Le viol : une arme de guerre ?

 

Une manifestation en soutien à la population ukrainienne, à Paris, début mars. (Hervé Champollion/akg)

 

Des viols de masse commis par les soldats russes sur les Ukrainiennes depuis l’invasion de leur territoire, la volonté de Poutine de viser les femmes dans son offensive, de les déshumaniser ; c’est ce que dénonce Sofi Oksanen, une écrivaine finlandaise dans Deux fois dans le même fleuve, ouvrage paru en mars 2023. Mais, que sont exactement ces viols de masse commis en temps de guerre, et pourquoi cette méthode est-elle utilisée comme arme? 

 

D’abord, il nous est primordial de rappeler la définition du viol en lui-même. Aujourd’hui, le droit français qualifie le viol d’acte de pénétration sexuel ou bucco-génital commis sur une personne, avec violence, contrainte, menace, ou surprise ; plus largement, sans son consentement.

 

Mais comment un viol peut-il être une arme de guerre ?

 

En premier lieu, le viol est utilisé par les agresseurs comme moyen d’humiliation, d’anéantissement moral de l’ennemi. Il réduit ses victimes à un objet, un exutoire physique, sans aucune valeur humaine. C’est donc ici un moyen de décrédibiliser l’ennemi, en l’humiliant, ou plus particulièrement en réduisant les femmes du camp adverse à des choses. Puisque oui, ce sont les femmes qui sont les premières (mais pas les uniques) cibles de ces viols de masse, pour des raisons symboliques, étant l’image même du cocon familial et de la vie privée des soldats, mais aussi pour des raisons « pratiques ». En effet, en temps de guerre, ce sont bien souvent les femmes qui demeurent dans les villes, tandis que les hommes quittent leurs foyers pour partir en guerre. Elles sont alors regroupées entre elles dans les villes, et sont les premières exposées aux viols en cas d’intrusion des agresseurs.

 

D’autre part, le contexte de guerre, exempt de surveillance, fait du viol une arme facile à utiliser sans être remarqué. Les violences de toutes sortes en période de guerre accompagnent fréquemment les viols de masses. Viols avec insultes, violence, tortures, ou même parfois suivies d’homicides ; l’environnement de guerre rend le viol d’autant plus violent. 

 

Puis, ce qui fait du viol une arme d’autant plus efficace, c’est la honte et le silence qu’il laisse chez ses victimes. C’est une agression qui impacte psychologiquement, qui cause une baisse de l’estime de soi, du déshonneur, ou de l’isolement. Quelques séquelles physiques existent comme des douleurs, mais la plupart des conséquences du viol sont psychologiques, et donc invisibles aux yeux de la majorité. La honte ressentie a souvent poussé les victimes des viols de masse au silence, ce qui a rendu l’arme du viol davantage dangereuse, puisque pas dénoncée et donc pas condamnée. 

 

En outre, les chefs de guerre ont tendance à encourager la politique du viol comme arme de guerre, pour sa sombre efficacité. Ils autorisent généralement un laissez-passer général, comme l’a fait l’état-major français sous la Seconde Guerre Mondiale, laissant les soldats français se livrer aux viols de masse de femmes italiennes, sans connaître de représailles juridiques par la suite. 

 

Ainsi, le viol comme arme de guerre est malheureusement stratégique et efficace pour terroriser et assoir son autorité sur l’ennemi.

 

Mais depuis quand cette arme est-elle utilisée en temps de guerre ? 

 

Dans les années 1930, de nouvelles armes de guerre sont apparues, et avec l’émergence de nouveaux armements est née l’idée de l’utilisation du viol en tant qu’arme. 

 

Le viol a été, dès cette période, utilisé par les belligérants de presque chaque conflit, à commencer par les soldats Japonais. Une grande partie de ces derniers ont violé des dizaines de milliers de femmes et enfants chinois dès 1937, lors du massacre de Nankin. Ce fût la première fois que le viol servit d’un véritable moyen d’anéantissement, et que la guerre fût synonyme d’humiliation par le viol, et de soumission d’une société entière aux violeurs du camp ennemi. 

 

Lors de la Seconde Guerre mondiale, un bon nombre de soldats allemands ont profité de l’invasion de l’URSS pour violer des femmes soviétiques. C’est là qu’est né le système de viol systématique, qui est devenu une tactique de guerre commune ; pour soumettre efficacement, chaque femme qui tombait aux mains des soldats allemands était violée. 

 

Puis les soviétiques, lors de leur avancée vers l’Allemagne dès 1944, ont laissé sur leur passage un nombre considérable de femmes allemandes violées et traumatisées. Selon l’article du Monde Seule dans Berlin, le nombre de victimes berlinoises entre avril et septembre 1945 s’élève à 100 000 environ, et plus largement, 2 millions d’allemandes ont été violées par des soviétiques pendant leur occupation. 

 

Les Français ont eux aussi usé du viol en tant qu’arme de guerre sur les Italiennes, puis suite au second conflit d’ampleur mondiale, les Pakistanais ont répété la même barbarie sur les Bangladaises lors de la guerre de libération du Bangladesh en 1971, les Hutu ont usé de la même brutalité sur les Tutsis, les serbes sur les bosniaques ont répété le même schéma pendant le massacre de Srebrenica, les soldats de Kadhafi sur les opposants à la prise de pouvoir en Libye en 2011 aussi. Et la liste est encore longue.

 

En somme, le viol de masse est une arme de guerre qui s’est généralisée lors des affrontements.  Cela a fait des femmes les cibles civiles stratégiques, et les a donc rendues d’autant plus vulnérables. 

 

Mais, ces viols de masse ont-ils été condamnés ? 

 

C’est seulement en 1998 que, pour la première fois, les viols de masse ont été reconnus, mais aussi qualifiés d’acte de génocide. Ce fût après le massacre au Rwanda des Tutsis par les Hutu en 1994, où près de 500 000 femmes, hommes et enfants ont été victimes de viols ou violences sexuelles en plus des massacres. À la suite de ce drame, la Justice internationale a mis en place un tribunal pour juger les responsables du génocide, le Tribunal Pénal International Rwandais (TPIR). C’est cette Cour qui a reconnu les viols de masse en temps de guerre comme étant des actes génocidaires. 

 

La guerre civile en ex-Yougoslavie, entre serbes et bosniaques, avait aussi causé plusieurs dizaines de milliers de victimes de viols. Là aussi, un tribunal ad-hoc (temporaire) a été mis en place pour juger les responsables, le Tribunal Pénal International Yougoslave (TPIY). En 2001, lorsque le TPIY rend sa décision, il reconnaît le viol de masse comme étant un crime contre l’humanité. C’est ici une grande avancée dans le droit international, l’ampleur et l’impact du viol de masse en temps de guerre est enfin reconnue. 

En 2008, l’ONU reconnaîtra elle aussi le viol de guerre comme un crime contre l’humanité, comme un acte de génocide, et progresse davantage dans la sanction de ces viols de masse.

 

Mais, qu’en est-il de l’utilisation du viol en tant qu’arme de guerre dans les conflits actuels ? 

 

Non, les querelles contemporaines ne font pas exception à l’utilisation du viol comme arme de guerre. Cependant, puisqu’ils sont actuels, peu d’études ont déjà pu être faites sur le sujet, et il est donc difficile d’obtenir des informations assez précises pour connaître l’ampleur des viols commis, pour les stopper, et les condamner. Nous allons ici évoquer le conflit israélo-palestinien et la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie. 

 

Depuis l’attaque d’Israël par le Hamas le 7 octobre 2023, plusieurs victimes ont dénoncé l’utilisation du viol systématique par le Hamas, dont la violence a été singulièrement marquante. Une victime témoigne « Ils ont arrêté lorsqu’ils m’ont cru morte » (FranceInfo, « attentats du Hamas : en Israël, la lente et insoutenable enquête sur les violences sexuelles commises le 7 octobre »), et parle même de sévices et de torture à caractère sexuel. Néanmoins, il est difficile d’évaluer l’ampleur des viols commis de part et d’autre du conflit. Les rares témoignages ne donnent que des chiffres officiels, laissant dès lors un flou sur le nombre de viols non déclarés (qui sont souvent la majorité des cas).

 

En parallèle de cela, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les réseaux sociaux sont apparus comme un nouveau moyen de dénonciation. Des centaines d’agressions sexuelles et viols ont été réprouvés par le président Ukrainien, Volodymyr Zelensky. Pour les mêmes raisons qu’en Israël, il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur les victimes des viols de masse. Néanmoins, il paraît probable que le viol de guerre soit utilisé actuellement par la Russie, au vu d’abord de la démocratisation qu’a connu cette technique depuis la Seconde Guerre mondiale dans les différents conflits , au vu de dénonciations officielles qui existent déjà, et aussi au vu des moyens acharnés employés par Vladimir Poutine pour annexer l’Ukraine.

 

Ce qui reste sûr, c’est qu’une condamnation de ces actes sera rude étant donné que le tribunal compétent, la CPI (Cour pénale Internationale) n’est reconnue ni par Israël ni par la Russie. En d’autres termes, aucun tribunal international ne pourra condamner juridiquement la Russie ou l’Israël s’ils perpètrent des viols de masse. L’impuissance juridique internationale est dans ces conflits mise en lumière, il semble presque impossible de condamner ou d’interrompre la pratique de tels crimes contre l’humanité. 

 

Ainsi, le viol a été perçu depuis la Seconde Guerre Mondiale comme une nouvelle arme de guerre, ravageant psychologiquement et en masse l’ennemi. En plus de terroriser efficacement, les viols de masse sont souvent peu dénoncés, ou mettent du temps à l’être. Ce silence, calculé par les agresseurs, les empêchent d’être condamnés. Mais maintenant que la communauté internationale se dit prête à condamner les viols de guerre, et que les réseaux sociaux permettent de libérer la parole des victimes bien plus facilement, va-t-on attendre que des victimes soient touchées par centaines de milliers avant de faire cesser ces atrocités ? Avant de condamner les auteurs des crimes contre l’humanité modernes ?  

 

Madelief Solle 

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