Israël sous Netanyahu : un État terroriste en devenir

the times of israel
7 octobre 2024
“I don’t know who sold our homeland
But I saw who paid the price.”
Mahmoud Darwich, poète et écrivain palestinien, dans un poème intitulé “The War Will End” (date de rédaction inconnue).
Une brève contextualisation historique d’avant-propos
Ces mots écrits par Mahmoud Darwich, si justes soient-ils, décrivent particulièrement bien la situation israélo-arabe actuelle. Soyons clairs d’entrée de propos : depuis la création de l’État d’Israël proclamée par David Ben Gourion le 14 mai 1948, le conflit demeure, les guerres se répètent, et aucune solution pérenne n’a su être trouvée par quelconque acteur (géo)politique, qu’il soit régional, ou bien international ; ici, dans cet article, je n’interrogerai pas les différents évènements guerriers et conflictuels ayant eu lieu lors de la seconde moitié du XXème siècle - nous pourrions en effet écrire des milliers de pages à ce sujet, or ce n’est pas l’objectif de mon article, qui se veut être concentré sur le comportement de l’État d’Israël, dirigé et contrôlé par Benjamin Netanyahu.
Depuis 2005, et le retrait momentané des troupes armées israéliennes, la bande de Gaza est un ghetto à ciel ouvert dont les résidents, Palestiniens, mourraient de faim sans l’intervention hebdomadaire de l’aide humanitaire des Nations Unies. Les conditions de vie sur le territoire sont inhumaines, notamment sur le plan de la densité urbaine : environ 2,3 millions d’habitants sont entassés dans 400 kilomètres carrés de territoire, soit 6 000 habitants par kilomètres carrés. S’est ensuivie l’élection du Hamas en 2006 - le fait que ce groupe terroriste islamiste instrumentalisant la légitime et primordiale cause palestinienne soit élu un an après le début du calvaire que connaissent depuis lors les Gazaouis n’est donc pas hasardeux... -, lui-même vainqueur face au Fatah, le plus important parti politique de l’OLP - ce qui a conduit à ce que nous nommons généralement le “conflit des Frères” (en arabe, le terme utilisé signifie davantage “guerre fratricide” que “conflit des Frères”), qui lui-même a été meurtrier.
Si nous nous penchons davantage sur les forces politiques en présence et dominantes en Israël à la même période, nous constatons que l’influence du Likoud (qui se traduit par “la consolidation” en hébreu), parti qui initialement – le Likoud est officiellement un parti politique depuis 1988 – s’identifiait de centre-droit et qui s’est progressivement radicalisé pour in fine revêtir l’étiquette de parti d’extrême-droite, est majeure dans l’exercice du pouvoir depuis 2000.
Avant toute analyse de la situation actuelle, il faut préciser certains axes de réflexion qui me semblent être pertinent.
Tout d’abord, il est clair, comme le cite Mahmoud Darwich dans son poème, qu’à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, les Anglo-américains ont bradé la terre de Palestine pour la création d’un État israélien afin de présenter des excuses relatives au génocide juif perpétré par l’Allemagne nazie que les démocraties occidentales n’ont pas su, notamment par manque d’audace et de courage, empêché. C’est en effet l’inaction particulière des États-Unis et de l’Angleterre dans les années 1930 - pour le cas anglais, nous parlions de “politique d’apaisement” (appeasement policy) avec l’Allemagne lorsque le gouvernement conservateur de Neville Chamberlain était en poste, gouvernement qui a signé les accords de Munich de 1938 - qui a cherché à être excusée par le don de la terre de Palestine à des juifs d’Europe de l’Est notamment ayant ressenti le besoin de se rassembler sur une seule terre.
Et ce fait me conduit à un deuxième point à mentionner : tous les juifs d’Europe n’étaient pas en faveur de la création d’un État les regroupant. Constatons-le, à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, nombre de Juifs se considèrent comme appartenant à un pays, le leur, celui qui leur a attribué leur nationalité. Ils se considèrent français juifs ; italiens juifs ; britanniques juifs. Il faut par-là considérer que, surtout, les juifs ashkénazes ayant été victimes d’une particulière persécution à l’Est de l’Europe depuis le milieu du XIXème siècle ont ce souhait particulier de se rassembler sur une terre.
Mais encore, bien que je ne partage pas cet avis-ci - je considère en effet, après avoir lu de nombreuses analyses, que la création d’un État d’Israël n’était
certainement pas totalement nécessaire à l’épanouissement et la sécurité du peuple juif -, si un État d’Israël avait été créé sur une terre où les différences ethnico-religieuses ne risquaient pas de conduire à une multitude de conflits armés, cela aurait été plus acceptable, notamment par le fait qu’aucun peuple n’aurait en outre été délogé de la terre sur laquelle il était installé, vivait, et était libre. Je veux dire par-là que, comme ce fut le cas pour l’établissement des frontières entre ex-territoires de l’Empire ottoman au début des années 1920, l’État d’Israël a été géographiquement fondé sans, ne serait-ce qu’une seconde, considérer la condition du peuple palestinien, mais aussi les dissensions ethniques auquel l’établissement d’un État juif dans une région à majorité arabe allait conduire. Nous pouvons, de fait, pointer, comme à l’heure actuelle, la responsabilité occidentale dans la situation désastreuse et catastrophique que connaît la région aujourd’hui, en 2024. Sur ce point, nous y reviendrons plus tard dans cet article.
Pour une analyse du comportement de l’État d’Israël de B. Netanyahu depuis le 7-octobre
L’effroyable attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 allait forcément conduire à une riposte de l’armée israélienne. Cependant, cette riposte n’aurait pas dû être sans conditions, comme cela a en fait été le cas.
Nous attendions logiquement de la “seule démocratie du Proche et Moyen-Orient" une attaque visant le Hamas mesurée, la plus propre possible, la moins meurtrière pour les civils. Ce sont toutefois plus de 40 000 Gazaouis palestiniens qui ont péri par les bombardements, dont environ 14 000 enfants. Il est évident que ces 14 000 enfants n’étaient pas des terroristes du Hamas, tout comme il est évident que parmi les autres 26 000 victimes tous n’étaient pas des membres du groupe terroriste ciblé par Israël.
Admettons-le, aucune guerre ayant pour socle principal d’attaque des bombardements ne peut être propre. Mais cette justification utilisée par le gouvernement israélien ne peut tenir dans la mesure où Netanyahu a poursuivi cette politique militaire de bombardements sans conditions à partir de l’instant où une cible dite “ennemie” était identifiée sur le terrain après avoir anéanti le territoire gazaoui – c'est 90 % des infrastructures de la bande de Gaza qui ont été détruites, onze mois durant de bombardements.
Les défaillances sécuritaires à la frontière avec la bande de Gaza le 7 octobre ont été telles que Benjamin Netanyahu sera certainement condamné dans son propre État une fois l’état d’urgence qu’il a lui-même déclenché le 7 octobre. Cet état d’urgence, relatif aux attaques que subissent Israël, sert donc les intérêts de B. Netanyahu, puisque c’est par celui-ci qu’il se maintient au pouvoir et évite le jugement judicaire, et de facto la potentielle case prison – qu'il avait d’ailleurs évitée en acceptant la proposition de reprendre son poste de Premier ministre, proposition soumise par les partis ultra-orthodoxes majoritaires à la Knesset (c’est-à-dire au Parlement israélien).
La stratégie offensive militaire actuelle de B. Netanyahu coïncide avec la fuite-en-avant dans laquelle il s’est meurtrièrement lancé, et apparaît évidente : il est question de bombarder, de façon quotidienne et incessante, des territoires-cibles, et de justifier les morts s’ensuivant par la présence certaine - souvent supposée - d’”ennemis” dans l’espace concerné à l’instant T. Si la qualification de “crime de guerre” que nous pourrions attribuer à cette méthode reste, au regard des textes du droit international, floue, les opérations d’explosion des bipeurs et talkies-walkies les 17 et 18 septembre 2024 au Liban semblent moins l’être. La notion de crime de guerre, en fait, intervient lorsque l’intentionnalité de tuer des civils est reconnue.
La “sale” (au sens propre du terme) méthode des bombardements - comme ce fut le cas lors des interventions américaines en Irak en 1991 et en 2003 - implique, par défaut, la possibilité de dommages collatéraux dont les civils sont l’objet, et ce en raison d’une maîtrise de cette arme de guerre plus ou moins restreinte. Il existe en effet un grand risque - pour ne pas dire immense - qu’il y ait des victimes périphériques, car les frappes sont plus ou moins précises en raison du relatif large espace qu’elles recouvrent.
Néanmoins, si le cas des bombardements américains a fait office de jurisprudence dans le droit international depuis les guerres en Irak notamment, en fait cette stratégie guerrière n’est pas moins terrorisante que le fait de piéger des appareils portés par des individus appartenant supposément, pour bon nombre, à un groupe terroriste islamiste.
En effet, cette attaque méticuleusement préparée et technologiquement très aboutie est une action meurtrière pouvant être considérée comme crime de guerre : comme nous venons de le voir, la non-intentionnalité de tuer des civils peut certes être justifiée par Israël dans le cas des bombardements que l’État perpétue, mais les explosions de ces appareils, elles, ne peuvent pas être légitimées quant aux risques de victimes collatérales - deux enfants, une fillette de 9 ans et un garçon de 11 ans, sont morts lors de ces attaques. Il faut en effet considérer que ces explosions couvrent un espace réduit, et sont des attaques bien plus précises que les attaques par bombardements.
L’intentionnalité de tuer des civils présents dans la zone ciblée est de facto bien plus probable. Ce qui insère donc dans le cas la question de la volonté de toucher des populations civiles.
La stratégie offensive de B. Netanyahu est, quant à elle, semble-t-il nette : après avoir anéanti la bande de Gaza, il s’agit désormais de réduire le Liban en cendres ; une fois le Liban désagrégé, il s’agira dès lors de ruiner le Yémen... puis l’Iran ?
Un État terroriste en devenir par les actions de terreur menées
Avant d’évoquer la potentialité d’un conflit israélo-iranien direct, engagé et ininterrompu, après avoir décrit la stratégie offensive israélienne conduite par B. Netanyahu, il est désormais nécessaire d’expliquer le titre de cet article. Israël, en tant que tel, deviendrait, dans les semaines, les mois – voire années – à venir un État dit “terroriste” au regard des actions violentes effectuées dont la visée est de terroriser les populations vivant dans les zones ciblées.
C’est pour le coup que la population libanaise, qui pour la majorité n’est absolument pas mêlée au parti politique islamiste et groupe paramilitaire chiite qu’est le Hezbollah (en arabe, Hezbollah signifie “Parti d’Allah”, autrement dit “Parti de Dieu”), est maintenant logiquement terrifiée à chaque seconde de vie passée au sein du territoire libanais (principalement Beirut) d’être touchée par un bombardement israélien.
Et cette stratégie de diffusion d’un sentiment de terreur va, progressivement, s’accentuer, et s’élargir, au moins géographiquement : il s’agira par la suite d’appliquer des méthodes similaires au Yémen, dont l’attaque israélienne sera sans aucun doute justifiée et légitimée par B. Netanyahu par le souhait d’anéantir des ennemis d’Israël qui visent ses bateaux en mer Rouge (c’était particulièrement le cas le 19 octobre 2023), à savoir les Houthis, qui constituent une organisation politique armée chiite.
Sur la potentialité d’une sérieuse guerre israélo-iranienne
Après le Yémen viendra l’Iran. C’est ce que nous pourrions supposer. Cependant, me concernant, je crois que l’éclatement d’un conflit entre ces deux puissances moyen-orientales que sont Israël et l’Iran pourrait survenir dans le même temps que surviennent les conflits israélo-arabes actuellement. Par deux fois, une fois le 13 avril 2024, une autre fois le 1er octobre de la même année, l’Iran a dirigé plusieurs centaines de missiles balistiques contre Israël qui, par son dôme de fer, en est resté quasiment indemne.
Cette attaque iranienne est une nouveauté. Par le jeu des alliances, des divergences ethnico-religieux et par le souhait de régner en maître sur la région, l’Iran et Israël sont par définition ennemis. Pourtant, jusque-lors, aucune attaque provenant de l’une ou l’autre n’avait été portée. Cela est, si nous considérons que la conflictualité israélo iranienne existe véritablement depuis 1979, une rupture dans l’histoire des relations entre ces deux pays, mais aussi et surtout dans l’histoire des conflits au Proche et Moyen-Orient. Fort du soutien américain, je considère qu’Israël pourrait sans souci conduire une guerre contre l’Iran, et ce de façon ininterrompue.
L’Iran a, de son côté, tout à perdre : processus de nucléarisation militaire, influence géopolitique majeure dans la région, développement et expansion économique... Ce qui me fait donc croire que les attaques iraniennes sont des attaques de principes qui ne visaient véritablement pas à faire subir à Israël des pertes considérables, que ce soit sur le plan humain ou en termes d’infrastructures. Et cette retenue, que nous pouvons ressentir dans les attaques iraniennes du 13 avril et du 1er octobre derniers, évite pour l’instant une plus ample escalade entre les deux pays. Mais c’est évident que cette escalade aura, tôt ou tard, lieu, notamment en raison de l’encouragement et du soutien américain à Israël pour une sévère riposte envers l’Iran - d’ailleurs, le mercredi 2 octobre au petit matin, Washington se disait prêt à coordonner avec le gouvernement de B. Netanyahu une réponse directe aux attaques iraniennes.
Diatribe de la responsabilité occidentale dans la situation conflictuelle actuelle
Ce soutien des États-Unis, symbole et fer de lance de l’Occident, me conduit en outre à parler de la responsabilité occidentale dans le comportement
israélien. Il faut en effet préciser que les condamnations partielles des attaques organisées et perpétrées à la demande de B. Netanyahu, au prétexte qu’Israël est un allié historique du camp occidental, constituent un socle de décrédibilisation vis-à-vis du droit international.
La quasi-non-réaction des États occidentaux par le biais du droit international quant aux agissements de B. Netanyahu conduira à une situation où, en matière de droit international, le camp occidental n’aura, dans les années qui suivront cette période complexe, plus aucune leçon, sur le volet du droit international, à donner aux autres pays membres de l’ONU. Déjà en déclin d’influence sur le monde dans son ensemble, l’Occident perdrait donc, (géo)politiquement et en matière de relations internationales, on ne peut plus de crédibilité mais également de légitimité.
“Que veulent les Israéliens pour eux-mêmes dans l’avenir ?” (Dominique Eddé, écrivaine libanaise, dans “Benyamin Nétanyahou a pris le temps en otage”, paru dans Le Monde le 26 septembre 2024)
Dans un recueil d’articles intitulé “7-octobre, un an après” publié dans Le Monde le jeudi 3 octobre 2024, l’écrivain et militant pour la paix israélien David Grossmann écrivait : “Mon peuple s’égare dans cette violence interminable.”
Cette citation, d’autant plus pertinente pour l’interrogation que je traite dans cette partie qu’elle provient d’un écrivain israélien, interroge, tout comme la citation de Dominique Eddé qui fait office de titre pour cette partie, le souhait et le comportement du peuple israélien lui-même. Que souhaite le peuple israélien ? Quel avenir envisage-t-il pour son pays ? Quelles sont les possibilités de réaction pour les Israéliens souhaitant la paix avec leurs voisins arabes, et plus particulièrement palestiniens ?
De nombreuses manifestations pour la paix ont, constatons-le, en Israël eu lieu : manifestations pour la paix dans le Nord du Pays à Shefa-Amr le 30 mars 2024, marche pour la paix d’Israéliens juifs et palestiniens à Tel-Aviv le 26 juillet 2024, manifestation du mouvement pacifiste israélien Standing Together qui s’est tenue le 28 décembre 2023 à Tel-Aviv... Et je pourrais écrire une demi douzaine d’autres manifestations pacifistes rassemblant Israéliens juifs et Israéliens arabes lors desquelles le peuple israélien réclame la paix, et comme le citait une enseignante israélienne lors de la marche du 26 juillet 2024, la fin “des effusions de sang”.
Ces actions, pertinentes et particulièrement nécessaires, ne suffisent pas. Les fractures au sein des différents groupes ethniques de la société israélienne sont telles que se déroule une véritable chienlit au sein de la société israélienne, chienlit qui est finalement départagée par l’influence hégémonique d’un groupe ethnique sur tous les autres, à savoir les ultra-orthodoxes ashkénazes dont les partis identifiés sont majoritaires à la Knesset.
Loin de moi la prétention de proposer des solutions qui pourraient paraître efficaces et de fait pérennes - en maintenant plus de 76 ans de conflits, des intellectuels des plus remarquables n’y sont eux-mêmes pas parvenus -, mais force est de constater qu’il faut que, par les urnes, le pouvoir israélien change d’orientation politique. C’est en fait une nécessité dont le peuple israélien a la responsabilité, à la fois pour la stabilité et la paix dans la région, mais également pour la survie d’Israël et de ses voisins arabes.
Les mœurs de la société israélienne doivent drastiquement changer, une diffusion de valeurs pacifistes doit s’effectuer. Les Israéliens, pour leur avenir et ceux de leurs frères arabes dont l’histoire tantôt religieuse tantôt linguistique est si proche de la leur, doivent véritablement s’engager sur la voie de la pacification. Ils sont, je le crois, eux-mêmes la plus crédible source d’espoir pour la paix dans la région. La solution peut simplement provenir d’eux, seulement d’eux ; les Américains - qui, principalement, ont eux-mêmes créé cette désastreuse et si triste situation de guerre - ni autre partie occidentale ne réussira jamais, sur long terme, à parvenir à un accord de paix qui n’est pas susceptible de s’écrouler à chaque fois que le diable qu’est l’extrémisme d’un camp ou de l’autre frappe. L’Histoire de cet interminable conflit israélo-arabe nous a enseigné que les extrémismes ont rompu les accords de paix entre les deux parties ; les Israéliens doivent anéantir l’extrémisme régnant dans les rangs de la Knesset.
Les destructions prendront fin ; les larmes et le sang cesseront in fine de couler lorsque les autochtones trouveront, enfin, un moyen de cohabiter ensemble : je veux parler par-là de la création d’un État palestinien doté d’un gouvernement, d’un Parlement, et bénéficiant à terme, par son statut juridique international, d’une reconnaissance officielle de l’ONU. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste ; j’ai une immense foi en les capacités de l’humanité lorsque celle-ci connaît des moments critiques qui se pérennisent : je veux croire que La Guerre Prendra Fin.
Bastien Cohen
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