Relativisme culturel : peut-on justifier la mutilation génitale au nom d'une tradition ?

 

picture alliance /DPA/EPA/UNICEF/HOLT

 

Selon l’ONG Plan International, ce seraient près de 91,5 millions de femmes qui souffriraient d’excision en Afrique aujourd’hui, soit 89% des femmes de 15 ans à 49 ans si l’on prend l’exemple du Mali. Des chiffres colossaux pouvant dépasser la barre des 200 millions si l’on prend également en compte l’ensemble des mutilations génitales féminines (MGF). 

 

Cette pratique, en principe traditionnelle, consiste en l’ablation d’une partie du tissu biologique, et s’applique majoritairement au clitoris ou aux petites lèvres des jeunes filles. On parle alors de clitoridectomie

 

L’excision est habituellement pratiquée sur des fillettes d’une quinzaine d’année afin de les rendre “pûres” aux yeux de leur mari. Ce fondement traditionnel est, par la suite, la cause de souffrances inimaginables, de complications physiques ou encore d’une détresse psychologique inqualifiable. On retrouve ainsi des risques d’infection (MST, tétanos…), de douleurs en urinant, de douleurs pendant un rapport sexuel, etc. 

 

Cette question dégradante de l’excision ouvre un débat plus profond sur la possibilité de justifier certains actes (barbares en l’occurrence), sous prétexte d’une tradition, et du bien fondé de la culture ancestrale sur laquelle elle repose. 

 

Peut-on justifier une tradition au nom du relativisme culturel ? 

 

  • Relativisme culturel 

 

Le relativisme culturel représente l’idée que les croyances d’une personne doivent être associées à la culture de sa personne. En d’autres termes, une personne possède X coutume puisqu’elle a grandi avec X culture (en découle le culturalisme de Franz Boas). Après les heures de gloire de la colonisation et de l’idée ancienne que les valeurs européennes prévalent sur celles des indigènes, l’anthropologie a fait son bout de chemin pour déconstruire ces préavis. En ce sens, l’idée d’étudier les comportements des sociétés de l’époque pour mieux les comprendre, permet au relativisme culturel de pointer le bout de son nez vers le XIXe siècle. 

 

Dans notre exemple, un relativisme culturel extrême impliquerait de légitimer l’excision au nom de la tradition malienne, qu’importe la souffrance de la femme et son assouvissement. Qui serions nous pour porter un jugement sur la culture des autres ? 

 

Pour autant, refuser de justifier une mutilation barbare comme celle-ci ne fait pas de vous une personne consensuelle, au contraire, être étiqueté d’ethnocentriste pour avoir soit disant projeter une vision européenne de la culture sur l’excision, fait de vous l’ennemi numéro un des anthropologues. 



  • Pour un humanisme supra-traditionnel

 

Pourtant, dans ce débat, une école a trop souvent été oubliée. Refuser l’excision ne veut pas dire projeter sa culture française au détriment de la culture malienne. Non. 

 

Cela s’appelle projeter une culture humaniste par dessus toute considération traditionnelle ou culturelle, cela s’appelle considérer l’humain avant ce qui l’unit. Cela s’appelle le relativisme culturel humaniste. 

 

Le relativisme culturel humaniste consiste à enraciner des valeurs comme les droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, la liberté etc, au dessus de toute forme de culture, de croyance, ou encore de tradition. 

 

En ce sens, cela consiste à considérer que la femme a le droit de disposer de son corps comme elle l’entend, sans être soumise à une influence physique ou psychologique. 

 

Cela revient donc à condamner l’excision en tant que pratique sexuée et sexiste, visant à contrôler la sexualité de la femme. 

 

En effet, l’excision n’a plus rien de traditionnel ou de culturel aujourd’hui; elle est désormais utilisée comme un moyen de posséder une emprise sexuelle sur sa femme, conduisant même certains à refuser un mariage avec une fille non-excisée. 

 

Plus largement, se positionner contre la prééminence de certaines traditions sur des normes morales humaines, ne fait pas de vous un ethnocentriste européen égoïste. Non. Cela fait de vous un humain. 

 

Toutes les cultures se valent, et chacune d’entre elles possède un panel de composantes aussi riche que les autres, des valeurs aussi fortes et une histoire aussi belle. Pourtant, la morale transcende la tradition. 

 

Les européens n’ont pas une morale, une culture supérieure aux autres peuples, mais il n’est pas non plus absurde de reconnaître qu’ils sont en avance sur certains pays dans le registre des droits humains. Reconnaître les femmes comme l’égal des hommes n’est pas une question de tradition ou de culture, c’est une question de raison. 

La tradition peut échapper à tous les jugements, qu’importe leur importance, mais pas à celui de la morale humaine. 

 

Kant écrivait ainsi “La raison pure est pratique par elle seule et donne à l'homme une loi universelle que nous nommons la loi morale.”

 

En somme, refuser l’excision au nom de la morale reflète certes un point de vue européo-centré, mais ce dernier est fondé sur un humanisme supra-culturel. 

En clair, cela revient à se positionner comme un être humain avant de se revendiquer français. 

 

Parce que les droits humains prévalent sur toute forme de domination psychologique, se dresser contre toute forme de souffrance justifiée par la tradition revient à illustrer la place que l’on accorde aujourd’hui à nos valeurs dans nos sociétés. 

 

Eliot Senegas 

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