Pourquoi les femmes sont-elles jugées comme étant plus réceptives à l'expression des émotions?

 

Dans une société où les mœurs semblent évoluer continuellement, certaines questions sociétales restent largement incomprises, compte tenu de leur complexité apparente. La socialisation, à la racine même de cette société, en est un facteur prépondérant puisqu’elle forme et intègre à cette dernière différents groupes unifiés par des valeurs communes. Cette approche structurelle et holistique de la société nous conduit aujourd'hui à la définir comme un ensemble, une unité d’individus interconnectés et reliés entre eux. Si cette socialisation, pourtant bâtie par l’Homme, est encore étudiée aujourd’hui, c’est sans aucun doute du fait de son éternelle subtilité, caractéristique du produit de notre espèce.

Autrement dit, la socialisation reste un élément de repère à la base de l’édifice humain, sans pour autant que nous en ayons tracé les contours. Toutefois, le sujet de cet article aujourd’hui ne porte pas sur la socialisation en elle-même, mais plutôt sur son rapport à l’individu, aux individus. L’emploi du pluriel ici semble inévitable puisque la socialisation diffère d’un individu à l’autre, et ce, en fonction d'innombrables facteurs (statut social des parents; ressources financières, culturelles…). 

Toutefois dès la naissance d’un individu dans le monde, une socialisation va devancer toutes les autres dans ce processus de socialisation différenciée, et discerner dès les premiers pas deux individus biologiquement distinguables.

Vous l’aurez compris, la socialisation genrée est aujourd’hui reconnue par l’ensemble des sociologues comme étant à la base des différences entre les femmes et les hommes. Cette différence peut s’illustrer certes dans la vie quotidienne à la vue de tous (choix d’études, de métier…), mais elle est en réalité ancrée bien plus profondément dans l’âme des individus. L’activité psychique est ainsi intrinsèque à chaque sexe biologique, et la psychologie féminine et masculine se dissocie plus qu’elle ne s’associe.

L’objet d’étude aujourd’hui se réfère donc à ce phénomène en traitant la question complexe et contemporaine de l’expression des sentiments. Autrement dit, pourquoi les femmes sont-elles jugées comme étant plus réceptives à l’expression des sentiments? Ou plutôt, pourquoi les hommes sont-ils perçus comme étant moins sensibles?


Depuis la nuit des temps, cette question d’expression des sentiments est prépondérante et les avancées sociologiques, anthropiques voire même philosophiques à ce sujet, ont permis l’édifice de nombreuses thèses et explications sur ce dernier. Ainsi, historiquement, la théorie antique des tempéraments associe les émotions chaudes et sèches (colère, fureur, hardiesse, haine) aux hommes, tandis que les émotions froides et humides (modestie, douceur, crainte, pudeur, compassion, langueur) se référaient aux femmes.

Les femmes ont de tout temps été considérées comme plus émotives (avec une clairvoyance émotionnelle supérieure), et les hommes comme plus rationnels. L’écrivain français Alphonse Karr déclarait même : “Il a été convenu que les femmes feraient semblant d'être faibles et timides et que les hommes feindraient d'être forts et courageux”, symbole d’une différenciation genrée historique.

Mais en réalité la réponse à la question se trouve dans la question même, puisque le jugement de la société sur les hommes et les femmes joue un rôle majeur dans la socialisation de ces derniers.

En d’autres termes, les hommes sont systématiquement et structurellement perçus comme des êtres forts, tandis que les femmes sont perçues comme sensibles et à protéger. Cette représentation genrée va de paire avec toutes les émotions sauf la colère. Or, lorsque l’on revient à la définition même de la colère, on se rend compte que cette dernière représente la réaction vive d’un individu face à une situation de mécontentement ou d’insatisfaction.

Ainsi, sa privation pour les filles est un synonyme de soumission précoce, perpétuée lors de la vie active. La psychologue spécialiste de l’enfance Natacha Butzbach interrogée sur la différenciation genrée dès l’enfance soulignait “un parallèle est possible avec les questions émotionnelles. Il est quasiment interdit aux garçons d’exprimer des émotions fortes, que ce soit de la joie ou de la tristesse, sous peine d’être considérés comme anormal, voire de subir des insultes homophobes. Afin d’assurer leur intégration sociale, ils vont progressivement se couper de leurs émotions et diminuer leurs expressions. A contrario, la colère est une émotion acceptée, voire valorisée chez les garçons. Depuis tout petit, la colère est entretenue dans son expression la plus brute sous prétexte que “les garçons font ça !””.

Au contraire, le stéréotype féminin réside dans une tendance empathique et émotive plus forte que chez les garçons, leur permettant ainsi de mettre en place ce qui est connu sous le nom de stratégies cognitives de régulation émotionnelle. Ces dernières vont favoriser le contrôle ainsi que la modification des sentiments.

Cette observation se retrouve moins chez la gente masculine, moins socialisée durant son enfance à l’expression ainsi qu’à la gestion des émotions, rendant plus difficile l'organisation émotionnelle future. Les hommes, dépourvus de suffisamment de stratégies cognitives de régulation émotionnelle, sont alors contraints de chercher cette stabilité émotionnelle à l'extérieur. Les substances psychoactives (drogue, alcool, tabac…) peuvent ainsi permettre l’atténuation de phénomènes émotionnels en se substituant à l’absence numérique de suffisamment de stratégies cognitives de régulation émotionnelle.

Alors peut-on dire des femmes qu'elles sont trop émotives ou au contraire reprocher aux hommes de ne pas l’être assez? Eh bien en réalité aucune des deux réponses n’est juste, puisque la complexité de la socialisation empêche toute réelle réponse à cette question. Toutefois, ce qu’il semble pertinent de retenir c’est que les femmes expriment indubitablement plus leurs émotions que les hommes, jugés stöiques et “au-dessus de ça”, étant donné le rapport que chacun a avec cette expression des sentiments durant son enfance.  

Les stéréotypes de genre participent au processus auto-entretenu de marginalisation des hommes de l’expression des sentiments, sans oublier que les femmes sont traditionnellement associées à des rôles de soin, de compassion et d’expression émotionnelle. Autrement dit, structurellement, la perception des femmes comme le “sexe faible”, conduit sans aucun doute son association aux stéréotypes la qualifiant de “plus émotive”. A contrario, l’homme fort, puissant et stöique, se retrouve quant à lui associé à l’indifférence vis-à-vis de ses émotions (excepté la colère). Cette association genrée et précoce dans l’histoire du monde trace les prémices d’une socialisation genrée qui traverse les siècles et les sociétés sans jamais vraiment disparaître. Ces problèmes de fonds sont bien plus complexes à traiter que les inégalités salariales par exemple, et bien qu’ils soient aujourd’hui reconnus de tous, prétendre les effacer s’avèreraient en réalité très compliqué.

 

Eliot Senegas

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