La Haine de Mathieu Kassovitz, la dé-diabolisation des cités par le cinéma

 

Vincent Cassel face à son miroir, La Haine, Crédit : Pinterest

 

1990. Depuis près de deux décennies déjà, les émeutes populaires, soulèvements de jeunes dans les quartiers, font la une de la presse. Marginalisation sociale, exclusion du marché économique, contrôle au faciès; les revendications populaires sont nombreuses et animent les différents troubles à l’ordre public qui secouent le pays. 

 

De Lyon en 1970, jusqu’à la France entière à la fin du XXème siècle, ces “violences urbaines” se propagent rapidement dans l'ensemble de l’hexagone, et dressent un portrait bilatéral du conflit : les cités contre les forces de l’ordre. 

 

Les médias s’emparent du sujet, et couvrent tant bien que mal les évènements, en tentant de mettre en lumière les revendications des deux camps. Mais cela ne suffit pas. Las d’être ignoré et rejeté, ou encore filmés comme des animaux dans un zoo, la violence constitue désormais le seul moyen de riposte légitime aux yeux des insurgés. 

 

C’est alors que Mathieu Kassovitz décide de traiter le sujet différemment des médias, en immersion avec ceux qui sont constamment décriés comme des délinquants écervelés. S’ensuit alors un tournage avec une performance légendaire de Vincent Cassel, que ce soit dans sa prestance et dans la justesse de son interprétation, que dans l’impact significatif que ce rôle aura sur sa carrière. 

 

Le film

 

Mathieu Kassovitz met en lumière 3 jeunes de banlieue, représentant l’essor du Black Blanc Beur contre la propagande raciste rabachée par les médias qui couvrent les évènements. On retrouve ainsi Vinz (Vincent Cassel), Hubert (Hubert Koundé), et Saïd (Saïd Taghmaoui). Les 3 jeunes garçons sont issus d’une famille pauvre, recluse dans un HLM et confrontés quotidiennement à la violence, la misère, et la “débrouille”. 

 

Vinz, la tête brûlée de la bande, est mis en scène comme un personnage colérique et impétueux. Saïd, quant à lui, est représenté comme le petit comique de la bande, et comme le liant entre les deux vrais protagonistes du trio. Hubert, enfin, est le plus réfléchi du groupe, il permet de faire la balance avec la fougue de Vinz. 

 

Le film se déroule en une seule journée, dans laquelle le réalisateur nous plonge en immersion dans la bande de potes. Tout commence lorsque la veille au soir une émeute a ébranlé la capitale. Entre conflits contre la police, et dégradation de biens matériels, les soulèvements populaires agitent les rues de Paris. Cette émeute fait suite à la bavure policière qui a eu lieu quelques jours auparavant sur un jeune homme de la cité, Abdel Ichaha, durant une garde à vue. Le policier, qui aurait été démis de ses fonctions depuis, avait plongé Abdel dans un coma profond à la suite d’un interrogatoire musclé. 

 

Le film met ainsi en lumière une jeunesse révoltée par l’impunité des forces de l’ordre, ainsi que par les bavures auxquelles ils s’exposent quotidiennement du simple fait de leur relégation territoriale en banlieue. 

 

Les jeunes amis sont ainsi au cœur d’une cité bouillonnante, qui n’attend qu’une étincelle pour littéralement faire exploser toute la rage accumulée au cours des dernières semaines. La poudre qui va permettre d’allumer cette étincelle, c’est la tête brûlée de la bande qui va la trouver. En clair, Vinz trouve dans la cité une arme de service perdue par un des policiers lors des répressions de l’émeute de la veille. 

 

Il s’en empare alors, et se fait le serment de tuer un policier si Abdel, encore dans le coma, succombe à ses blessures. Lorsqu’il s’en vante auprès de Hubert et Saïd, sa divergence avec Hubert va fortement dégrader leur relation. L’un considère qu’une mort doit en entraîner une autre, tandis que l’autre sait que la réclusion à perpétuité aura raison de son ami. 

 

S’ensuit alors un véritable tournant dans le film, l’objet n’étant plus de protester contre les bavures, mais de s’en venger. Vinz range son pistolet dans sa poche, et son attitude commence à changer, comme s’il n’avait pas les épaules pour assumer un tel poids sur la conscience. Au fur et à mesure que le film avance, il devient de plus en plus anxieux, insultant à tout va en laissant ses émotions le submerger. 

 

Lorsque les policiers déboulent dans la cité dans l’après-midi pour tenter de retrouver l’arme, Vinz aura l’opportunité d’en abattre un dans un sous-sol, avant que Hubert ne donne un coup de poing puissant au policier qui tombe par terre. Mais Vinz continue de porter cette pression sur ses épaules, et est de plus en plus tendu lors d’une interaction sociale extérieure. 

 

Le trio décide alors de monter à Paris en fin d’après-midi pour récupérer une dette et voir un ami combattre. Mais à peine sortis d’un immeuble, Hubert et Saïd se font contrôler par des policiers tandis que Vinz parvient à s’échapper, son pistolet de policier dans la poche. 

 

La scène suivante s’ouvre sur un interrogatoire sanglant. Deux policiers montrent à un nouveau comment faire souffrir le plus intensément possible les deux prévenus, sans basculer dans la bavure. Coups de poings et étranglements, Hubert et Saïd sont à la merci d’une violence racialement motivée. Derrière cette scène, Kassovitz nous rappelle le véritable objet de la quête des protagonistes, se battre pour leur ami dans le coma à la suite d' une bavure policière. Dans le contexte immédiat, eux-aussi ont le sentiment qu’ils vont y passer. 

 

Relâchés après une garde à vue musclée, ils retrouvent Vinz à la gare, contemplant avec dépit leur dernier train quitter le quai sans eux. 

 

Livrés à eux-mêmes, ils sont condamnés à passer la nuit seuls dans Paris, en arpentant les rues sombres de la capitale. Ce répit accordé par le réalisateur sera de courte durée puisqu’une rixte débute entre le groupe et des skinheads. Pris à parti par 5 individus, ils s’en sortent lorsque Vinz dégaine son pistolet en menaçant de tirer sur l’un des agresseurs. Ses camarades en fuite, l’individu est traîné par le trio à l’abri des regards, dans une sorte de cave. 

 

Vinz, fou de rage et dépassé par ses émotions, pointe son arme sur la tempe de l’homme qui le supplie de le laisser en vie. Hubert murmure à l’oreille de Vinz de tirer, de prendre ses responsabilités, d’assumer les paroles qu’il tient depuis qu’il possède l’arme. Vinz monte en pression, l’atmosphère tendue est accentuée par les plans de caméra, tandis que le spectateur est en haleine; puis soudain, Vinz baisse son arme, et se baisse pour cracher des relents de vomi. 

 

Hubert le sait, son ami n’est pas un monstre, il est simplement l’archétype d’un jeune de cité embrigadé dès son plus jeune âge dans la violence quotidienne. 

 

Les jeunes terminent par prendre le train à l’aube non sans quelques péripéties, et finissent par arriver dans leur cité. Vinz confie le pistolet à Hubert, conscient qu’il est trop fougueux pour en assumer les responsabilités. 

 

Le film semble toucher à sa fin, quand soudain, une voiture de police arrive et interpelle Saïd et Vinz. Hubert qui s’était éloigné, s’approche, pistolet à la main, en regardant ses amis se débattre contre des policiers qui abusent de leur pouvoir. L’un d’eux tient Vinz en joue et s’amuse à le provoquer, tout en le faisant bouillir intérieurement. 

 

Soudain, le policier qui braquait son pistolet sur la tempe de Vinz, tire par accident sur le jeune homme, qui s’écroule aussitôt par terre. Hubert, fou de rage, pointe son pistolet face à l’inspecteur, qui l’imite instantanément. 

 

Les deux se regardent, sous l'œil impuissant de Saïd qui ne peut que regarder la scène affalé sur la voiture sous le poids d’un policier. 

 

Ils désactivent la sécurité, se rapprochent l’un de l’autre tout en se fixant, puis l’écran s’éteint, un bruit de balle résonne. Puis plus rien. 

 

Dépasser le film 

 

Ce film retrace la manière dont les émeutes populaires se sont dressés contre les forces de l’ordre suite à de nombreuses bavures, en répliquant à la violence, par la violence. 

 

Il s’inscrit aussi dans une volonté de dé-diaboliser les cités, constamment catégorisées comme violentes, sans volonté de s’intégrer, au chômage. 

 

Le réalisateur vient alors poser la question suivante : si le système les formate à agir de la sorte, faut-il les blâmer eux, ou le système ? 

 

Avant d’être un chef d’oeuvre de réalisation, dans les plans, le casting ou encore le choix du noir et blanc; ce long-métrage est avant tout une immersion dans le camp des insurgés, des délinquants. 

 

C’est avant tout une immersion pour comprendre, puisque la violence n’émane pas de ces individus rebelles, mais du système. 

 

Eliot Senegas 

Évaluation: 3.8 étoiles
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