France: immunité contre les violeurs?

 

Chaque jour, nos médias relaient des faits divers sur des agressions sexuelles, des peines prononcées à l’encontre d’agresseurs, ou encore une absence de charges suffisantes. Chaque jour un torrent d’incompréhension médiatique accompagne ces informations, vociférant contre le laxisme de la justice française, son incompétence… 

 

Selon les chiffres officiels du Ministère de l’Intérieur publiés le 31 janvier 2023, ce sont près de 38 400 plaintes qui ont été déposées en 2022 pour agression sexuelle. Parmi ces chiffres, on retrouve environ 17 280 plaintes concernant des viols ou des tentatives de viol selon le même organe. Ce sont donc plus de 105 plaintes pour agressions sexuelles qui sont déposées chaque jour dans l’hexagone. Effrayant

 

Ce chiffre, déjà colossal, représente en réalité une immense minorité des agressions sexuelles commises en France. Ainsi, dans l’hexagone, il y a uniquement entre 5 et 10% des victimes de viol qui portent plainte, et seulement 1 à 2% des viols qui aboutissent à une condamnation des auteurs en cour d’assises. “Ces chiffres s’accordent mal avec la réprobation sociale qui semble entourer ce crime”, déclare la sociologue Véronique Le Goaziou, auteure d’une synthèse de recherches sur les plaintes pour viols. Ce sont donc uniquement une immense minorité des viols qui sont condamnés, déshumanisant complètement les belles valeurs portées par notre justice. 

 

En effet, il est souvent complexe de porter plainte pour agression sexuelle lorsque l’on prend en compte différents facteurs interférant dans cette volonté d’assignation de l’agresseur en justice. L’assemblée nationale révélait ainsi dans une enquête que l’agresseur s'avérait être le conjoint ou l’ex-conjoint de la victime dans 45% des cas, illustrant l’une des nombreuses barrières à la plainte chez les victimes. L’enquête ajoute que dans une immense majorité des cas, la victime connaît son agresseur. Dans une grande proportion des cas, les mécanismes psychologiques entrent en jeu et sont plus forts que le déliement de la parole. 

 

Cet article, focalisé sur le processus d’assignation en justice d’un agresseur par une victime, ne prend ainsi pas en compte l’impact psychologique d’un viol, dont la complexité requiert a minima un article étayé sur le sujet. 

 

Malgré tout ça, pourquoi les peines sont-elles aussi faibles ? Pourquoi les agresseurs ont-ils aussi peu de chances d’être condamnés par la justice française? 

 

Rédiger ces mots dans un pays qui porte fièrement l’étendard de garant des libertés individuelles et des droits inhérents à la citoyenneté semble être ironique. Pourtant aujourd'hui, il semble malheureusement avéré d’affirmer qu’un agresseur sexuel n’encourt que très peu de risques dans notre pays. 

 

Tout d’abord, il est essentiel de revenir à des définitions de base. 

 

I. C’est quoi une agression sexuelle?

 

Un simple délit d’agression sexuelle représente des caresses ou des attouchements sexuels commis sans consentement et avec surprise, menaces, contraintes ou violences. La peine maximale encourue est de 5 ans pour ce genre de délits. 

 

Un viol représente quant à lui une agression sexuelle qui est caractérisée par une pénétration vaginale, anale ou buccale exercée sous la contrainte ou la surprise avec le

sexe de l’auteur, ses doigts ou au moyen d’un objet. Ici, la peine maximale encourue pour ces crimes est de 15 ans. 

 

Mais alors si on voit davantage de peines inférieures à 5 ans que supérieures à 5 ans, cela est dû au fait que « la quasi-totalité des auteurs de viols poursuivis sont renvoyés devant un tribunal correctionnel par le parquet », constate la sociologue Véronique Le Goaziou. C’est le procureur ou le juge qui vont demander à ce que ces crimes de viol soient requalifiés en délits d’agressions sexuelles, omettant ainsi la pénétration dont a été victime la/le plaignant.

 

II. La correctionnalisation des affaires de viol 

 

En droit français, lorsqu’un conflit oppose la société à un élément potentiellement dangereux, on se tourne vers la branche pénale. Parmi cette dernière on peut retrouver les cours d’assises (pour les crimes), et les tribunaux correctionnels (pour les délits). Ainsi, en principe, une plainte pour viol (considéré comme un crime selon les termes du code pénal), doit se tourner vers une cours d’assises. 

 

Un passage en correctionnel plutôt qu’en cours d’assises est moins long pour les victimes (l’attente est parfois insoutenable), et également moins coûteux pour l’Etat: tout le monde est gagnant sur le papier. 

 

Les procureurs/juges d’instruction, prescrivant le tribunal correctionnel plutôt que les assises, avancent comme argument que les magistrats sont plus sévères et compétents qu’un jury populaire. Or, dans les faits, il n’en est rien puisque les peines de prison ferme sont largement supérieures aux assises, relève l’étude de Véronique Le Goaziou. 

 

Il est évident que “La correctionnalisation se fait nécessairement avec l’accord de la victime, explique Jacky Coulon, de l’Union Syndicale des Magistrats. Elle a toujours la possibilité de refuser”. En effet, selon le code de procédure pénale, pour qu’un viol soit correctionnalisé, il est nécessaire que la victime ne s’y soit pas opposée. Toutefois, les échanges se font 

majoritairement entre les avocats et les juges, en omettant parfois de laisser la possibilité à la victime de mettre des mots sur ce qu’elle ressent, de témoigner de sa volonté en tant que victime, et de comprendre les réels enjeux d’une correctionnalisation

 

En réalité, si les juges et procureurs sont aussi insistants pour la correctionnalisation de ces affaires, c’est surtout par rapport à l’afflux toujours plus grand d’affaires devant la cour d’assises. Il serait donc impossible pour cette juridiction de traiter d’une manière pleinement efficace l’ensemble de ces cas, ce qui conduirait ainsi à leur relégation au correctionnel. “Avec les moyens qui lui sont alloués actuellement, la Justice exploserait si elle devait juger aux assises tous les viols qui sont portés à sa connaissance”, déclarait ainsi Véronique Le Goaziou. 

 

La différence entre ces deux juridictions se fait également dans l’impact que cela peut avoir sur la victime. Bien que cela puisse paraître difficile de poser les mots sur une atrocité pareille, la victime est en mesure de véhiculer ses émotions devant un jury populaire ainsi que les différentes parties. A cet effet libérateur s’ajoute la confrontation avec la version de l’accusé, qui doit également se livrer à un examen de sa personne ainsi que de la situation

présente. Le correctionnel, au contraire, n’offre pas la possibilité de revoir les faits avec autant de précisions, puisque cette juridiction survole davantage les affaires. 

 

En plus du changement de la peine, le délai de prescription change, passant de vingt à dix ans pour les mineurs, et de dix à trois ans pour les majeurs. Ce rabais possède des conséquences énormes, car beaucoup de victimes ne prennent conscience de ce qui s'est passé que quelques années après le viol qu’elles ont subi. 

 

Aujourd’hui, si l’on reprend les chiffres de la commission parlementaire proposée en 2011, on compterait pas moins de 80% des viols requalifiés en délits. Un chiffre énorme qui vient exemplifier la faible proportion de peines supérieures à 5 ans pour des questions de viols, tout en mettant en lumière les faiblesses de notre système juridique. 

 

III. Justice française: coupable ou victime de son incompétence ? 

 

En 2016, la commission européenne pour l’efficacité de la justice publie une enquête dans laquelle elle compare des données sur l’effectivité des institutions juridiques entre chaque pays. L’hexagone consacre seulement 64 euros par habitant à la justice, contre 108 euros 

en Allemagne. De plus, selon la même enquête, chaque procureur français reçoit plus de 2 500 dossiers par an, contre 875 en Allemagne. 

 

Ainsi, l’engorgement et le manque de moyens des tribunaux français empêche de traiter de manière efficace et complète les affaires en tout genre, tout en repoussant les victimes dont l'attente du procès est psychologiquement insurmontable. « On n’arrive pas à écluser le stock de dossiers. En cas de viol ou de vol avec violence, si le prévenu n’est pas en détention, on le jugera trois ans après la clôture de l’instruction, cinq ou six ans après les faits. C’est insupportable pour les victimes comme pour les prévenus », s’exclamait une magistrate de Bobigny dans Libération

 

En allant à l’encontre de principes constitutionnellement garantis en rendant impossible le jugement correct d’affaires, l’Etat se retrouve accusé de “déni de justice” par certaines victimes révoltées. L’état de la justice française est souvent critiqué, et son engorgement semble être l’exemple le plus probant pour témoigner de sa situation. Les magistrats français ne sont donc pas moins compétents, pas moins sensibles sur les questions d’agressions sexuelles que leurs voisins européens: ils sont simplement surchargés. 

 

La justice française, victime de moyens insuffisants, est ainsi désignée comme coupable de son incapacité à traiter l’intégralité des questions de viol. Il est pourtant nécessaire pour assurer la stabilité d’un État, que d’assurer sa capacité à protéger ses citoyens des dangers potentiels. Ainsi, l’Etat, en négligeant ces questions, remet donc en question le fondement même de son organisation. 

 

En tant que citoyen français, il nous paraît légitime, et moralement juste, de demander une revalorisation du statut accordé à ces questions. L'état de notre justice ne doit pas être laissé pour compte lorsqu’elle impacte autant ceux qu’elle doit protéger. 

 

Plus que nécessaire, il est vital de changer les choses. Prendre position sur cette question ne nous semble pas être un avis mais simplement un devoir moral. Il est honteux que dans le berceau européen de la démocratie et de toutes les belles valeurs qui l’accompagne, une femme, un homme victime d’une agression sexuelle ne se sente pas légitime d’en parler, voire pire, ne se sente pas écouté. 

 

Ainsi, nous condamnons l’incompétence de la justice française, et sa laxité concernant ces questions d’intérêt général. Indignés et frustrés, nous demandons à la justice française, avec le peu de portée médiatique dont nous sommes titulaires,  de représenter la France et ses valeurs, et de condamner fermement le viol.

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