Les biais cognitifs : Amis ou ennemis ?

 

 

Vous avez plutôt tendance à voir le verre à moitié plein, et votre ami le verre à moitié vide. Mais vous-êtes-vous déjà demandé pourquoi les choses n’apparaissent pas de la même façon pour l’un et l’autre ? Vision optimiste ou pessimiste certes, mais pourquoi ? Que sont ces choses qui peuvent bien trop souvent être des ennemis si nous ne les connaissons pas assez ? Et comment en faire nos amis ? 

 

Au début des années 1970, deux psychologues nommés Kahneman et Tversky cherchent à comprendre comment des décisions irrationnelles, plus précisément des anomalies boursières peuvent être commises. En résulte la découverte des biais cognitifs, ou autrement dit des schémas de pensée trompeurs et faussement logiques. 

 

Mais comment notre cerveau, si fascinant qu’il soit, puisse nous mettre sur de mauvaises pistes si souvent ? A l’origine, nos pensées devraient être logiques et rationnelles. Mais à force de préjugés, d’émotions, d’habitudes mentales, elles se déforment. Nos ressources cognitives, bien que grandissantes chaque jour, connaissent des limites. Ainsi, des raccourcis permettent au cerveau de prendre une décision ou de porter un jugement avec rapidité ; c’est la formation des biais cognitifs. Bien que l’organe ne cesse de se développer depuis nos ancêtres les hominidés, il a été conçu initialement pour faire face au danger. Courir pour suivre le mouvement d’une foule pour sauver sa peau sans pour autant avoir vu la menace, est-ce être un mouton de Panurge et vouloir survivre ? Ou faut-il choisir de ne croire que ce dont l’on est sûr pour ne pas apparaître ridicule mais au risque de mourir ? Le choix dans une telle situation est bien souvent inconscient, et guidé par nos biais. 

 

Si certains apparaissent universels pour la simple et bonne raison de vouloir survivre dans ce monde, tous les autres biais se construisent avec la personnalité de chacun, s’adaptant à son histoire, ses croyances, ses capacités de jugement….

 

Aujourd’hui comptabilisés aux environs de 200, nous nous satisferons d’en découvrir quelques-uns qui sont fréquents pour pouvoir initier un mécanisme de réflexion chaque fois qu’ils seront rencontrés. Et votre libre arbitre sera votre allié aussi bien face aux autres que face à vous-même !

 

Reprenons les premiers évoqués, et notamment celui qui permet de voir la vie en rose. Désigné sous le nom de biais d’optimisme, c’est un schéma nous faisant croire que l’on est moins exposé au risque qu’autrui. Positif, vraiment ? Si l’on reprend les mots du Pr. Sharot, « l’espoir apaise l’esprit, diminue le stress et améliore la santé physique », choisir de dire “oui” aux choses qui nous semblent bonnes plutôt que “peut-être plus tard” ou “non”, peut mener à faire de grandes choses. 

 

Ambition, courage et résilience sont des qualités qui ne vous seront jamais reprochées. Presque. Avoir de beaux projets ne s’accorde -malheureusement- pas toujours avec leur faisabilité. C’est à ce moment que le côté négatif de la chose intervient. Le trop est l’ennemi du bien. Mieux vaut exceller dans un projet sûrement quelque peu moindre, que complètement échouer dans un autre irréaliste, là où l’échec ne se présentait comme l’unique issue. Comme un effet domino, un biais fonctionne la plupart du temps avec un, voire plusieurs autres. Si toutefois vous décidez de n’en faire qu’à votre tête, de faire confiance à votre instinct ou de croire en une force supérieure vous poussant à aller au bout de vos idées, mais qu’à mi-chemin vous réalisez qu’il y a véritablement un problème : arrêtez le massacre ! 

 

Ne suivez pas le biais de l’escalade d’engagement qui consiste à vous faire continuer quoique ce soit, peu importe les circonstances. Voyez l’échec, comprenez-le et acceptez-le. Aussi douloureux que ce soit. Cette fois n’était pas la bonne certes, mais surtout ne perdez pas confiance. Intervient un troisième biais, celui de la surgénéralité. Un échec d’un fait n’est pas l’échec de votre personne. Ayez confiance et rebondissez ! 

 

Revenons désormais à nos -seconds- moutons. Le psychologue Asch expérimente le conformisme en 1950 en demandant à différents individus, au courant ou non du but de la situation, de juger des longueurs de lignes. Il apparaît très clairement que les personnes ignorantes de l’expérience ont suivi le groupe. Par toute logique, le biais de conformisme est identifié. 

 

Pour éviter une expérience désagréable causée par le jugement d’autrui, l’homme comme animal social, a tendance à suivre le comportement de la majorité pour se fondre dans la masse. Si l’influence de l’autre est prévue par la nature, il est impensable de vivre selon le regard des autres. Celui qui est en désaccord avec le grand nombre doit alors faire preuve de courage pour s’opposer à l’opinion majoritaire : cela n’est possible que par une confiance en soi suffisante pour qu’elle ne puisse s’ébranler face aux possibles critiques émises par jalousie, manque de confiance en soi ou de connaissance mobilisable pour telle question. S’il est important de savoir dire non face à un groupe pour préserver son éthique, il est tout aussi nécessaire de vouloir voir autres choses que celles avec lesquelles on est sans cesse en contact. Biais de Zajonc ou effet de simple exposition, le cerveau est victime d’une préférence qu’il intègre à force d’être exposé à quelque chose. 

 

Écouter toujours les mêmes musiques ne les rend pas meilleures mais sont celles que vous préférez parce que vous en avez l’habitude. Acheter ses vêtements toujours au même endroit ne les rend pas de meilleure qualité ou plus à votre goût mais simplement vous n’êtes ainsi pas confronté au changement. Ne lire que des articles écrits par la même personne ou le même parti ne leur attribue pas des idées forcément plus fantastiques, seulement elles sont celles avec lesquelles vous êtes familier. Le corps, et notamment le cerveau, ont été créés pour vivre tout en optimisant un maximum d’énergie. Tout ce qui est conçu pour en économiser l’attire donc. C’est alors un effort de lutter contre la facilité.

 

Voyez, les biais cognitifs interviennent de nombreuses fois par jour sans même que l’on se rende compte de leur existence. Le processus pour les apprivoiser ressemble à celui de la gestion des émotions et des sentiments. Les premières fois l’on est surpris, dépassé, puis avec le temps on s’y fait et on apprend à se battre avec plutôt que contre. Les biais cognitifs finiront par s’ajouter à votre armure et vous aideront à améliorer vos analyses situationnelles et affirmer vos décisions plus mûres. Aussi, vous pourrez vous amuser à penser de quelle façon les commerciaux et politiques ont essayé de vous induire en erreur et ne pas tomber dans le piège. Votre esprit critique ne pourra que vous remercier et se renforcer, et à force les décisions automatiques qui étaient dédiées à votre survie concerneront bien d’autres sujets. 

Kahneman continue ses recherches pour cette théorie des perspectives faisant émerger l’économie et la finance comportementale, et remporte le prix Nobel de 2002. 

 

Emeline Cornu

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