L'évolution du rap depuis les années 2000 a-t-elle tué le rap mainstream ?

 

Photo prise par Lou Marco Crepelle lors d'un concert de Damso

 

Depuis les années 2000, où le rap a connu son premier âge d’or, la démocratisation d’Internet et des services de streaming ont bouleversé les pratiques de consommation et de production musicale. Alors que le nombre de propositions artistiques et la demande des consommateurs augmentent, la disparition du rap mainstream (conforme aux standards de la mode) est-elle une supposition légitime ?

 

Dans les années 1990-2000s, le rap français connait un véritable essor avec les albums iconiques de Diam’s, IAM ou encore NTM. Puis dans les années 2000, le rap ne se limite qu’à un seul et même genre dominant, le gangsta rap, directement importé des États-Unis, où la crédibilité et la validation par les pairs est primordiale. Les paroles sont politiquement chargées, souvent contestataires, et cherchent à donner une voix aux jeunes de banlieues. Le rap était aussi reconnaissable à ses voix brutes, non modifiées, qui posent sur des instrumental boom bap, relativement lentes et avec des boucles issues de sample. Enfin, le rap était un mouvement de niche, avec un public très réduit en partie car les albums étaient moins accessibles. La production musicale étant coûteuse, on ne comptait que quelques têtes d’affiche du rap qui étaient écoutées par tous les amateurs de ce genre musical.

 

Désormais, le paysage rap est divisé en des dizaines de propositions et de styles différents, avec chacun ses représentants et ses étoiles montantes. Il n’existe plus « un » rap, il existe « du » rap. Les rappeurs n’ont plus besoin d’être spécialement crédibles dans leur rôle, et les textes sont moins contestataires, moins fournis en revendications politiques. On retrouve aussi bien des voix brutes que des voix modifiées, autotunées, qui posent sur des productions diverses aux inspirations multiples. Enfin, le rap a séduit un très large public, les albums sont moins coûteux grâce notamment au streaming. La production musicale est elle aussi plus accessible, multipliant le nombre de propositions et de rappeurs.

 

Ces différences majeures entre les deux ères du rap s’expliquent par le développement de trois éléments : Internet, les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. L’expansion de ces trois éléments ont conduit à l’ouverture de la musique, et spécifiquement du rap, autant pour les consommateurs que pour les artistes.

 

Pour les consommateurs, grâce aux plateformes de streaming, le prix pour écouter de la musique a drastiquement diminué, passant d’une dizaine d’euros par album à une infinité d’albums pour le même montant. Et grâce à ce service, la musique est stockée sur un serveur et permet à l’utilisateur d’écouter n’importe quel album, où il le souhaite et quand il le souhaite, ce qui était impensable dans les années 2000.

 

Pour les artistes, plus besoin de signer en major pour publier et promouvoir de la musique. De nombreux logiciels et services permettent aux rappeurs de s’auto-produire et de publier leur musique sur les plateformes de streaming, et ce sans signature de contrat avec de grosses entreprises. Concernant la promotion, elle est directement faite par l’artiste lui-même sur ses réseaux sociaux.

 

La production et la consommation de musique ont toutes les deux pu augmenter au même moment, ce qui a donné l’explosion du marché que l’on connait. Si 49% de la musique écoutée en streaming en 2022 était du rap selon le Centre National de la Musique (CNM), ce n’est pas sans raison. Et cette croissance fulgurante n’est pas sans effets sur le paysage rap.

 

Dorénavant, le rap n’est plus identifiable à une rythmique ou une sonorité précise. Il puise ses inspirations dans plusieurs genres musicaux, en empruntant les codes du rock, du jazz ou de l’électro. Et inversement, la pop ou la variété empruntent des codes du rap. Ainsi, le rap est divisé en de nombreux sous-genres (new wave, hyperpop, drill…) et il est maintenant plus difficile de trouver un artiste qui convient à un public toujours plus éclectique. Aussi, les artistes tentent moins d’être au sommet du rap francophone mais essaient simplement de creuser certaines idées et d’imposer leur style. Il y a donc moins de prétendants au trône.

 

Cette diversité dans le public rap correspond néanmoins à la diversité de propositions disponibles sur les plateformes de streaming. Cette capacité à autant varier ses écoutes peut conduire le consommateur à moins s’attacher à une seule tête d’affiche mais plutôt à plusieurs artistes. Il n'y a donc plus un roi universel du rap comme cela pouvait être le cas à l’époque de Booba, mais plusieurs rappeurs influents. Ce phénomène est parfaitement illustré par les salles choisies pour les concerts : de plus en plus d’artistes remplissent La Cigale (1 477 places) mais moins parviennent à remplir un Bercy (18 000 places). Il y a donc plus d’artistes moyens (en termes de popularité) et moins de gros artistes.

 

On peut tout de même retrouver une certaine forme de rap mainstream dans les récentes propositions de Gazo ou de Tiakola, qui se sont entourés de featurings très variés et ont publié des propositions nouvelles pour ainsi satisfaire une grande partie du public rap francophone. D’autres rappeurs tentent de finir en tendance, de devenir mainstream, en profitant de la hausse de popularité offerte par la viralité des réseaux sociaux, en particulier de TikTok. On constate aussi l’effet inverse avec Laylow, qui semblait être destiné à un succès d’estime et qui a su imposer son style et conquérir un public très large. De ce fait, si le rap s’est diversifié ces dernières années, grâce notamment à l’expansion du streaming, il demeure des artistes capables de fédérer une grande partie du public rap, sans pour autant en satisfaire l’intégralité.

 

Lou-Marco Crepelle

 

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