Hayat Tahrir al-Cham : Mutations d’un groupe au cœur des enjeux sécuritaires de la future Syrie

4 janvier 2025
« Cette victoire, mes frères, est une nouvelle histoire de la nation islamique […], c’est une nouvelle histoire pour la région », tels furent les mots prononcés par Abou Mohammed al Joulani, leader du groupe Hayat Tahir al-Cham (HTS ou HTC, en français : Organisation de libération du Levant), dans la Grande mosquée des Omeyyades de Damas le 9 décembre 2024. Après une offensive éclair d’une dizaine de jours, le groupe de rebelles islamistes a acté la chute du régime de Bachar al-Assad et de sa dynastie, après près de 25 ans à la tête du pays.
Abou Mohammad al-Joulani se rêve à présent comme le nouvel homme fort de la Syrie, épaulé par un groupe, le HTS, qu’il veut présenter au peuple syrien comme le fer-de-lance incontesté de la révolution syrienne. La guerre civile syrienne, débutée en 2011, s’inscrit dans le « Printemps arabe », série de contestations populaires dans de nombreux pays arabes dont la Syrie. Le régime autoritaire de Bachar al-Assad réprime dans le sang et la violence les manifestations pacifiques qui réclamaient plus de liberté. S’ensuit la constitution de l’Armée syrienne libre (ASL), composante de militants déterminés à renverser le régime qui s’impose face aux forces gouvernementales jusqu’en 2013.
La guerre civile syrienne a aussi été le champ de développement de l’État islamique – Daesh – à partir de 2014, dont le territoire proto-étatique s’étendra à la fois sur la Syrie et l’Irak voisin et redessinera les frontières d’un conflit multiethnique et multireligieux tout en étant l’auteur d’attentats dans différentes régions du monde. La guerre civile syrienne fut (ou est) l’un des conflits les plus importants dans l’histoire de la mouvance jihadiste depuis la guerre d'Afghanistan de 1979.
C’est dans ce contexte que se développe Hayat Tahrir al-Cham dans le nord-ouest de la Syrie autour de la ville d’Idleb. Il convient donc d’étudier les mutations et les dynamiques socio-organisationnelles du groupe pour comprendre son émergence et l’évolution de sa perception sur la scène syrienne et internationale. Aujourd’hui central dans la Syrie de demain, la montée en puissance du groupe en décembre 2024 participe à redessiner les contours sécuritaires du Levant, et plus globalement d’affrontements géopolitiques entre puissances de la région et du monde.
I. Hayat Tahrir al-Cham, un groupe islamiste d’un genre nouveau ?
A. Une naissance dans la scission avec l’idéologie islamiste transnationale
La naissance de ce groupe témoigne de la complexité des acteurs de la guerre civile syrienne. Il est fait d’une succession de scissions et de fusions, fruits à la fois d’orientations stratégiques et de divergences idéologiques sur le fond. La genèse de ce mouvement remonte à fin 2011 avec la création de Jabhat al-Nusra, le prédécesseur de HTS, par Abou Mohammed al-Joulani (actuel leader de HTS), au départ dans la nébuleuse de l’État islamique en Irak et au Levant d’al Baghdadi, avant de la quitter en avril 2013.
Créé dans l’optique de renverser le régime syrien et d’implanter un califat, les premiers membres du mouvement comprenaient des djihadistes salafistes recrutés dans les réseaux de l’État islamique et d’Al-Qaïda en Syrie. Affilié à Al Qaïda à partir de 2013 (il prendra même le nom d’« Al-Qaïda au Levant »), le groupe se sépare de l’organisation djihadiste et de son idéologique islamiste transnational en juillet 2016. En effet, si Al-Qaïda promouvait le combat contre « l’ennemi lointain » (al-‘aduww al-ba‘id) – les États-Unis et l’Occident – par le biais d’attentats et d’attaques à l’échelle transnationale, le groupe syrien, rebaptisé Jabhat Fatah al-Sham, entend focaliser ses objectifs stratégiques sur le renversement du régime néo-baasiste de Bachar al-Assad et l’instauration d’un État régi par la charia dans les frontières de la Syrie.
Cette scission avec l’idéologie islamiste transnationale peut être expliquée par deux facteurs.
D’une part, l’impossibilité d’unifier l’opposition sous la bannière d’al-Joulani, en raison de la qualification terroriste d’Al-Qaïda par les États-Unis et l’Organisation des Nations Unies (ONU), rendant impossible la participation du front al-Nosra dans le Processus d'Astana, et affaiblissant de facto le groupe au sein de la diversité des mouvements révolutionnaires. En effet, le mouvement était réticent à abandonner son allégeance à Al-Qaïda, validant symboliquement le récit du régime d’Al-Assad selon lequel la révolution syrienne était un levier du terrorisme islamiste, discréditant ainsi l’opposition. D’autre part, le ciblage par une campagne de frappes aériennes américaine des dirigeants du Front al-Nosra.
Le Jabhat Fatah al-Sham mènera par la suite une fusion avec 4 autres groupes djihadistes pour former officiellement Hayat Tahrir al-Cham le 28 janvier 2017, sous la direction de Abou Jaber, ancien chef du groupe Ahrar al-Cham, et d’al-Joulani. La stratégie de désalignement avec Al Qaïda fut donc largement motivée par des orientations stratégiques de réaction à l’environnement menaçant – voire mortel – dans lequel évoluait le groupe (éventuel ciblage conjoint américano-russe et possibilité d’une intervention turque).
Cette scission engagée par Abou Mohammed al-Joulani fut désapprouvée par la branche la plus « extrémiste » de l’ancien Front al-Nosra mais également par les dirigeants d’Al-Qaïda. Al Jouani fut accusé de semer la division (« fitna ») parmi le djihadisme et de soutenir un nationalisme syrien plutôt que le combat à vocation mondiale de l’islamisme djihadiste d’Al Qaïda. Cette scission idéologique, motivée par des objectifs stratégiques, poussera d’anciens membres du HTS et du Front al-Nosra a fondé de nouveaux groupes comme le Tanzim Hurras al-Din en février 2018, partie intégrante de la nébuleuse Al-Qaïda dans la guerre civile syrienne. Néanmoins, sa séparation apparente d’Al-Qaïda, pour des raisons stratégiques, ne signifie pas pour autant la modération de l’idéologie du groupe, qui reste par définition floue. Elle n’implique pas non plus l’abandon de l’usage du terrorisme comme moyen d’action politique, en témoignent les attentats kamikazes de Homs du 25 février 2017 revendiqués par le groupe.
Ainsi, Hayat Tahrir al-Cham peut être défini comme un mouvement appartenant à la lignée néo islamiste, qualifié par certains observateurs de « révisionniste ». Le groupe entend fonder son action sur l’intérêt général (« al-masa'il al-mursala ») et sur une posture pragmatique qui le pousse à abandonner l’idéal transnational pour limiter sa stratégie au seul territoire syrien. Il incarne une « troisième voie » inédite qui renie le djihad global et entend s’ancrer dans une cause nationale, à une échelle plus locale.
B. Un changement d’échelle vers le bas, un objectif d’ancrage
Le groupe HTS semble suivre, principalement sur une période allant de 2017 à 2020, un « changement d’échelle vers le bas » qui témoigne d’une volonté d’ancrage, qui va de pair avec l’abandon d’une stratégie transnationale. Alors que le groupe menait une véritable guerre contre son rival Ahrar al-Sham dans la région d’Ildlib, au nord-ouest du pays, il a cherché à la fois à consolider son contrôle militaire mais aussi à s’affirmer comme une autorité politique légitime sur les territoires qu’il contrôlait.
La formation du Gouvernement de salut syrien (« hukumat al-inqadh al-suriyya ») en novembre 2017 témoigne de cette volonté de HTS de se projeter dans la gouvernance territoriale et de renforcer son ancrage local aux yeux de la population civile. Ce gouvernement, organisé en ministères (intérieur, justice, biens religieux, économie…) administrait une population estimée à 4 millions de personnes en 2023 par le groupe. Il s’était donné pour mission de fournir à la population des services publics d’eau et d’électricité, bien que sa mise en application soit difficile à estimer voire à attester. Ce gouvernement de salut entrait en direct concurrence avec le Gouvernement intérimaire syrien mis en place en 2013 par la Coalition nationale syrienne, qui revendiquait des valeurs laïques et participait à des négociations de paix internationales.
Hayat Tahrir al-Cham a également renforcé son ancrage local et sa gouvernance territoriale dans un objectif économique. En effet, le groupe contrôlait l’économie d’Idlib et notamment la majorité des échanges commerciaux et humanitaires réalisés avec la Turquie au nord. Il détenait de nombreux postes-frontières comme celui de Bab al-Hawa qui lui permettait de prélever des taxes, notamment sur le commerce des carburants importés depuis la Turquie par le biais de la compagnie pétrolière Watad. Il projette également son autorité sur les services financiers : les bureaux de change et de transferts d’argent. Le groupe contrôle enfin la justice, par la mise en place de tribunaux religieux d’État.
Il instaure une police des mœurs, la Hisba, qui impose des mesures islamistes rigoristes aux femmes notamment.
Depuis 2020, le groupe profite également d’une stabilisation des lignes de front au nord-ouest pour organiser une mutation profonde de son système organisationnel. HTS aspirait à une gouvernance plus « rationnelle » en intégrant des membres de la société civile et de la classe moyenne éduquée d’Idlib dans son administration – tout en prenant soin de les sélectionner et d’en purger les éléments les plus dissidents –. Néanmoins, ce « changement d’échelle vers le bas » dans un but, notamment, de légitimation vis-à-vis de la population reste à nuancer. La violation des droits humains et les violences contre les civils persistent, notamment sous la forme d’arrestations et d’exécutions arbitraires, qui ont provoqué plus de 15 manifestations à Idlib sur la période 2020-2022.
C. Un groupe fréquentable en devenir ?
Si le groupe s’est lancé dans une redéfinition de sa vision du djihad en Syrie, notamment par une approche plus locale et ancrée vers « le bas », al-Joulani a aussi mis un point d’honneur à lisser son image, en vue de devenir le prochain homme fort de la Syrie post-Assad.
Dès 2017, le groupe a notamment dû revoir sa stratégie vis-à-vis d’acteurs extérieurs comme la Turquie, pour assurer sa survie et sa mainmise sur les territoires qu’il contrôlait. Il a notamment avancé en février 2017 sa volonté d’« établissement de relations équilibrées » avec des pays tiers. Il a suivi un processus de certification, c’est-à-dire de mise en relation voire de reconnaissance de la part d’un acteur faisant autorité, ici la Turquie et la communauté internationale en général.
Cet alignement progressif sur les positions turques s’est aussi illustré lors des accords de cessez-le-feu russo-turcs de mars 2020 dans le nord-est de la Syrie où le HTS s’est opposé militairement à des groupes de la nébuleuse Al-Qaïda comme le Tanzim Hurras al-Din, opposé à l’accord. L’établissement de relations avec la Turquie semblait d’un point de vue stratégique indispensable au groupe, face au soutien russe apporté au régime de Bachar al-Assad dans le nord-est du pays. En parallèle, le groupe s’est lancé dans une opération de légitimation religieuse et idéologique de ses contacts avec des acteurs comme la Turquie. En mobilisant des références externes au groupe comme le religieux islamiste, proche d’Al-Qaïda, Abu Qatada al-Filastini, le groupe fonde sa rhétorique sur la volonté d’observer la réalité (waqi’) et a légitimé l’établissement de relations avec des pays tiers à la condition qu’elles servent l’intérêt du djihad.
En outre, plus récemment, Hayat Tahrir al-Cham a tenté de lisser son image alors qu’il semblait sur le point de remporter une victoire décisive face au régime, à Alep, début décembre 2024. Cette stratégie s’inscrit dans une volonté d’être retiré des organisations considérées terroristes par les Occidentaux, et donc d’appuyer sa prise de pouvoir dans la Syrie post-Bachar. Abou Mohammad Al-Joulani avait notamment donné pour instruction à ses troupes de traiter les minorités confessionnelles avec respect. Il avait également annoncé vouloir une Syrie où « les kurdes ont le droit de vivre dans la dignité et la liberté », dans l’espoir de donner des gages aux Occidentaux.
Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024, al-Joulani et son groupe entendent s’imposer comme les interlocuteurs principaux des acteurs-tiers du conflit. Les États Unis ont notamment établi un contact direct avec le HTS le 14 décembre 2024, confirmé par le secrétaire d’État Antony Blinken. La Turquie et la France ont quant à elles, rouvert leurs ambassades syriennes, fermées depuis 2012.
Si HTS tente aujourd'hui de se positionner comme un acteur politique à la fois légitime et central pour la Syrie, ses efforts pour apparaître comme un groupe « fréquentable » restent entravés par son idéologie djihadiste et ses liens passés avec des organisations comme Al-Qaïda ou l'État islamique. L'avenir de sa légitimité reposera notamment sur sa capacité à s'imposer comme autorité politique face aux autres acteurs de la guerre civile syrienne.
II. Hayat Tahrir al-Cham au centre des enjeux sécuritaires de la future Syrie
A. Un acteur stratégique de l’« après guerre civile »
Alors que le régime d’al-Assad semble laisser présager un vide politique, ou du moins à minima une incertitude, Hayat Tahrir al-Cham se place au centre des enjeux sécuritaires de la future Syrie. Al-Joulani semble vouloir privilégier une prise de pouvoir dans le but d’éviter un chaos à la fois politique et militaire qui pourrait déstabiliser la région et favoriser l’émergence – ou réémergence – de certains acteurs comme l’État islamique, retranché à ce jour dans des poches au sein de la Badiya, aussi appelé désert central, en Syrie. Le leader militaire de HTS a notamment engagé des négociations avec d’anciens membres du régime pour assurer une transition politique efficace et ordonnée.
Néanmoins, HTS entend bien s’imposer comme autorité politique légitime dans la nouvelle Syrie. Par exemple, Mohammed al-Bachir, proche d’al-Joulani et ancien chef du gouvernement de salut syrien –autorité territoriale à Idlib que nous avons abordé plus haut –, a été nommé comme Premier ministre de transition, après un court intérim de l’ancien chef du gouvernement Al-Jalali.
En outre, la question de la relation de HTS avec les multiples autres acteurs de la guerre civile syrienne relève d’enjeux sécuritaires qui participeront à dessiner la Syrie de demain. Tout d’abord avec les Forces démocratiques syriennes (QSD), coalition militaire majoritairement kurde (avec les Unités de protection du peuple, YPG), qui avait été en première ligne face à Daesh. Les forces kurdes, soutenues par la coalition internationale, sont en opposition avec la Turquie de Erdogan et ont fréquemment été en conflit avec le HTS et l’Armée nationale syrienne.
Al-Joulani et le HTS ont notamment fait savoir leur intention de prendre le contrôle des zones kurdes au nord-est du pays, exacerbant des tensions déjà existantes. L’opposition du HTS aux forces kurdes s’explique notamment par leur proximité avec les États-Unis mais également leurs orientations laïques qui provoquent des tensions avec la vision rigoriste et islamiste portée par le groupe. La question centrale reste aussi de savoir si les forces kurdes syriennes chercheront à établir un Kurdistan syrien autonome dans la Syrie de demain, proposition qui pourrait devenir le véritable point de cristallisation entre HTS et les forces kurdes.
B. La Russie et l’Iran : la fin de l’ « Axe de la Résistance » ?
La Syrie de al-Assad faisait, jusqu’à présent, partie intégrante de l’Axe de la Résistance, alliance à la fois politique et militaire qui unit l’Iran à ces alliés régionaux : Syrie, Hezbollah, Houthis…
Elle était notamment centrale dans l’acheminent de matériels militaires vers le Hezbollah libanais, milice chiite en première ligne face à l’ennemi principal de l’Iran : l’État d’Israël. Cette Axe de la Résistance comportait également dans une moindre mesure, la Russie de Vladimir Poutine, qui restait un allié clé du régime iranien et syrien dans la région. La chute de Bachar al-Assad et la montée en puissance de Hayat Tahrir al-Cham et de son chef al-Joulani semble signer l’arrêt de cette alliance dans le Levant.
En effet, l’Iran incarnait un allié traditionnel et incontournable du régime de la dynastie Assad depuis son intervention dans la guerre civile de 2011. De nombreux combattants de la milice chiite du Hezbollah participaient à soutenir militairement le régime syrien face aux rebelles. Le régime de Bachar al-Assad pouvait notamment compter sur l’appui des « Comités populaires » (lijan al-sha’biyya), composés de chiites mais aussi d’alaouites et de chrétiens qui représentaient environ 10 000 à 20 000 miliciens dans la guerre civile syrienne.
Cette alliance intervenait dans une stratégie de Téhéran pour contenir l’influence d’acteurs régionaux comme l’Arabie saoudite ou la Turquie. La chute de Bachar al-Assad est une profonde défaite géopolitique pour le régime des mollahs. Elle signe également l’accroissement de la rivalité turco-iranienne, alors que Erdogan voit son influence se projeter à présent sur la majorité du territoire syrien, à travers l’Armée nationale syrienne (ANS) mais aussi, dans une moindre mesure, à travers HTS. Enfin, la chute de Bachar al-Assad représente également un coût financier considérable pour le régime iranien, estimé entre 50 et 60 milliards de dollars ($), le montant des aides iraniennes au régime syrien déchu. Elles comprenaient notamment les subventions pétrolières et le paiement des milices et infrastructures de soutien au régime.
La chute de Bachar al-Assad est aussi une défaite pour Vladimir Poutine et la Russie. En effet, le régime russe avait dû désengager progressivement ses moyens militaires en Syrie du fait de son enlisement en Ukraine. Pourtant, si la fuite de Bachar al-Assad apparaît comme une preuve du soutien continu du Kremlin envers son ancien homologue syrien depuis le début de la guerre civile, la Russie semble à présent opérer un tournant stratégique face à la prise de pouvoir de Hayat Tahrir al-Cham. La Russie possède deux bases militaires, centrales dans sa force de projection militaire dans la région.
La base navale de Tartous et la base aérienne de Hmeimim sont des atouts stratégiques dont la Russie ne souhaite pas se priver pour tenter de maintenir une influence régionale fragilisée par la chute de leur ancien allié. Le Kremlin, par la voie de son vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, a notamment fait savoir son désir d’engager des négociations avec HTS et le nouveau régime dans le but de maintenir sa présence militaire dans la région.
La Russie et l’Iran semblent donc être les deux grandes perdantes de la chute de Bachar al Assad et la montée en puissance de HTS. Si l’Iran apparaît comme définitivement fragilisée par la progression de l’influence turque dans la région, la Russie s’engage dans un jeu diplomatique complexe pour tenter de maintenir son influence dans la Syrie d’al-Joulani.
C. Vers une escalade avec Israël ?
La chute du régime de Bachar al-Assad et la montée en puissance de HTS représentent un enjeu sécuritaire majeur pour l’État d’Israël et une porte ouverte majeure pour le futur de la région. En effet, Israël occupe depuis la guerre des Six Jours de 1967 le plateau du Golan, au sud-ouest de la Syrie. Durant la guerre civile syrienne, les territoires syriens à proximité du plateau ont été le théâtre de développement de groupes terroristes affiliés l’État islamique, poussant Israël à surveiller et consolider la frontière.
À la suite de l’annonce de la chute du régime de Bachar al-Assad, l’État hébreu a mené une opération de bombardements massifs sur les bases militaires désertées de l’armée pro-Bachat, à présent contrôlées par HTS. Dès le 8 décembre, Tsahal, l’armée israélienne, a pris pour cible des entrepôts d’armes, des dépôts de munitions, des aéroports, des bases navales et des centres de recherche, mettant hors-service la quasi-majorité des restes de la capacité militaire syrienne.
Ces frappes ont également été menées pour détruire l’arsenal d’armes chimiques de l’ancien régime syrien, utilisé massivement comme outil de répression militaire pendant la guerre civile – notamment le gaz sarin –. La prise de pouvoir de HTS en Syrie a également poussé Israël à investir une partie de la zone de séparation entre l’État hébreu et la Syrie qui restait sous contrôle de l’ONU. L’armée israélienne s’est notamment emparé du versant syrien du mont Hermon qui offre une vue surplombante sur l’ensemble de la région et sur Damas.
Cette zone, initialement créé en 1973 pour éviter une reprise des affrontements militaires israélo-syriens, devient à présent un point stratégique du contrôle territorial et militaire de cette zone sensible pour Israël. Elle relève également d’enjeux hydriques puisque central dans le contrôle du bassin du Jourdain. Ces mouvements militaires semblent annoncer les futures tensions, particulièrement brulantes, entre le groupe d’al-Joulani et Israël. Le vice-ministre des Affaires étrangères israélien, Sharren Haskel, a notamment présenté le chef du groupe HTS comme un « loup déguisé en agneau », témoignant de la méfiance de l’État hébreu face à ce bouleversement géopolitique.
Si HTS entend bien s’imposer comme nouvelle autorité politique dans la Syrie post-Bachar, al-Joulani a avancé que la Syrie était trop « épuisée » pour mener un conflit avec Israël. Le suivi de la situation au sud-ouest de la Syrie, notamment sur le Mont Hermon, sera décisif pour déterminer le futur des relations israélo-syriennes.
Conclusion
Ainsi, la chute du régime de Bachar al-Assad et l’ascension de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, HTC) montrent l’importance de s’intéresser de près aux mutations socio-organisationnelles du groupe d’al-Joulani. Mouvement jihadiste, à l’origine proche de l’État islamique puis d’Al Qaïda, le mouvement semble avoir rompu avec l’idéologie djihadiste transnationale pour se réorienter vers un djihad plus « local », inscrit dans les frontières de la Syrie. Cette rupture est le résultat de considérations stratégiques, qualifiées parfois de pragmatisme par certains observateurs. Le groupe cherchait également à s’implanter localement par une stratégie territoriale de gouvernance tout en n’abandonnant pas le mode d’action terroriste.
La chute du régime et de la dynastie al-Assad après 55 ans de règne participe à redessiner les enjeux sécuritaires et la situation géopolitique du Levant. La fin apparente de l’Axe de la Résistance affaiblit de facto l’Iran face à son rival régional en Syrie, la Turquie. La Russie, elle, lutte pour maintenir une influence mise à mal pour la chute d’un régime dictatorial qu’elle avait soutenu et donc le maintien au pouvoir symbolisait la continuité de ses bases militaires au Proche-Orient.
En outre, les futures relations israélo-syriennes représentent un enjeu clé de la situation géostratégique de demain.Si le Hezbollah iranien ressort fragilisé, d’une part par sa confrontation avec Israël et la mort de ses chefs et d’autre part par la coupure territoriale directe avec l’Iran via la Syrie, l’État hébreu semble utiliser la situation pour étendre son emprise militaire et territoriale sur des territoires stratégiques au sud-ouest de la Syrie.
Enfin, l’avenir de la Syrie sous domination du groupe d’al-Joulani reste incertain. Il sera déterminé par la capacité du groupe à stabiliser le pays et à s’imposer comme autorité politique légitime face à la pluralité des acteurs de la guerre civile syrienne. Son ascension intervient dans une recomposition profonde des dynamiques géopolitiques de la région, due à la chute d’un régime dictatorial et dynastique qui semblait, pourtant, toujours tenace après 13 ans de guerre civile.
Gaspard
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