Élections contestées au Venezuela : crise intérieure et internationale

Business Insider
« Si vous ne voulez pas que le Venezuela tombe dans un bain de sang, dans une guerre civile fratricide, produit des fascistes, garantissons le plus grand succès, la plus grande victoire de l’histoire électorale de notre peuple. » C’est ainsi que Nicolas Maduro s’exprimait dix jours avant les résultats du scrutin présidentiel. Le 28 juillet dernier, il était proclamé vainqueur par le Conseil National Électoral (CNE) avec 51 % des voix. Paradoxalement, un mois et demi après sa réélection, les tensions qu’il avait brandies comme menace en cas de défaite ne cessent de se concrétiser sur le peuple au Venezuela, tandis que de nouvelles crises émergent sur la scène internationale. En cause : un succès électoral toujours extrêmement contesté, aussi bien à l'intérieur qu'à l’extérieur du pays.
Jusqu’à présent, les procès-verbaux des bureaux de vote tenant comme preuve des résultats du 28 juillet n’ont toujours pas été rendus publics. Maduro assure que le CNE a été victime d’une cyberattaque provenant de la Macédoine du Nord rendant impossible la divulgation du détail des votes.
Rapidement de nombreux rejets de cette explication ont eu lieu, tout d’abord par les autorités macédoniennes elles-mêmes, qui ont exigé des preuves pour étayer de telles accusations. Malheureusement pour elles, la Fondation Carter, chargée d’observer le déroulement du scrutin, a regretté le manque de transparence du CNE et déclaré qu’aucune preuve d’un piratage n’existe. Sa cheffe de mission, Jennie Lincoln, a accusé le pouvoir vénézuélien de « pur théâtre ». L’organisation états-unienne soutient plutôt les chiffres avancés par l’opposition, qui, s’appuyant sur les procès-verbaux fournis par ses scrutateurs, affirme que son candidat, de droite radicale, Edmundo Gonzalez Urrutia l’a emporté avec 67 % des voix.
La contestation, furieuse et désillusionnée par ce qu’elle perçoit comme un mensonge, a été réprimée brutalement par les autorités vénézuéliennes. Suite aux manifestations qui ont éclaté fin juillet le bilan est lourd : 2400 arrestations arbitraires (dont plus d’une centaine de mineurs), plus de 200 blessés et une trentaine de tués par balle. Des ONG, comme Human Rights Watch, alertent sur l’ampleur et la généralisation de ces abus. Les Nations Unies dénoncent une justice pénale « partiale » et « dépendante du pouvoir » pour ces prisonniers. Aujourd’hui, selon Foro Penal, ils sont encore 1673 à toujours être derrière les barreaux.
Le président Maduro a affirmé être « disposé à tout faire » pour empêcher le pays de tomber entre les mains de ce qu’il considère comme le « fascisme impérialiste », et effectivement, il n’a pas hésité à recourir aux méthodes les plus rudes pour parvenir à tenir promesse. En dépit du résultat des élections, il s'est lui-même investi de cette mission, alors qu’en réalité, il qualifie de fasciste simplement toute forme d’opposition afin de justifier et légitimer toutes les mesures liberticides de son régime.
Peut-être a-t-il raison lorsqu’il estime que la droite ne résoudra rien et qu’elle représente un danger pour son pays. En Amérique du Sud, il est clair qu’elle ne s’illustre pas, grossièrement, comme une solution. En témoigne l’histoire politique de la Colombie avec des figures telles qu'Alvaro Uribe ou Iván Duque ou plus récemment encore, les exemples de Daniel Noboa en Équateur, de Jair Bolsonaro au Brésil, et de Javier Milei en Argentine qui viennent confirmer ces limites.
Mais agir en imposant son idéologie c’est mépriser une large partie de son peuple qui espérait que ces élections offriraient une alternative pour sortir de 25 ans de chavisme et redresser enfin une économie en ruines. En vain car au final, Maduro est sorti vainqueur, tandis que la démocratie, elle, est la grande perdante. Si certains ne doutent pas de la sincérité de ses intentions lorsqu’il évoque souhaiter du bon pour son pays, beaucoup sont conscients que pour améliorer la situation il faut changer de cap politique après le bilan des dix dernières années.
Il y a 50 ans, grâce aux plus grandes réserves en pétrole au monde, devant celles de l’Arabie Saoudite, le niveau de vie des vénézuéliens se rapprochait de celui européen. En 1999, alors que le Venezuela figurait encore parmi les plus prospères d’Amérique Latine, Hugo Chavez, fraîchement arrivé au pouvoir, entreprend d’utiliser l’or noir pour mettre en place son ambitieux projet de renouvellement socialiste visant à réduire pauvreté et inégalités. Réélu pour un quatrième mandat, il décède en 2013 et laisse la place à celui qui se considère comme son fils spirituel, Nicolas Maduro, un ancien chauffeur de bus à qui rien ne prédestinait une telle ascension.
Mais à l’inverse des pays riches grâce au pétrole aujourd'hui comme le Qatar ou les Emirats Arabes Unis, le chavisme n’a pas su diversifier l’économie, rendant le pays trop dépendant de la rente pétrolière. En 2014, l’effondrement du cours de celui-ci a fait vider les caisses de l’Etat, a entraîné une hyperinflation et a donc plongé sa population dans une pauvreté extrême. Enfin, les mauvaises manœuvres du gouvernement et l’embargo pétrolier imposé par les Etats Unis en 2019 n’a fait qu’aggraver cette spirale économique.
Aujourd’hui, le Venezuela reste le pays avec la plus forte inflation au monde (bien que le taux ait montré des signes de ralentissement ces dernières années), plus de 3/4 de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et 7,7 millions de vénézuéliens, soit plus d’un quart de la population, a dû fuir son domicile.
En vu de ce dernier chiffre important, les manifestations font rage non seulement au Venezuela mais également à l’extérieur de ses frontières, jusqu’en Espagne étant le cinquième pays d’accueil des vénézuéliens avec 477 000 présents sur le territoire. En effet, de la fin du mois de juillet jusqu’à tout le mois d'août de nombreux rassemblements ont eu lieu en soutien à Edmundo González Urrutia et en dénonçant un coup d’Etat (terme employé également par le camp de Maduro en désignant la pression populaire à laquelle il fait face), mais cette fois avec un sentiment de sécurité.
Cette population, contrainte de fuir la misère, a souvent trouvé refuge dans des pays eux-mêmes en proie à des fragilités économiques avec des classes très divisées, au premier rang la Colombie (presque 3 millions de Vénézuéliens y vivent), suivie par le Pérou. Si la situation y est légèrement meilleure (bien que parfois pire en terme du taux d’homicides par habitant), elle ne leur permet trop souvent que de rejoindre les couches les plus précaires de la société.
Tragiquement, une grande partie ne trouve pas d’autre solution que de survivre en rejoignant des réseaux allant de la petite délinquance aux gangs armés.
Pour les femmes, beaucoup tombent dans les filets de la prostitution. L’amalgame est maintenant fait et la plupart des Vénézuéliens, péjorativement surnommés "venecos", sont victimes de racisme dans les pays voisins car une méfiance généralisée s’est installée : pour beaucoup, un Vénézuélien est perçu comme une personne prête à tout, parce qu'elle n’a plus rien. Ironie de l’histoire, ce même stigmate a pesé sur les Colombiens lorsqu’ils fuyaient les conflits armés de leur pays dans les années 70 pour trouver refuge au Venezuela.
Maduro n’est évidemment pas responsable de l’ensemble de cette tragédie. Il est vrai que, indépendamment de lui, l’Amérique latine et les Caraïbes sont les foyers mondiaux actuels et historiques de la violence. Son projet socialiste avait sincèrement pour objectif d’y remédier. Toutefois, il apparaît clairement aux Vénézuéliens que sa politique n’a pas seulement échoué à relever les défis colossaux auxquels le Venezuela est confronté, mais a, en réalité, aggravé la situation. Ce constat renforce les critiques qui, depuis 2013, dénoncent son manque de compétences pour occuper la présidence, particulièrement après l’ère marquée par le charisme et l’envergure politique d’un Hugo Chavez.
Malheureusement pour Maduro, l’âge d’or du pétrole est depuis longtemps révolu.
Ce désastre touche un peuple acculé par le désespoir, et la sensation d’être privé de sa voix ne fait que les plonger un peu plus dans leur fatalité.
Caracas semble également déterminé à défendre ses intérêts sur la scène internationale.
Face à des menaces croissantes, à des convocations et des mandats d’arrêts, Edmundo Gonzalez Urrutia a trouvé refuge en Espagne le dimanche 8 septembre en recevant la bienvenue du chef du gouvernement espagnol. Trois jours plus tard, le Parlement espagnol a adopté symboliquement un texte le reconnaissant comme véritable vainqueur des élections présidentielles face à Nicolas Maduro. En réponse à cette provocation, Jorge Rodríguez, président du Parlement vénézuélien, dominé par les partisans du pouvoir en raison du boycott de l'opposition lors des législatives de 2020, a proposé une résolution visant à rompre « toutes les relations » — diplomatiques, commerciales et consulaires — avec l’Espagne.
La tension ne cesse de grimper puisque ce samedi 14 septembre les autorités vénézuéliennes ont arrêté un nord-américain et deux espagnols, saisissant plus de 400 fusils destinés « à des actes terroristes » visant à « déstabiliser » le pays selon le ministre de l’Intérieur. Ce dernier accuse Washington et Madrid de se trouver liés à cette opération, ce que les deux capitales ont catégoriquement démenti.
Depuis le 28 juillet, les États-Unis, continuent d’imposer de nombreuses sanctions, comme à leur vieille habitude, se mêlant des affaires latino-américaines pour servir leurs propres intérêts. Ce nouvel épisode de septembre révèle que le pouvoir vénézuélien, bien que fragilisé, ne cède ni aux pressions extérieures ni aux défis intérieurs. Il continue d’employer tous les moyens nécessaires pour maintenir un chavisme désormais aussi désuet qu’illusoire.
Mais enfin, traiter Maduro de dictateur en raison de son déni démocratique ne confère pas automatiquement à quelqu’un une légitimité intellectuelle. En effet, où étaient ces mêmes critiques lorsque Nayib Bukele, président salvadorien, a été élu avec 83 % des voix, en violant sa propre Constitution et en faisant face à de graves accusations de fraude ? Est-ce que l’adhésion à la même idéologie doit continuer d’occulter toutes ces formes d’intolérance ?
La véritable intégrité politique réside dans la capacité à dénoncer les abus et les dérives, peu importe le camp que l’on soutient. Ne pas le faire équivaut à participer aux dérives malsaines qui peuvent infecter toute orientation politique.
Djivel Dufour
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