L'hypersexualisation des jeunes filles au cinéma : le rôle de Natalie Portman dans Léon

 

Extrait du film "Léon"

 

En 1994, Léon, écrit, réalisé et coproduit par Luc Besson, sort sur les grands écrans en France. Ce film noir qui, combine de l’action, de la comédie, de la romance et du drame, connaît un succès fulgurant. 

 

L’histoire se déroule à New York. Léon, incarné par Jean Reno est un tueur à gage très solitaire, analphabète et très attaché à sa petite plante verte. Sa voisine de palier, 12 ans, est incarnée par Natalie Portman. Elle s’appelle Mathilda Lando. C’est une jeune fille intelligente et livrée à elle-même car confrontée à la violence psychologique et physique de ses parents. Son père est un dealer défaillant qui la bat, et sa belle-mère la méprise. Un matin, alors que Stanfield, un inspecteur corrompu et psychopathe, est en train de massacrer sa famille, elle trouve refuge chez Léon. A la suite de ce drame, ils conclurent un pacte initié par Mathilda. Léon doit alors lui apprendre à « nettoyer » (tuer), et en échange de cet apprentissage, Mathilda l’aidera au quotidien. 

 

C’est alors qu’une relation fusionnelle naît entre eux, qui s’apparente à un amour interdit. La nature de leur relation reste équivoque, puisqu’elle lie d’affection un homme très solitaire et une jeune adolescente qui découvre sa féminité. En outre, on aperçoit une certaine dualité de personnalités dans le personnage de Mathilda, entre la petite fille en quête d’affection paternelle et l’adolescente responsabilisée très jeune par les difficultés de la vie. On peut alors ressentir à certains moments, chez elle, cet amour profond qu’elle ressent pour Léon qui est confus; dissociant alors son affection, son amitié et ses désirs envers cette représentation paternelle qu'est Léon. 

 

Natalie Portman, alors âgée de 12 ans lorsqu’elle interprète le rôle de Mathilda, découvre elle aussi sa féminité. Son corps change, sa voix se révèle et ses désirs apparaissent. Elle devient une jeune femme. 

 

Quand le film sort, elle est âgée de 13 ans, elle est très enthousiaste. Elle devient ce qu’elle a toujours voulu être: comédienne. Ce rôle va pouvoir révéler le talent de cette jeune actrice et cela va lui permettre de lancer sa carrière de comédienne. Elle enchaînera les petits rôles aux côtés des plus grands acteurs et réalisateurs. En effet, en 1995 elle joue dans « Heat » au côté d’Al Pacino. En 1996, elle joue dans « Tout le monde dit I love you » de Woody Allen et la même année dans « Beautifuls Girls » au coté d’Uma Thurman. En 1999, elle incarne le rôle de Padmé Amidala dans Star Wars. 

 

En revanche, par le personnage de Mathilda, Natalie Portman sera sexualisée sans limites, elle parlera plus tard de « terrorisme sexuel ». Sa première lettre de fan, n’est rien d’autre qu’un homme qui lui avoue son plus grand fantasme : la violer. Une radio locale fait un décompte tous les jours, jusqu’à ses 18 ans, âge où il sera légal de coucher avec elle. Les premières critiques cinéphiles se réduisent à des remarques sur sa poitrine naissante. La voila confrontée très jeune à un système qui l’hypersexualise du haut de ses 13 ans, ce qui et cela affectera sans surprise sa vie de jeune-femme.

 

L’hypersexualisation est définie par la sexologue Jocelyne Robert comme un phénomène sociétal de « représentation de l’enfant comme une sorte d’adulte sexuel ». Ce phénomène est très préoccupant dans notre société, puisqu’il représente un frein à l'épanouissement des jeunes-femmes. L’hypersexualisation les réduit uniquement à un usage à caractère sexuel. D’autant plus que ce phénomène véhicule les stéréotypes de la jeune femme sensuelle, sexy, mais légèrement fragile et surtout très innocente, laissant son corps en libre disposition. L’hypersexualisation, en plus de tirer son origine d’une société patriarcale machiste, est donc sexiste. 

 

On peut tout de même s’interroger sur le rôle de Mathilda et sur la genèse d’écriture du film. L'hypothèse selon laquelle Luc Besson se serait inspiré de la relation amoureuse qu’il entretenait avec la comédienne Maïwenn alors qu’elle avait 15 ans et lui 32 ans, a été émise par de nombreux internautes. 

 "Il a réalisé Léon, l'histoire d'une fille de 13 ans et d'un monsieur de 35 ans ; à l'époque, j'en avais 16 et lui 32. Personne n'a relevé le côté autobiographique." révélait l’actrice au magazine L’Express Styles. 

 

Ce témoignage fait sens dans la mesure où, le personnage de Mathilda a été imaginé par un homme visiblement attiré par les adolescentes. Son regard sur les jeunes femmes aurait donc pu attribuer inconsciemment ou consciemment des caractères sexuels à Mathilda, l’hypersexualisant d’avantage. En effet, on peut observer qu’elle utilise excessivement des stratégies corporels dans l’objectif de séduire Léon. 

 

     On peut notamment apercevoir ce procédé dans une scène où elle entreprend un jeu de mimes de différentes femmes célèbres plus âgées, en faisant des mouvements très sensuels pour leur ressembler le mieux que possible. En outre, on sait que certaines scènes ont été coupées à la demande des parents de Natalie Portman, les jugeant inadaptées pour une jeune fille de son âge. Par exemple, Mathilda devait prétendre qu’elle avait 18 ans, ou bien lui demander de faire l’amour avec lui. La véritable fin prévue par Luc Besson envisageait que Mathilda retrouve le corps de Léon agonisant et l'embrasse. Cependant, il existe une version longue sortie en 1996, dans laquelle, des scènes exposent explicitement cette relation ambiguë, dans lesquelles on peut par exemple apercevoir Mathilda qui joue à la roulette russe pour forcer Léon à admettre qu’il l’aime. 

Ces scènes sont dérangeantes lorsqu’on sait qu’elles proviennent de l'imagination d’un homme qui durant le tournage entretenait toujours une relation avec la comédienne Maïwenn alors qu’elle avait 17 ans. 

 

"J'étais tout à fait consciente du fait que j'étais présentée comme cette Lolita. Être sexualisée dès l'enfance m'a éloignée de ma propre sexualité", avait ainsi raconté Natalie Portman au micro de Dax Shepard dans le podcast Armchair Expert. "Jusqu'à la vingtaine, je me suis dit 'Je ne veux pas de scènes d'amour ou de baiser'. J'ai commencé à choisir des rôles moins sexy parce que la façon dont on pouvait me percevoir m'a beaucoup inquiétée, et parce que je ne me sentais pas en sécurité", confiait-elle. 

 

A ses 16 ans, elle refuse le rôle de Lolita dans l’adaptation cinématographique par Adrian Lyne du livre de Vladimir Nabokov, afin de se protéger de l’hypersexualisation dont elle est victime. Elle adapte alors son comportement, pour ne plus renvoyer l’image sur les écrans, d’une jeune fille qu’on pourrait réifier en instrument de fantasme. Elle se forge alors une image de jeune fille intellectuelle, travailleuse, sérieuse, pour être perçue comme une actrice qui doit être respectée à sa juste valeur et non érotisée pour son corps. 

 

Cette image créée par défaut est finalement accompagnée par cette prise de conscience très jeune qu’elle a eu sur la nocivité de cette société patriarcale. De là sont nés ses premiers engagements et sa force de caractère. Plus tard, elle parviendra à affirmer sa personnalité et à assumer sa puissance féminine dans d’autres rôles tel que dans Closer (2004) dans lequel elle joue une femme qui vit une histoire d’amour enlisée dans la passion et la trahison avec un écrivain. 

 

Sa voix de femme a permis d’ouvrir le débat sur l’hypersexualisation des jeunes filles dans le cinéma et les conséquences que cela pouvaient avoir sur leur vie de femme. 

Il aura fallu attendre plusieurs générations pour prendre du recul sur ce film, qui était visualisé comme un chef d'œuvre cinématographique. Maintenant, ce type de film ne passe plus et cela démontre le progrès de notre société, visiblement plus sensibilisée et dénonciatrice des relations malsaines et d’emprise entre des jeunes filles et des hommes. 

 

En France, le tout nouveau film “Le consentement” de Vanessa Filho inspiré du livre “Le consentement” de Vanessa Springora permet de dénoncer ouvertement les relations d’emprise et les comportements pédophiles de Gabriel Matzneff dans les années 70, 80, et l’hypersexualisation des jeunes filles par des hommes adultes. 

 

Cette prise de conscience tardive de cette hypersexualisation au cinéma, ouvre la porte à une reconnaissance accrue de ces phénomènes problématiques. La mise en lumière permettra sans aucun doute de délier des langues.

 

Sarah De Solere 



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