Trump, UE, Poutine... Où va l'Occident ?

 

History in HD / Unsplash

 

Il est l’homme de l’année 2024 : ultra-favori des primaires républicaines, en tête dans les sondages pour la présidentielle, rien ne semble pouvoir empêcher Donald John Trump de briguer un second mandat à la Maison Blanche. Sur la scène internationale, les conséquences seraient multiples. Sans développer sur la politique intérieure que l’ex-homme d’affaires souhaite mener, voyons les perspectives géopolitiques que pourraient amener une présidence Trump II, dans un monde occidental déjà ébranlé par la montée des nationalismes et des populismes.

 

 Trump 2024, Poutine 2036, l’agonie de l’Europe communautaire, l’effondrement du bloc atlantique, la chute de l’Occident, (la fin du monde ??) … 2024 aura son mot à dire sur la réalisation de ces hypothèses toutes plus réjouissantes les unes que les autres. Ainsi, comment la plus grande année électorale de l’histoire redessinera-t-elle les rapports entre les acteurs internationaux ?

 

Trump, symptôme de la maladie de la démocratie occidentale ?

 

On ne cesse de le répéter, 2024 est l’année de tous les scrutins électoraux . La moitié de la population mondiale est appelée aux urnes :  élections européennes, présidentielles aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Russie, législatives en Inde, générales au Royaume-Uni…

 

Les élections américaines seront particulièrement déterminantes pour le monde. Joe Biden, affaibli par ses 81 ans, ses gaffes à répétition, ses chutes et ses problèmes de mémoire apparaît comme le pire candidat… à l’exception de tous les autres. La campagne 2024 devrait en effet aboutir sur un remake de celle de 2020 entre l’actuel président et son prédécesseur, l’épouvantail Donald Trump, aussi célèbre que redouté. Fervent contempteur de l’establishment, ayant montré son mépris des institutions américaines à maintes reprises, notamment lors de l’assaut du Capitole en janvier 2021, le (très) probable candidat Républicain remet en cause la démocratie américaine. Celui qui a déclaré ne pas vouloir être un dictateur en cas de réélection (« sauf le premier jour ») méprise les médias, la justice et la liberté d’expression.

 

 « Eradiquer les marxistes et les communistes », ainsi que « les voyous de la gauche radicale qui vivent comme de la vermine dans notre pays », voilà un programme tout droit sorti des années 1930.

 

La rupture avec la démocratie libérale américaine ne s’arrête pas là. Selon de nombreux observateurs, le désir de revanche de l’ex-président sur la justice américaine pourrait le pousser à rompre avec l’Etat de Droit. Il plaide l’immunité totale pour le président (pratique, lorsqu’on fait l’objet de quatre poursuites criminelles), ce qui serait une violation de l’égalité de tous devant la loi, principe fondamental de la Constitution américaine. Mais puisqu’après tout, ces poursuites ne sont que le fruit d’une vengeance politique, d’un complot d’Etat contre sa personne, pourquoi s’embarrasser ?

 

L’assaut du Capitole aurait pu être une prise de conscience du risque populiste sur nos démocraties, il est aujourd’hui largement occulté aux Etats-Unis. En fait, une part importante des soutiens de Trump considérait l’intrusion historique dans le Capitole comme légitime : en janvier 2021, 45% des électeurs républicains étaient favorables à l’assaut. 

 

La popularité extrême d’un homme qui a pourtant été inculpé pour « complot contre les Etats-Unis » ne témoigne-t-elle pas d’un mal plus profond, celui du déclassement d’une classe moyenne rurale qui craint l’immigration et voit d’un mauvais œil les milliards de dollars « gaspillés » pour l’Ukraine et la politique étrangère ? 

 

Cela traduit une réalité parfois oubliée : la plupart des électeurs américains n’a que faire de la situation internationale, ou même du respect strict de la démocratie. Ce qui les intéresse, c’est la politique intérieure, la lutte contre l’immigration illégale, la paupérisation, les inégalités sociales… Or c’est justement sur ces points que la présidence Biden n’a pas réussi à convaincre. 

Donald Trump se place en totale opposition :  America First ! Finies les contributions démesurées aux différentes organisations internationales, l’aide à l’Ukraine, la responsabilité de l’OTAN. Seuls comptent les intérêts de la nation, et pour Trump l’intérêt américain est au désengagement. 

 

L’UE et l’OTAN : un effondrement du bloc atlantique en vue ?

 

Trump se distingue de tous les autres présidents américains par son isolationnisme à toute épreuve. Les Etats-Unis, gendarmes du monde ? Très peu pour lui. Le programme de Trump s’apparente à un repli sur soi, sur les plans économique et diplomatique, sur l’immigration… Outre sa réticence sur l’aide à l’Ukraine, Trump est un isolationniste convaincu et souhaite limiter au maximum les interventions étrangères américaines, au point de remettre en question l’existence de l’OTAN.

 

Il déclarait ainsi en 2000 : « Les conflits européens ne valent pas les vies américaines. Se retirer de l'Europe permettrait à notre pays d'économiser des millions de dollars chaque année. »

 

Une pensée qui s’inscrit dans la longue tradition d’isolation des Etats-Unis, de 1823 avec la doctrine Monroe jusqu’à la doctrine Truman de 1947 qui ouvre la voie à un interventionnisme de grande ampleur qui marquera la Guerre Froide puis le XXIe siècle. La position de Trump est donc une rupture importante dans la géopolitique américaine moderne, une sorte de retour en arrière, un repli sur soi de la puissance états-unienne.

 

Au point d’effrayer, même au sein de son parti. En 2016 déjà, 50 analystes géopolitiques Républicains s’étaient publiquement engagés contre Trump, invoquant le fait que son élection mettrait en danger la sécurité nationale.

 

En 2024, Trump pourrait aller encore plus loin. Il a déjà menacé de retirer les Etats-Unis de l’OTAN à plusieurs reprises. « Que fera Trump si Vladimir Poutine occupe un pays de l’OTAN ? » : l’interrogation du président ukrainien Volodymyr Zelensky semble légitime, tant l’avenir de l’atlantisme semble obscur en cas d’élection du vraisemblable candidat républicain.

 

L’Europe a sans doute fait preuve de négligence sur la question militaire, restant très dépendante des Etats-Unis et de l’OTAN pour sa défense. Investir dans la défense est souvent mal vu en Europe, un grand courant pacifiste considérant que d’autres domaines sont plus importants. Si la France fait figure de bonne élève en matière de défense au niveau continental, l’Allemagne est souvent critiquée pour son armée pas au niveau de sa puissance économique, et Trump l’avait épinglée pour son manque de contribution à l’OTAN en juin 2020. 

 

Le retour de la guerre en Europe, la crainte d’un désistement américain en Europe, et l’augmentation des tensions sur la scène internationale poussent les pays de l’UE à remettre l’enjeu militaire au cœur de leurs préoccupations. La conjoncture géopolitique met en lumière la nécessité d’une Europe autonome sur le plan militaire, et doit relancer l’idée d’une Communauté Européenne de Défense, ou du moins celle d’un renforcement du volet militaire de l’Union Européenne. La France, première puissance militaire de l’Union, a un rôle central à jouer dans cette quête d’autonomie

 

2024, l’année du populisme ?

 

Plus que l’avenir de sa relation avec les Etats-Unis, l’Union Européenne est confrontée à des grands défis intérieurs. La tendance d’un développement du nationalisme et du populisme pourrait bien se confirmer, notamment dans les démocraties occidentales Les élections européennes interviennent dans un contexte difficile pour l’Union. Les nationalistes ont pris le pouvoir dans de nombreux pays (Italie, Hongrie, Finlande), l’extrême-droite affermit son poids politique en France, en Allemagne, et a remporté les législatives néerlandaises en décembre dernier. 2024 pourrait ainsi acter un retour en force du souverainisme national au détriment de la coopération économique, migratoire, et stratégique. Conséquence, alors que la crise migratoire continue, que la guerre fait rage en Ukraine, l’alliance européenne risque de vaciller au moment où l’union semble indispensable.

 

Comment envisager une Europe forte alors qu’elle est sans cesse remise en question ?

 

L’UE est ainsi devenue un bouc-émissaire particulièrement commode pour endosser tous les problèmes des nations, qui n’hésitent cependant pas à profiter des aides de Bruxelles. La Hongrie de Viktor Orban recevait ainsi 920 millions d’euros d’aides au redressement au moment même où le sulfureux premier ministre lançait une campagne contre la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, accusée de vouloir créer des « ghettos de migrants » en Hongrie. L’Union Européenne fait ainsi face au potentiel effritement de l’entente atlantique, à la menace de Vladimir Poutine, et à une poussée inédite des partis eurosceptiques qui pourrait bien se poursuivre en juin.

 

Is the West falling ?

 

Finalement, 2024 semble destiné à être une année de continuité. Continuité dans l’essor du populisme, dans la dynamique de repli sur soi national, dans la désunion progressive du camp européen et atlantique. La montée des nationalismes et du populisme en Occident intervient à un moment crucial, celui de l’affirmation d’un bloc anti-occidental pas encore homogène mené par Poutine mais dans lequel la Chine de Xi Jinping pourrait avoir d’ici quelques années le premier rôle.

 

Certains voient dans la mauvaise passe des démocraties occidentales un déclin global de l’Occident, égaré dans ses valeurs, brouillon dans ses convictions, divisé sur le cap à tenir. Vladimir Poutine n’hésite d’ailleurs jamais à pointer du doigt la décadence occidentale, la disparition de la famille, l’homosexualité décomplexée (un Premier ministre gay, sérieusement ?) … Le président russe, candidat à sa succession dans ce qui sera en mars une campagne au suspense insoutenable (non), s’applique à dépeindre l’Ouest en Mal absolu, utilisant pour cela révisionnisme historique et idéologie ultra-conservatrice.

 

Sommes nous à l’aube d’une Seconde Guerre froide? Sur les plans économique, militaire et idéologique, la montée des tensions est indéniable. Cependant, la constitution de blocs homogènes et antagonistes apparaît encore incertaine. Les Grands de ce monde sont en effet étroitement liés par des attaches économiques solides, de sorte qu’aucun acteur n’aurait intérêt à voir son “adversaire” s’écrouler. L’année à venir nous apportera des éléments de réponse, notamment à travers les nombreuses élections qui redessineront à coup sûr les rapports diplomatiques entre les acteurs du jeu international. Il faut néanmoins se garder d’un constat simpliste: 2024 sera bien une grande année électorale, mais pas nécessairement une grande année de démocratie.

 

Rémi Kouevi, janvier 2024.

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