Donner la parole en temps de guerre : une affaire d’honnêteté ?

 

radiofrance.fr

 

Le 23 Octobre 2024, Benjamin Netanyahu, Premier Ministre d’Israël a donné une interview à la chaîne d’information en continu controversée CNEWS et par la même l’a remerciée pour « son combat pour la liberté ». Les réactions sur les réseaux sociaux ne se sont pas fait attendre, la toile déferlant sur l’antenne de Bolloré et lui reprochant d’interviewer un criminel de guerre et soutenant ainsi le génocide commis par l’Etat hébreu. Entendons-nous bien sur ce terme délicat, il désigne les actes « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » selon l’ONU.

 

Ces réactions ne sont en réalité pas nouvelles puisque Netanyahu avait déjà été invité par les concurrents de CNEWS, LCI le 30 Mai dernier. N’oublions pas la troisième pointe du trident des chaînes d’informations en continu puisqu’il manque BFMTV, qui a préféré interviewer Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée israélienne et à plusieurs reprises notamment, d’autres représentants de Tsahal. Cette dernière interview avait elle aussi fait vivement réagir puisque lors de cette interview, Rafowicz se permettait de remercier Benjamin Duhamel et plus généralement la rédaction toute entière de BFMTV en disant « […] votre chaîne fait un travail excellent par rapport à la présentation du conflit, des deux côtés. » de quoi interroger sur la manière de présenter le conflit.

 

En effet, comment, pour la chaîne de Saadé, se justifier de ce compliment fait par un des sbires de Netanyahu ? Les journalistes se font alors accuser de partialité, de manque d’objectivité voire de propagande sans possibilité de dégainer une quelconque ligne de défense. Il faudrait pour rééquilibrer les ardeurs un compliment, ne serait-ce qu’une réaction de la sorte par le camp opposé. 

 

Mais là réside tout le problème. Aucune de ces trois chaînes d’informations ne donne la parole aux ennemis d’Israël. Alors, ils auront bien tenté d’avoir quelques représentants du Hamas ou de Hezbollah mais puisque ce sont des organismes terroristes, ce serait donner la parole à des criminels et aux yeux des grands patrons de ces chaînes et de millions de téléspectateurs, ce serait inacceptable. C’est bien ici tout le drame des civils gazaouis, des libanais, des cisjordaniens : ils n’ont pas la parole. Pour ces premiers, la non-reconnaissance de l’Etat de Palestine par des grandes puissances mondiales comme les Etats-Unis, l’Allemagne ou la France empêche de dégager un gouvernement et un chef d’Etat autres que les dirigeants du Hamas.

 

Le Hamas commettant des actes terroristes, il mène à l’impasse diplomatique pour les civils. Les libanais, eux n’ont plus de Président depuis environ 2 ans malgré une répartition des hauts-postes ordonnée selon le respect des trois grandes religions. De facto, le Hezbollah, non-moins terroriste, fait figure de tête d’affiche officieuse alors que le Liban est une démocratie depuis 1943 et cela mène encore une fois à une impasse. Il faut néanmoins distinguer ce constat du discours pro sioniste professé par des pseudo-philosophes que sont Bernard-Henri Lévy ou autres Raphaël Enthoven qui voient dans les attaques meurtrières d’Israël une forme de libération des civils par Tsahal de ces organisations terroristes. Il n’en est rien et les assauts à l’encontre de civils, enfants et femmes au-devant permettent de l’illustrer.

 

Puisque le sujet est épineux, il faut à tout prix éviter la polarisation du débat. Naïvement, il suffirait de croire à l’objectivité journalistique, fantasme rêvé de la charte de Munich, pour qu’un traitement de l’information équilibré et mesuré parvienne à nos oreilles. Encore une fois, il n’en est rien. Par exemple, dans le journal télévisé du 13 heures du 14 Octobre 2024 de France 2, le lendemain du bombardement d’un hôpital palestinien brûlant vif des civils, onze petites secondes ont été consacrées à cette attaque.

 

Pourtant, un sujet d’une minute et quarante-cinq secondes était consacré au bombardement du Hezbollah sur une base militaire israélienne, tuant 4 soldats. Il ne s’agit pas ici de juger quel évènement est le plus tragique et mérite donc le plus de temps d’audience, il s’agit de proportionnalité. Autre exemple, le média ‘Arrêt sur Images’ publiait le 15 février 2024 un article constatant le temps d’information accordé aux gazaouis dans les journaux télévisés de 20 heures sur TF1 et France 2. Le constat y est sans appel, sur 29 heures de JT, cinq maigres minutes furent accordées au sort des civils palestiniens et uniquement par la rédaction du service public. Qui sait, peut-être l’information qu’une guerre  en cours au Moyen-Orient n’est toujours pas parvenue aux oreilles de Martin Bouygues ? 

 

Pour terminer sur cette liste non-exhaustive d’exemple, Le 8 Octobre 2024, Rima Hassan, députée insoumise au Parlement européen et franco-palestinienne était invitée au micro de BFMTV. La première question posée, l’intéressée commence par pointer du doigt l’interview de Rafowicz précédemment évoquée au titre de la collaboration à l’action d’un Etat génocidaire. Dès lors, les présentateurs s'empressent de lui couper la parole et de la remercier, clôturant l’interview. Il ne s’agit pas ici de critiquer comment la rédaction de la chaîne perçoit Hassan, ce qui pourrait donner lieu à un autre débat complexe, mais plutôt la manière dont les journalistes lui subtilisent son droit de parole.

 

Comment ne pas se poser des questions sur la présentation des journalistes de cette situation ? Edgar Morin disait « Qu’est-ce que l’esprit critique s’il n’est pas aussi l’autocritique ? ». Comment ne pas reprocher à la chaîne d’avoir eu ce comportement ? Même si le propos évoqué n’allait pas dans leur sens (pas besoin d’être un prix Nobel pour l’avoir remarqué), comment peuvent-ils s’opposer à un principe aussi simple que la liberté d’expression ? Là était le principe même du débat, avoir un échange, des arguments, des contradictions, mais non, pas de place pour une critique de l’action du gouvernement israélien. 

 

La clé de voûte réside également dans le déroulement des actions de la guerre. En effet, la rhétorique de Tsahal pour justifier ses violations du droit international encore aujourd’hui, repose sur le droit à se défendre. Il y a, pour Israël, un droit à se défendre des attaques du 7 Octobre qui est incontestable et que personne ne devrait remettre en cause. Israël était alors victime d’attaques, suscitant par ailleurs une forte vague de soutien par les pays occidentaux. Hugo disait « Les minorités ont le droit d’avoir tort, elles sont violentes, pourquoi ? Parce qu’elles sont faibles ».

 

C’est ici la raison qui parle, l’Homme se positionne du côté du faible par compassion, par solidarité. Mais ce que n’a pas intégré Israël c’est qu’il n’est plus le faible. Il l’a été dans un premier temps, lorsque la blessure était aux yeux du monde, que tous pleuraient ces jeunes festivaliers qui n’avaient rien demandé. Mais avec une escalade qui tourne désormais au délire génocidaire et colonial, le motif du combat terroriste n’est plus perçu que comme une illusion pour une grande partie de la population. Cette considération de l’émotion qui traversait Israël a été, à juste titre, mise sous la lumière par les journalistes de façon unanime.

 

En revanche, cette même considération à propos des civils palestiniens et libanais qui subissent les bombes chaque jour est loin de faire consensus au sein de la profession. Il s’agit une fois de plus de proportionnalité. On peut l’illustrer en prenant la situation dans le sens inverse : si Israël avait attaqué en premier la Palestine, un droit de réponse lui aurait été reconnu mais une réponse de l’ampleur que celle que Tsahal est en train de donner aurait été unanimement condamnée, à raison. 

 

Évidemment, demander la neutralité journalistique aux concernés serait de l’ordre du travail herculéen, voire sisyphéen tant la tâche paraît impossible. Pour cause, David Pujadas, présentateur chez LCI répondait pour ‘Konbini’ à la question « Est-ce que la neutralité journalistique existe ? » :  sans surprise, l’ancien de France 2 répondait non car un journaliste ressent des émotions comme tout être humain et par ces émotions, rien qu’un regard, une émotion trahirait sa pensée profonde. En revanche, il évoquait l’exigence d’une « honnêteté d’essayer de penser contre soi », une honnêteté journalistique qui pourrait, voire devrait s’imposer à la profession. 

 

Cette idée loin d’être illusoire devrait même aller de concert avec la délivrance d’une carte de presse mais elle semble bien s’être perdue en chemin. 

 

Robin