Le sport est-il méritocratique ?

 

 

La méritocratie est la croyance en un système où les individus méritants ont les meilleures places de la société. Ainsi, dans une société méritocratique, toute personne, peu importe son groupe social, peut accéder à n’importe quel métier par le travail qu’il fournit s’il le mérite réellement. 

 

Est-ce le cas dans le monde du sport ? Si le foot est souvent qualifié « d’ascenseur social », il est souvent reproché à la formule 1 de cultiver un entre-soi. 

 

Méritocratie et Formule 1

 

Le parcours type d’un coureur de formule 1 commence dès l’enfance par la pratique du karting. Cependant, le coût de cette activité est peu abordable. Pour faire du karting, il est en effet nécessaire d’avoir un kart de compétition (de 3 000 à 10 000 euros pour un kart neuf), un équipement (qui varie entre 500 et 1 500 euros), une licence (environ 300 euros par an). Il faut aussi compter des frais d’inscription pour les courses (entre 50 et 200 euros par course), l’entretien des voitures et l’essence. 

 

Cette discipline ne peut donc pas être exercée par tout le monde. S’ajoute à cela le fait qu’après avoir pratiqué le karting, les coureurs de formule 1 en puissance doivent obtenir une licence de la FFSA. Licence uniquement accessible via l’école payante de la fédération, où l’année coûte 100 000 euros.

 

Le peu de licenciés au FFSA démontre que ce type de sport n’est pas accessibles à tous : en 2023, la FFSA compte environ 50 000 licenciés en France, quand la fédération française de judo en compte 500 000, soit dix fois plus.

 

Il est aussi intéressant d’observer les liens qu’entretiennent les coureurs de Formule 1 avec leurs sponsors ou les chefs de leurs écuries : Mick Schumacher est pilote de Formule 1 depuis 2019. S’il ne brille pas par ces résultats (il arrive 19ème et 16ème dans les championnats du monde de formule 1 en 2021 et 2022). Sa présence sur la ligne de départ est en grande partie expliquée par l’influence de son père Michael Schumacher, sept fois champion du monde, dans le monde du sport automobile.

 

De la même manière, Esteban Ocon a été remplacé au sein de l’équipe Racing Point F1 par le moins performant, Lance Stroll, fils du milliardaire qui possède cette équipe. 

 

Ces phénomènes sont tellement courants en formule 1 qu’un nouveau terme est apparu : un « pilote payant » désigne ainsi un pilote qui a payé pour obtenir sa place dans une équipe.

En utilisant la situation sociale de leurs parents pour obtenir des avantages, Stroll et Schumacher (et ce ne sont pas les seuls), font du « népotisme » ce qui contribue à la reproduction d’inégalités en favorisant leurs proches.

 

La F1 est donc inaccessible aux individus ne possédant pas le capital économique ou social nécessaire et participe à la reproduction des inégalités. Ces mêmes inégalités se reproduisent dans les gradins. En effet, les Grand Prix et courses sont des lieux de « networking » ou les individus viennent plus pour travailler leurs réseaux que profiter du sport et se détendre. Ce phénomène n’existe pas dans les sports plus populaires ou le but est simplement de passer un moment agréable. 

 

De ce fait, le prix des places est inaccessible pour la plupart des gens : Le Grand Prix de Monaco, propose un forfait coûtant 13 433 $ pour les deux jours de compétition. Cette somme peut paraître démesurée comparée à la finale du top 14 de rugby (40 euros en  2021) mais elle garantit et permet de cultiver un entre-soi dans les tribunes.



Le football : antagoniste de la Formule 1? 

 

Le football  est souvent pris en exemple pour ses émouvantes « success story » ou un enfant peu privilégié devient une star internationale. 

 

C'est par exemple le cas de Maradona qui a grandi dans un bidonville ou de Messi dont la mère est femme de ménage et le père ouvrier.

 

Beaucoup de joueurs s’expriment sur le fait que le football a été pour eux un ascenseur social et comment leur métier les as extirpés de leur condition : l’exemple du défenseur de Manchester city, Kyle Walker, qui après avoir gagné la ligue des champions se remémore du manque de moyens de sa mère lors de son enfance et insiste sur son parcours pour arriver là où il est actuellement est frappant. 

 

Preuves vivantes que le talent est récompensé, omniprésents sur les terrains et les plateaux télés qui raffolent et alimentent les narratives d'enfances tragiques, les footballeurs sont de véritables individus « transclasses ». C’est-à-dire, des individus qui ont changé de classe sociale.

 

À première vue, le foot est donc un terrain qui permet l’élévation sociale des membres avec le plus de talents, donc ceux qui le méritent le plus.

 

Cependant, le phénomène de starification de certains footballeurs n’est pas représentatif de l’ensemble du monde du football. D’autres facteurs entrent en jeu et influent sur la faculté des joueurs à accéder à la même reconnaissance sociale (statut, gloire…) ou aux mêmes salaires que les footballeurs formés dans les grands clubs.

 

En dehors des footballeurs jouant dans les clubs les plus influents du marché européen, il existe une masse de footballeurs moins connus, soumis à une forte compétition qui les rend vulnérables au chômage. Selon le FIFpro (syndicats des joueurs professionnels) en 2016,  45 % de joueurs dans le monde gagnent moins de 1 000 $ par mois et seulement 2 % ont un salaire annuel supérieur à 720 000 $.

 

De plus, le monde du foot est dominé par certaines ligues qui raflent la majorité des titres et des trophées. Malgré un développement du football en Arabie Saoudite, la majorité de ces ligues dominantes sont européennes. L’investissement des pays en voie de développement dans le sport n’est pas une priorité. La France, reconnue pour former d’excellents footballeurs (de Thierry Henry à Kylian Mbappe) possède 26 centres de formations pour les jeunes joueurs. Les joueurs présents dans les pays où moins de moyens sont investis n’ont pas les mêmes opportunités de carrières que les joueurs Européens.

 

Ce phénomène est amplifié par le fait que les joueurs les plus performants de ces pays partent, ce qui donne lieu à une « fuite musculaire » et décourage les pays à investir plus dans le foot.

 

Enfin, il est intéressant de noter que les femmes footballeuses, n’ont ni la même reconnaissance, ni le même salaire que les hommes. Par exemple, Aitana Bonmati, gagnante du ballon d’or 2023, gagne 200 000 euros par an quand Kylian Mbappe touche la même somme en un jour. 

 

Les femmes ont aussi moins d’opportunités de se former et moins de moyens sont développés pour leur permettre de s'entraîner. 

 

D’autre part, lors de la socialisation, il est moins conseillé aux jeunes filles de choisir le foot. Ce cliché est renforcé par les médias qui, selon l’ARCOM en 2021, diffusent seize fois moins le sport féminin que le sport masculin. Ce manque de visibilité peut décourager les jeunes joueuses.

 

Malgré tout, la Fifa investit pour contrer ces inégalités en développant le foot féminin et des meilleures infrastructures dans les pays en voie de développement : ainsi de 2019 à 2023, les primes de la Fifa aux joueuses sont passées de 30 millions de dollars à 60 millions et en 2021, elle a financé l'inauguration d’un terrain au Honduras qui permet aux championnats U8, U10 et U12 d’avoir une structure fixe.

 

En somme, si la formule 1 n'est accessible qu'à une minorité d'individus privilégiés, le foot, qui semble plus méritocratique, reste intrinsèquement corrélé aux investissements des services publics et aux opportunités qui ne sont pas les mêmes selon le genre et le lieux d'origine des joueurs.

 

Lou Pouthier

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