Faut-il taxer les riches ?

 

 

S’il y a bien une question transgénérationnelle qui n’a de cesse d’alimenter les discours politiques, c’est bien cette question de l’imposition des plus riches. Pourtant lorsque certains usent de cet argument lors d’un débat, beaucoup se heurtent à la barrière de l’ignorance. Pour cause ? Avoir des valeurs telles que le partage et l’équité implique de se positionner en faveur d’une redistribution des richesses. Pourtant ceux qui s’y opposent ne sont pas des tyrans égoïstes ou inconscients, ils ont des motivations diverses. S’installe alors un débat profond sur cette question, une question ouverte qui n’a pas de réponse précise et universelle.

 

L’économie n’est pas une science universelle, de fait, sa corrélation avec la politique tend à opposer de grands économistes sur l’utilité même de certaines mesures, voire en ce qui concerne leur nécessité. S’affrontent alors des économistes de différents bords, complexifiant encore davantage cette question qui invite pourtant initialement à une réponse brève de type Oui ou Non.


Alors oui ou non faut-il taxer les riches ?


I. Qu’est ce que l’on entend par riche ?


Fin 2020, on compte près de 2360 milliardaires dans le monde selon les données d’Oxfam, atteignant même un nouveau record de 11 950 milliards de dollars selon la même enquête. Dans le même temps, la crise sanitaire du Covid a entraîné une précarité impressionnante chez de nombreux citoyens, pendant que les plus riches, eux, n’ont eu de cesse de s’enrichir (+41% de la fortune de Bernard Arnault selon Oxfam). Toutefois, ces milliardaires ne représentent pas tous les riches, c’est pourquoi il faut d’abord statuer sur cette interrogation : Qu’est ce que l’on entend par riche ?


Les positions de LFI, premiers porteurs du discours sur une imposition pour les plus riches, n'aident malheureusement pas vraiment à répondre à cette interrogation. Mathilde Panot n’a de cesse de parler des “plus riches”,et des “ultras-riches”, mais aucune donnée chiffrée ou précise ne nous aide à statuer sur la réponse. Allons donc au plus simple, et prenons les milliardaires comme étant “les plus riches” que souhaite par exemple taxer Mathilde Panot. Selon Forbes, on recense 43 français en 2023; ce seraient donc les ultras riches à imposer si  l’on s’en tenait aux discours en faveur de cette taxe.


II. Pourquoi faut-il taxer les riches ?


Avant de rentrer avec précision dans les détails économiques et politiques d’une question aussi vague, la première réponse se révèle être la plus évidente : par décence.

 

Lorsqu’une part importante de la population française peine à subvenir aux dépenses liées à ses faibles revenus en fin de mois; voir des milliardaires vivre de manière inextinguible au-dessus de leurs besoins, laisse planer le doute sur le peu d’humanité qu’il nous reste.

 

Si l’on sort de ces considérations morales et éthiques qui n’ont aucune prétention universelle, et que l’on s’attarde sur des arguments plus concrets, voici ce qu’il faudrait retenir :

 

- Selon les données de Oxfam, la suppression de l’ISF coûte 3,2 milliards d’euros
chaque année à l'État, contre 4,8 milliards d’euros de gains permis par la taxe en
2016.


- La suppression de l’ISF s’est faite au profit d’une nouvelle taxe intitulée le PFU
(prélèvement forfaitaire unique) qui impose le capital à 30% de manière fixe, et non
plus en fonction des revenus. Cette taxe inégalitaire coûte environ 1,5 milliards d’euros à l’Etat par an selon une estimation du gouvernement, bien que ce soient les 10% les plus riches qui bénéficient de près de 2⁄3 de la baisse de l’impôt selon Oxfam.


- Les prélèvements obligatoires des ménages n’ont de cesse d’augmenter pour pallier la baisse des prélèvements obligatoires des entreprises. Ainsi, les 0,1% les plus riches de la population française paient proportionnellement moins d’impôts que 70% de la population selon Thomas Piketty.


- On constate une dégradation évidente des conditions de vie des ménages les plus pauvres. 8 millions de français bénéficient de l’aide alimentaire à la fin de la pandémie, contre “seulement” 5,5 millions avant.


- Selon le syndicat Solidaires Finances Publiques, le montant de l’évasion fiscale des entreprises et des particuliers serait de 80 milliards d’euros. Ainsi, l’inégalité salariale se renforce par une inégalité devant l’impôt de la part des ultras riches (les patrimoines des milliardaires sont imposés de manière effective entre 0% et 0,5% dans le monde selon EU Tax Observatory).


Ces arguments représentent entres autres ceux avancés par la classe politique en faveur d’un rétablissement de l’ISF ou simplement d’une taxation plus forte des riches. Mais ils s’opposent de manière conflictuelle à de nombreux partisans de la suppression de ladite taxe, et voici pourquoi.


III. L’opposition à un surplus de Taxe


- Un libéralisme économique à toute épreuve. Pour certains des économistes les plus libéraux (comme Arthur Laffer avec sa célèbre courbe de Laffer), diminuer les taxes des plus riches (qui sont généralement à la tête des grandes entreprises) entraînerait davantage d'investissements dans les entreprises et donc plus de croissance économique. En somme, diminuer les taxes des plus riches augmenterait certes les inégalités, mais cela augmenterait le niveau de vie des plus pauvres.


- Lutter contre le chômage. Permettre l'investissement de nouveaux capitaux dans une entreprise, permettrait à celle-ci d’investir dans du matériel, certes, mais également dans la création d’emplois, et donc de réduire le chômage.

 

- Lutter contre la délocalisation : Offrir des avantages fiscaux aux entreprises permet à ces dernières de ne pas être tenté par une délocalisation dans un pays avec une politique économique davantage rentable pour leur fonctionnement. En cela, on renforce également l’emploi dans le pays et l’auto-suffisance sur certaines ressources.


IV. Conclusion : Taxer ou libéraliser ?


Il est important de prendre en considération que les ménages les plus riches tirent davantage leur richesse de leur société que de leurs revenus (25% de taxe pour la plupart des entreprises contre 45% pour les revenus personnels).


Il est également important de savoir différencier les revenus d’un ultra riche de ses actions, afin de ne pas confondre le taux d'imposition auquel il devrait se soumettre par exemple. Avant le mandat d’Emmanuel Macron en 2017, la France était le pays d’Europe avec le taux d’imposition le plus fort. La présidence de l’ancien banquier, ainsi que sa position ultra-libérale ne sont donc pas du tout surprenantes. Diminuer le taux d’imposition pour les raisons mentionnées plus haut semble logique lorsque l’on suit de près la politique qu’est résolument décidé à mener le président de la République française.


Si l’on revient avec précision sur les arguments développés précédemment, il est compliqué de se faire un avis tranché sur la question. De toute manière, avoir un avis tranché sur la question implique de ne pas prendre en compte l’ensemble des perspectives défendues par les différents camps.


Refuser de rétablir l’ISF ne veut pas dire être apathique ou complètement déconnecté, simplement avoir un fil conducteur précis pour mener à terme son mandat. En clair, si l’ultra libéralisation de la France pourrait permettre de booster considérablement la croissance économique, il se pourrait que le gain à l’échange de la suppression de l’ISF, plutôt que de son maintien, soit favorable aux plus démunis. Bien que cela creuserait encore davantage les inégalités, le Macronisme se lance dans un nouveau pari qui pourrait bénéficier aux plus pauvres comme aux plus riches.


Ce pari long termiste s’oppose au pari court termiste de LFI. Rétablir l’ISF pour des questions éthiques semble être pertinent, pourtant cela consiste en une confiance aveugle dans les entreprises françaises de ne pas aller chercher de meilleurs avantages fiscaux ailleurs. En clair, rétablir l’ISF et donc probablement diminuer la croissance économique à long terme au profit d’un gain à court terme, est un pari tout aussi risqué.


Tout cela montre bien qu’une question aussi clivante dépend beaucoup de la conjoncture économique et politique de la France à l’instant T, mais aussi de celle présente à l’international, afin d’éviter une récession des conditions de vie sur l’échelle nationale.


Cette question dépend aussi énormément de la prépondérance morale ou économique que chacun va accorder à la question, sans négliger les différentes influences propres à chaque économiste, dont la vision ne peut faire l’objet d’un argument universel. Le positionnement de chacun dépend également de l’environnement socio-économique ayant forgé ses considérations, mettant chez certains une passion utopique et irrationnelle devant un discours plus réaliste.


Ce qu’il convient surtout de retenir après la lecture de cet article, est une réponse simple à une phrase que l’on entend encore souvent : on ne peut donc pas être socialement de gauche et économiquement de droite.

 

Eliot Senegas 

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