Faut-il bloquer les prix ?

 

 

Le 20 juillet 2023, l’INSEE publiait son rapport annuel sur le niveau de privation matérielle et sociale ressenti par les populations en France métropolitaine, en passant par les besoins essentiels jusqu’aux activités du quotidien. 

Ainsi, selon cette étude, ce seraient près de 9 millions de français qui se situeraient en situation de privation matérielle et sociale en 2022, soit 14% de la population logée en France métropolitaine. 

En réaction à cette hausse de la privation pour les ménages à faibles revenus, de nombreux politiciens -situés majoritairement à gauche de l’échiquier politique- se dressent en faveur d’un blocage des prix. 

 

Tout comme ils réclament la taxation des plus riches en France, La France Insoumise placent encore une fois, à travers cette nouvelle demande, le niveau de vie des français au cœur de leurs préoccupations.

 

Pour autant, si le président répondait à Mathilde Panot et Manuel Bompard par la négative, il est important d’éclaircir cette question plus complexe que ce qu’il n’y paraît. 

 

Alors oui ou non, faut-il bloquer les prix en France ? 

 

En 1945, l’exécutif français publie une ordonnance relative à l’administration des prix, permettant au gouvernement d’interférer sur la fixation des prix, la régulation des marges …

 

Mais dans un contexte de libéralisation croissante de l’économie, le gouvernement français publie en 1986 une ordonnance relative à la liberté des prix et à la concurrence: un acte qui signe la naissance de l’économie de marché. Frédéric Bizard, professeur à l’ESCP, précise : "C'est la libre-concurrence qui fonctionne en dehors des secteurs sur lesquels on a conservé une administration des prix comme le prix du livre, le prix du médicament, le prix du taxi". 

 

Cette ordonnance, publiée en 1986, constitue le fondement de l’argumentaire anti-blocage des prix de l’actuel président de la République : “ Je vais vous dire, ça ne marche pas le blocage des prix, parce que les prix ne sont plus administrés dans notre pays” déclarait l’ancien banquier le 24 septembre 2023 dans son interview télévisée. 

 

Une réponse qui ne semble pas satisfaire Mathilde Panot qui publiait dans la foulée le tweet suivant : “ Macron ment. Le code du commerce permet à la Première Ministre de bloquer les prix par simple décret. La France a faim. Mais Macron préfère supplier les industriels. Un président incapable #Macron20h”. 

 

Mais alors qui du président de LREM ou de la député LFI a raison ? Eh bien en réalité, les deux réponses partiellement justes se complètent. 

 

Il est vrai que les prix ne sont plus administrés en France, en revanche, il existe bien une disposition du Code du commerce qui permet de bloquer les prix. 

 

Ce blocage des prix peut intervenir “de façon temporaire, c'est-à-dire pour une durée maximale de six mois et dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment une crise", évoque Aurélie Dellac, avocate en droit économique. 

 

Le gouvernement avait par exemple bloqué les prix des masques et du gel hydraulique durant la pandémie, ou encore en 1991 suite à l’explosion du marché du pétrole avec l’invasion américaine de l’Irak. 

 

Toutefois, la forte inflation actuelle en France ne correspond pas aux “circonstances exceptionnelles” évoquées par la disposition. Pour cause ? Les caractéristiques de ces circonstances ne sont, premièrement, pas définies; et malgré l’absence de définition, l’inflation actuelle n’est pas “exceptionnelle” au regard de l’histoire et de celle qui touche les autres pays actuellement. 

 

"On est face à un choc inflationniste mondial qui n'est pas propre à la France. Les circonstances exceptionnelles sont difficiles à définir mais il faut des choses particulières qui soient liées par exemple à des phénomènes climatiques, sanitaires, de guerre." ajoutait l’économiste Mathieu Plane. 

 

Pour autant, ne pas vouloir bloquer les prix ne veut pas dire vouloir négliger le consommateur moyen, au contraire. Un blocage généralisé des prix pourrait, certes, à court terme, bénéficier aux consommateurs avec le pouvoir d’achat le plus restreint d’en bénéficier. Pourtant, à moyen terme, les conséquences seraient plus néfastes qu’autre chose. 

 

On peut dès lors imaginer une possibilité de ruée sur les stocks comme advenue durant la période Covid, mais cette pénurie potentielle peut également se retrouver favorisée par une baisse de la production suite à un plafonnement du prix du marché. En plus de cela, la crise économique ayant récemment touché l’Argentine témoigne d’un risque flagrant d’une diminution de la qualité du produit ou du service proposé (augmentation énorme de la proportion du gras par rapport à la viande dans un morceau).  

 

Pour autant, si le gouvernement français a bien pû permettre de bloquer les prix sur des produits essentiels pendant la crise du Covid, cela témoigne qu’il est possible de proposer un blocage sélectif des prix. La ministre déléguée au Commerce Olivia Grégoire proposait ainsi un panier anti-inflation. Si ce panier bénéficierait aux ménages les plus démunis, il n’en reste pas moins que ce sont les ménages les plus aisés, par définition plus consommateurs, qui en profiteraient davantage. 

 

En fin de compte, il serait impossible de bloquer les prix de manière généralisée compte tenu de son impact négatif sur les ménages les plus pauvres à moyen terme, mais également car l’arrêté serait rejeté par le Conseil d’Etat, au vu de l’absence de circonstances exceptionnelles requises par le Code du commerce. 

 

Il n’en reste pas moins possible d’actionner un blocage sélectif des prix, ciblant des produits de première nécessité pour les français. Même si le risque court toujours à moyen-terme sur ces produits, la satisfaction de besoins immédiats de première nécessité reste supérieure aux risques encourus sur certains produits. Le panier anti-inflation semble ainsi être le compromis idéal. 

 

Eliot Senegas 

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