoquer une distanciation de la France vis-à-vis d’Israël et du conflit par extension.

 

Un rapprochement a également lieu entre la France et les palestiniens : en 1974, la France reconnaît l’OLP de Yasser Arafat comme membre observateur à l’ONU. Ce repositionnement diplomatique est amplifié par les décisions pro-arabes sous Mitterrand. Le 4 mars 1982, ce dernier prononce un discours à la Knesset affirmant le droit des palestiniens à l’autodétermination et ouvrant la voie à la reconnaissance par la France d’un Etat palestinien.

 

Car si la France défend à terme une solution à deux Etats, elle ne reconnaît pas la Palestine comme Etat. Partiellement reconnue comme Etat à l’ONU, la Palestine n’est pas jugée viable par beaucoup de pays dont la France, du moins pour l’instant. En effet, la prise de pouvoir dans la bande de Gaza du Hamas, groupe terroriste prônant l’éradication d’Israël et le djihad, en juin 2007, marque un recul historique dans l’édification d’un Etat palestinien.

 

Les Palestiniens sont dès lors divisés entre la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas, et la Cisjordanie où le pouvoir est détenu par le Fatah, dont le leader Mahmoud Abbas est le président de l’Autorité palestinienne qui représente la Palestine à l’international.

 

Ce contexte de division et d’insécurité retarde donc la reconnaissance d’un Etat palestinien
nécessaire au processus de paix souhaité par la France comme par la majorité de la communauté internationale. Cela n’empêche pas la France de soutenir financièrement la Palestine afin de permettre aux populations de vivre décemment. Par ailleurs, la France s’oppose à la colonisation des terres palestiniennes en Cisjordanie.

 

La France est cependant reléguée au second plan depuis son éloignement d’Israël en 1967. Elle ne joue qu’un rôle secondaire dans les accords internationaux sur le conflit (Camp David, Oslo, Abraham).

B) Quelles réactions face aux évènements récents ?

 

Les attaques du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas en Israël marquent un tournant dans le conflit. C’est la première fois que les Israéliens sont ainsi ciblés sur leurs terres ( plus de 1400 morts). La France condamne unanimement l’attaque terroriste, mais c’est la riposte de l’armée israélienne qui va faire naître des tensions au sein de la classe politique française. Si les dérapages de certains sont à déplorer (la députée LFI Danielle Obono qualifiant le Hamas de mouvement de résistance), les préoccupations sont légitimes.

La notion de « délai de décence » employé par le président peut se comprendre dans une certaine mesure sur les manifestations pro-Palestine, mais sur la scène diplomatique ce délai où la France et le Monde occidental se sont refusés à tempérer la riposte israélienne a paru être le confortement d’opérations militaires ne respectant pas le droit international.

 

Car l’horreur du 7 octobre n’est pas survenue par hasard. Si elle n’est pas justifiable, elle intervient dans un contexte. Et ce contexte, c’est celui d’une colonisation israélienne galopante en Cisjordanie, processus cautionné si ce n’est encouragé par le gouvernement nationaliste du premier ministre Benyamin Netanyahu. Face à cela, des organisations internationales beaucoup trop complaisantes, s’opposant par principe sans agir concrètement.

 

De plus, une population palestinienne retranchée dans une prison à ciel ouvert, la bande de Gaza, depuis plus de dix ans. La situation humanitaire déplorable est sans conteste un catalyseur de la montée du Hamas : aujourd’hui, une large majorité de gazaouis soutiennent les politiques du Hamas. Ainsi, la France apporte dans un premier temps un soutien « sans failles » à Israël, se positionnant dans la ligne diplomatique des Etats-Unis, principaux alliés d’Israël. Mais inlassablement, la France cherche à se démarquer de la voie américaine.
A partir du 18 octobre, la France se détache quelque peu de la position de Washington en votant pour une résolution du Brésil au Conseil de sécurité de l’ONU, réclamant des pauses humanitaires à Gaza.

 

Cette résolution n’aboutit pas en raison du veto des Etats-Unis.

 

Cette position de pays appelant au respect du droit international dans la riposte israélienne, la
France l'a réaffirmé lors du déplacement d’Emmanuel Macron à Tel-Aviv le 24 octobre. D’ailleurs, le chef de l’Etat en profite pour rendre une visite impromptue à Mahmoud Abbas en
Cisjordanie, cherchant à atténuer la perception d’un déplacement pro-israélien. Le 27 octobre, la France achève sa transition d’un soutien sans faille à Israël vers la volonté d’une
réponse conforme au droit international et à la protection des civils. La France est une des seules puissances de l’OTAN à soutenir la résolution sur « la protection des civils et le respect des obligations juridiques et humanitaires » portée par la Jordanie.

 

La France apporte donc un soutien sans failles mais pas sans conditions à Israël dans sa lutte contre le terrorisme et pour sa sécurité intérieure. Après avoir condamné fermement les attaques du 7 octobre et affirmé son soutien à l’Etat Hébreu, elle a progressivement dévié de la ligne des Etats-Unis et de ses plus proches alliés en réclamant le respect du droit international et l’accès des organismes humanitaires internationaux à Gaza. On peut cependant reprocher à la France (et à l’ensemble de la communauté internationale) de n’avoir pas fait davantage dans le passé pour garantir la souveraineté de l’Autorité palestinienne sur son territoire, et de n’avoir pris aucune mesure contraignante contre Israël suite à sa politique de colonisation.

 

Conclusion

 

La France est ainsi à la recherche d’un perpétuel équilibre diplomatique, défendant la place à part qu’elle veut sienne à la table des puissances diplomatiques : celle d’une puissance d’équilibre, militant pour la paix et la justice. Cette position consiste le plus souvent en l’adoption d’une ligne proche des Etats-Unis, mais juste assez ouverte pour tenter de se poser en médiateur possible, en interlocuteur modéré dont les valeurs et le prestige historique justifient l’établissement d’un dialogue.

 

La France tient par-dessus tout à maintenir son rang de puissance diplomatique à part. Cela
l’amène parfois à aller à rebours de ses alliés, mais aussi de ses propres intérêts, notamment
européens. Une question primordiale pour la suite de l’orientation diplomatique française est la prise en compte de considérations morales. Forte de sa riche histoire pour assurer des liens diplomatiques, la France s’appuie souvent sur son lien aux droits de l’homme. Cependant, cette étiquette peut se révéler trop collante. La prise en considération des droits de l’Homme doit-elle empêcher le rapprochement avec certains pays aux mœurs trop éloignées ? La préservation de l’intérêt national est-elle destinée à supplanter toute autre considération ?

 

Cependant, la bipolarisation en cours entre le nouveau bloc chinois et le bloc occidental fait planer la menace d’un retour d’une fracture mondiale. Face à une nouvelle guerre froide, la France saurait-elle tirer son épingle du jeu comme elle l’a fait sous de Gaulle, en affirmant son indépendance et en dépassant les fractures idéologiques ? Ou alors, l’affaiblissement de sa puissance économique face à l’émergence de nouveaux géants tels que l’Inde la forcerait-elle à s’aligner à contrecœur sur son allié de toujours, les Etats-Unis ?


Quoi qu’il en soit, la France a montré dans son passé, sa capacité à subsister en tant que puissance même après les épisodes les plus sombres. Pour beaucoup, c’est là l’essence même de notre nation.

“La France ne peut être la France sans la grandeur.” Charles de Gaulle

 

Rémi Kouevi

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