Les jeunes ne lisent plus : une déconstruction de l'âgisme

 

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L’idée selon laquelle « les jeunes ne lisent plus » est très répandue. On retrouve ce discours dans toutes les tranches d’âges, aussi bien dans la rue que dans les médias, et cela depuis longtemps puisqu’en 2006, le journal Libre-Service Actualité titrait déjà « en finir avec l’idée que les jeunes ne lisent plus ».

 

Cette idée induit une vision négative du jeune moyen : il paraît alors peu intelligent ou cultivé, flemmard et même aliéné par les réseaux sociaux.

 

Cependant, il est facile de constater que ce stéréotype, et tout ce qu’il engendre, est faux. En effet, en janvier 2022, Ipsos a interrogé 1500 français de 7 à 25 sur leur rapport à la lecture, et le résultat est frappant : les jeunes lisent en moyenne 3h14 par semaine et 83% des 7-19 ans lisent pour le plaisir.

 

Si les jeunes lisent, d’où vient ce stéréotype ?

 

Les jeunes lisent, cependant, leurs lectures sont différentes, ou sont moins traditionnelles que leurs aînés. Via internet, ils se plongent dans les livres numériques, les fanfictions, les livres audios et les podcasts. De plus, ils utilisent aussi internet pour découvrir de nouveaux livres : 29% des sondés choisissent de lire un livre après en avoir entendu parler sur internet; sur tiktok le hashtag « booktok » qui permet aux utilisateurs de découvrir des livres cumule 147 milliards de vues dans le monde.

 

L’image préfabriquée du jeune réfractaire aux livres est donc liée au fait qu’une grande partie des lectures des jeunes sont méprisées, mal vues ou pas considérées comme de la véritable lecture.

 

Ce mépris touche couramment les sujets appréciés par la jeunesse, qui sont moqués ou désignés comme « sous-culture » (terme employé, entre autres, par Éric Zemmour pour décrire le rap français durant l’émission « on est pas couchés » en 2010). 

Cette forme de mépris à un nom : l’âgisme.

 

L’âgisme est le fait de subir des discriminations, du mépris ou des stéréotypes à cause de son âge. Il se décline en deux formes : le jeunisme, subi par les personnes âgées, et le vieillisme, subi par les personnes jeunes. Le vieillisme peut se combiner avec l'adulto-centrisme (la croyance que le point de vue des adultes est forcément meilleur que celui des enfants) ou la gérontocratie (forme de régime ou les personnes au pouvoir sont les plus âgées car elles sont jugées plus sages).

 

En France, cette discrimination est condamnée par le Code pénal. 

 

Comme toutes les autres discriminations, l’âgisme transparaît à la fois dans les croyances individuelles (il est intériorisé), dans les rapports sociaux ou dans les institutions.

L’âgisme à des conséquences désastreuses sur la santé mentale et l’estime de soi puisque c'est un évènement violent quand on le subit. 

 

Il peut enfermer les individus dans des rôles sociaux qui sont ensuite intériorisés, ce qui risque d’amener les victimes à remettre en question leur légitimité, participant ainsi à une « culture du silence ».

 

L’âgisme a aussi des conséquences plus matérielles car il crée des discriminations sur les emplois et participe donc à une augmentation de la précarité.

 

Si l’âgisme est le sujet de nombreuses études et articles, la plupart de ces derniers portent sur les discriminations que subissent les personnes plus âgées. Peu de recherches sont faites sur le vieillisme : L’Observatoire de l’âgisme qui est créé en 2008 pour lutter contre les discriminations liées à l’âge compte ainsi 14 articles traitant des discriminations subies par les personnes âgées, contre seulement 4 relatif aux discriminations subies par les jeunes parmi ses 30 derniers articles. 

 

Parler seulement du jeunisme ou le surreprésenter par rapport au vieillisme, sans nuance, engendre implicitement l’idée que les jeunes sont privilégiés et bénéficient d’un système qui nuit aux personnes âgées. 

 

Or, les jeunes subissent tout autant des discriminations liées à leurs âges. Ces discriminations et stéréotypes sont moins étudiés parce que les personnes ont tendance à faire des études sur les sujets qui les touchent ou qu’ils connaissent. Les auteurs d’études ou d’enquêtes étant peu touchés par ce sujet, le vieillisme est donc un thème méconnu, peu visible et mal représenté.

 

Pourtant, ce ressentiment existe depuis longtemps puisqu’une des revendications de mai 68 est de dénoncer l’exclusion de la jeunesse dans la société. Avec ce mouvement, l’image de la jeunesse change de passive à active mais cela ne suffit pas. 

 

Le terme « jeune », énormément employé, est vidé de son sens. En effet, l’académie française affirme que si cet adjectif est générique, il est souvent utilisé pour parler d’une classe d’âge unitaire ce qui n’est pas représentatif et efface donc les différences liées aux classes sociales, au genre et à la racialisation. Ainsi l’expression « culture jeune » qui apparaît dans les années 1960 réduit la jeunesse à une classe sociale unitaire et nie ainsi sa multiplicité, sa complexité et sa richesse.

 

Et aujourd’hui ?

 

La journaliste de 27 ans Salomé Saqué a publié un livre en 2023 intitulé « sois jeune et tais toi » qui démonte les clichés apportant une mauvaise image de la jeunesse. La promotion du livre a ainsi contribué la médiatisation et l’information sur cette discrimination ainsi qu’à l’élaboration d’une image de la jeunesse moins passive, plus dynamique, en soit, plus représentative de ses richesses.

 

Lou Pouthier. 

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