L'Europe en transition, quel avenir pour notre Union?

 

 

Le 25 avril, Emmanuel Macron décida enfin de participer activement à la campagne de Renaissance lors d’un discours prononcé à la Sorbonne. Le président a profité de ce dernier pour avancer à la fois ses craintes et ses ambitions pour l’Europe qu’il qualifie de « mortelle ».

 

En effet, l’Union Européenne semble être victime de contextes politiques et géopolitiques qui mènent à une impasse dans sa stabilité. Si le projet européen n’a jamais convaincu unanimement, il semble plus que jamais tiraillé entre euroscepticisme et fédéralisme. La majorité des programmes présentent la volonté de modifier les institutions européennes, mettant en lumière l’insatisfaction et la crise du fonctionnement de l’UE. Cette dernière est donc en proie à des changements drastiques dont les résultats des prochaines élections définiront le sens. 

 

Une Europe manipulée par l’extrême droite pour cinq ans ? 

 

À un mois des élections européennes, les derniers sondages réalisés par ‘Europe Elects’ confirment les menaces de dérives nationalistes voire extrémistes de l’Union Européenne. En effet, si en France la victoire du Rassemblement National semble inévitable, les résultats sur l’ensemble du continent risquent de concrétiser une mainmise du populisme. Le danger est incarné par la tristement célèbre coalition des partis d’extrême droite, le groupe « Identité et Démocratie » (ID), dont les piliers sont le RN, « l’Alternative pour l’Allemagne » (AFD) et la « Ligue du Nord » en Italie.

 

Identité et Démocratie a indéniablement le vent en poupe depuis 2019 puisque les récents sondages assurent un gain de 11 sièges par rapport aux dernières élections. La voix du groupe risque donc de peser fortement au sein de l’hémicycle strasbourgeois puisqu’il occuperait 84 sièges sur les 720 à pourvoir. Néanmoins, ce résultat demeure très insuffisant pour ne serait-ce qu’inquiéter la majorité du « Parti Populaire Européen » (PPE) qui devrait sortir vainqueur de ces élections avec environ 173 sièges. Cette coalition, dont les Républicains sont les représentants français, domine le parlement depuis 1999 et son écrasante victoire à venir devrait permettre à Ursula Von der Leyen de renouveler son mandat en tant que présidente de la Commission européenne. 

 

Pour autant, les médias s’affolent et pointent du doigt la menace qui plane sur la pérennité de l’UE… et ils ont raison. 

 

De fait, l’issue des élections devrait concrétiser une forte droitisation du parlement européen, marquée par l’émergence de thèmes tels que la souveraineté nationale, l’identitarisme ou l’euroscepticisme. Des thèmes qui résonnent comme une symphonie au sein des campagnes et des programmes du PPE et que l’on retrouve naturellement dans le conservatisme étriqué des ambitions de François Xavier Bellamy.

 

Or, la pression de la droite radicale est d’autant plus préoccupante par la diversité des mouvances extrémistes, à l’instar des « Conservateurs et Réformistes d’Europe » (CRE). Ce groupe, auquel « Reconquête! » est affilié présente également en ses membres le parti « Frères d’Italie », qui n’est autre que celui de la première ministre Giorgia Melloni, qui s’emploie à remettre au goût du jour une idéologie mortifère, derrière l’appellation « post-fascisme ». Si le CRE et ID présentent des idées fondamentalement similaires, ces derniers refusent (du moins officiellement) une coalition en raisons de divergences sur la question russe.

 

Cependant, le poids de l’aile droite de l’échiquier politique européen tend à faire basculer voire à renverser complètement le plateau. À l’issue des élections, le CRE et ID, en combinant leurs forces de vote, devraient comptabiliser environ 170 sièges auxquels il faut ajouter le soutien non négligeable de la vingtaine d’eurodéputés du Fidesz, qui eux ne sont affiliés à aucun groupe particulier. En 2021, le leader du parti hongrois, Viktor Orban, décida effectivement de quitter le PPE pour éviter l’humiliation d’une expulsion pour atteinte au libéralisme et aux droits de l’Homme. Depuis lors, la politique du Fidesz vire à l’extrême droite sans rencontrer d’obstacle, ce qui reflète la tendance de la politique gouvernementale hongroise. 

 

Les conséquences dramatiques d’un hémicycle miné par l’extrême droite 

 

Bien qu’une alliance de ces mouvances pourrait étouffer les débats à Strasbourg, elles semblent être victimes de leur propre démagogie et populisme. De part et d’autre, on jette la pierre à l’extrémisme, à l’incohérence des propos et aux risques de dérives préjudiciables. Alors que le Fidesz reste insensible aux tentatives de séduction d’Identité et Démocratie, les membres d’ID tentent de camoufler les liens avec le parti du premier ministre hongrois. L’intégration du Fidesz représente un véritable enjeu électoral pour la coalition puisqu’elle permettrait de gonfler les rangs du groupe avec un parti au pouvoir tandis que la plupart des membres sont des partis d’opposition comme le RN.

 

Or, à l’occasion de la CPAC Hongrie, ce congrès qui prône l’ultraconservatisme, la tête de liste RN, Jordan Bardella, n’a pas daigné se présenter, lui qui y participait lors de la première édition en 2022. Pour autant, l’agenda anti-migrants, anti-LGBT et anti-woke qui fût avancé semble lui correspondre parfaitement. Ainsi cette distanciation artificielle, liée à la stratégie de dédiabolisation entreprise depuis quelques années par Marine Le Pen ne trompe personne, étant donné le partage de positions pro-russes et même le lien d’amitié entre Le Pen et Orban.

 

Le soutien à la Russie, s’il charme certains électeurs, représente un véritable danger pour la pérennité de l’Union Européenne et la sécurité de ses membres, d’autant plus lorsque ce soutien se transforme en réelle ingérence. Alors que l’on apprenait que les alliés du RN, l’AFD, étaient minés de l’intérieur par des espions russes, les dernières révélations dévoilent la présence d’agents de la République Populaire de Chine qui partage clairement un certain dégoût de l’occident. 

 

Un vote dont la portée semble limitée à la politique nationale

 

Si ces élections concernent l’Union Européenne, les intentions de vote reflètent des préoccupations de politique interne. Par exemple, le succès de Bardella concrétise davantage un vote d’opposition qu’un vote d’idée. En effet Emmanuel Macron risque de payer sévèrement le 9 juin les conséquences de son jeu dangereux avec la banalisation du RN. Si le front républicain lui servait de barrage à l’extrême droite, la France constatera que ce dernier est mort.

 

L’opposition à la macronie semble être l’enjeu principal de ces élections et est mise en exergue à gauche par la montée en puissance de la tête de liste PS, Raphaël Glucksmann, qui représente un vote d’opposition plus rationnel que le RN. Les français en ont assez de voter Renaissance pour éviter l’arrivée du RN au pouvoir et la campagne désastreuse de Valérie Hayer le prouve. Si le choix de la technocratie plutôt que de la popularité avait marché avec Nathalie Loiseau en 2019, qui avait miraculeusement recollé avec le RN, Valérie Hayer ne convainc pas.

 

Cela est d’autant plus alarmant pour Renaissance depuis le récent engagement d’Emmanuel Macron et de son premier ministre dans la campagne, qui, plutôt que de galvaniser l’opinion publique, plombe les intentions de vote. La chute libre de l’actuelle eurodéputé fait écho à un agacement des citoyens envers la politique gouvernementale et cette inconnue a sûrement été la seule à accepter d’être jetée en pâture alors qu’Olivier Véran était attendu à sa place.

 

Cette orientation vers des ambitions internes touche l’ensemble du continent européen, à l’instar de la campagne du seul opposant et espoir pour les hongrois Péter Magyar. Cet ancien partisan d’Orban, qui lutte désormais contre la politique illibérale de son premier ministre, présente un programme uniquement basé sur l’opposition. Il assume d’ailleurs très sereinement cette hiérarchie entre politique nationale et politique extérieure. 

 

Une élection dominée par le contexte géopolitique 

 

Alors que le vieux continent était devenu un havre de paix, la campagne russe en Ukraine menace désormais la sécurité collective. Dès lors, les préoccupations ont polarisé l’opinion publique face à une atteinte à notre modèle libéral. Les clivages se fondent sur les questions de la diplomatie avec la Russie, entre sanctions et interventionnisme ou à l’inverse attentisme. La politique française illustre d’ailleurs cette ambivalence; la France étant l’une des seules démocraties libérales à ne pas boycotter l’investiture de Vladimir Poutine le 7 mai en envoyant son ambassadeur Pierre Lévy.

 

Ainsi, après s’être attiré les foudres de ses alliés et de ses citoyens pour avoir évoqué un possible envoi de troupes en Ukraine le 26 février, Emmanuel Macron tente toujours d’être la voix du dialogue occidental avec Vladimir Poutine. Pour autant, les menaces du président de la République font très largement le jeu de l’extrême droite qui prône la sécurité par l’attentisme alors même que Poutine assure, lors de son investiture, que « La Russie sortira plus forte de cette crise ». Cette démagogie sur la prétendue sécurité qu’offrirait la passivité séduit à la fois les français, les européens et le monde entier, qui craint les représailles d’une opposition trop dure envers la Russie.

 

Le populisme trouve donc toujours un moyen d’inventer un sens à la politique de Poutine puisqu’on assure qu’il se limiterait à l’Ukraine, tout comme on assurait qu’il se limiterait à la Crimée. 

 

Par ailleurs, depuis le 7 octobre, un autre conflit clive l’opinion publique. Les récentes manifestations pro-Palestine dont Sciences Po est le foyer, font le jeu de l’extrémisme de l’autre côté de l’échiquier. En effet, chez La France Insoumise, la récupération politique est la dernière stratégie avancée pour tenter de récupérer les voix d’un électorat qui manifestement demeure très insuffisant. Les députés LFI et les membres de la liste aux européennes comme Rima Hassan profitent des manifestations pour faire campagne et continuer à attirer les voix de la jeunesse. 

 

Entre préoccupation interne et contexte géopolitique, quelle est la place de l’Union Européenne dans ces élections ?

 

L’évolution des institutions et des structures européennes semble plus que jamais être reléguée au second plan de ces élections. Toutefois, l’UE, telle qu’on la connaît, est en proie à des modifications importantes, elle qui reste considérée comme un « nain politique ». L’éternel problème de l’UE est que cette union est trop souvent superficielle et peine donc à se faire entendre sur la scène internationale. Entre divergences internes et dépendance aux États Unis, les moyens de l’Europe, pour être considérée comme une véritable puissance sont trop insuffisants.

 

Depuis le Brexit, la France est la seule puissance nucléaire de l’UE ce qui limite considérablement ses menaces et son hard power. Néanmoins, une victoire de Donald Trump, qui affiche ouvertement des volontés d’isolationnisme, pourrait engager la construction précipitée d’une défense européenne. L’OTAN étant menacée, les pays de l’UE pourraient n’avoir d’autre choix que de mettre en commun leurs forces militaires pour se défendre face à des puissances telles que la Russie.

 

De la sorte, à l’issue des élections, le choix sera fait entre le processus accéléré vers le fédéralisme, comme le souhaiterait Renaissance, ou la prévalence de la souveraineté nationale, ce que désire l’aile droite européenne. Les principaux thèmes de la campagne, comme l’immigration, même s’ils sont centraux, dissimulent indéniablement les questions d’organisation et de fonctionnement politique de l’Union Européenne qui risquent, dans un avenir très proche, d’être changés en profondeur. 

 

Ainsi, alors que nous sommes confrontés à de multiples enjeux et menaces face auxquels une Europe puissante serait un excellent moyen de défense, la pérennité de cette dernière se trouve en danger. Les ambitions et espoirs européens semblent condamnés à l’utopie, et ces élections, qui risquent d’être un énième frein dans la construction, pourraient en réalité achever de détruire tous les efforts du passé. Le fantasme d’une ferveur européenne est plus irréaliste que jamais et l’abstentionnisme qui pourrait atteindre des records pourrait sceller définitivement la distanciation entre la politique et les citoyens.


Fabio Bechairia

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