La France, un air de "mexicanisation" ?
7 décembre 2024 :
315, c’est le nombre d’homicides ou de tentatives d’homicide liés au trafic de drogue perpétrés en France, en 2023, soit un bond de près de 60% par rapport à l’année précédente, selon la commission d’enquête du Sénat sur l’état du narcotrafic en France dont les conclusions ont été publiées au mois de Mai dernier. Suffisant pour parler de « mexicanisation » du pays ? Avant tout, ce néologisme peut être défini succinctement comme un processus par lequel un Etat est comparé au Mexique en raison de problématiques d’insécurité liées au trafic de drogue.
Les débats autour de ce phénomène interviennent alors que Bruno Retailleau n’hésite pas, à l’occasion de sorties médiatiques, à employer ce terme. En ce sens, le 1er Novembre dernier lors d’un déplacement à Rennes, dans le quartier de Maurepas, théâtre de multiples règlements de compte, le ministre de l’intérieur a parlé d’un risque de « mexicanisation » qui pèserait sur la France. Dès lors, face à une communication politique faite de petites phrases chocs, en s’efforçant de sortir des champs partisans et autres discours idéologiques, cet article vise à comprendre quelle est l’emprise du trafic de drogue sur l’hexagone. Il convient donc de déterminer, à partir du constat de la situation mexicaine, les différences avec ce pays du continent américain mais aussi les motifs d’inquiétude pour la France.
D’abord, le Mexique est un important producteur de cannabis – avec entre 7 000 et 10 000 tonnes cultivées chaque année – et d’héroïne ensuite vendue dans les grandes villes étasuniennes. Désormais il y a même des laboratoires capables de produire des drogues de synthèse sur le sol mexicain et ce pays est une importante plaque tournante du trafic de cocaïne souvent issue de Colombie. Cela s’inscrit dans le cadre d’un Etat fragile, marqué par la porosité entre narcotrafic et pouvoir politique, dans une société souffrant de la pauvreté. L’argent de la drogue ayant infiltré toutes les institutions (police, armée, justice, fonctionnaires, maires, gouverneurs…), il n’y a plus d’Etat de droit dans la République fédérale mexicaine.
Malgré l’aide de la Drug Enforcement Administration (DEA), en l’espace de dix-huit ans, depuis l’arrivée à la présidence de Calderon (2006- 2012), la guerre contre le narcotrafic a fait plus de 450 000 morts et 100 000 disparus. Cela s’explique par la continuation perpétuelle des luttes d’influence entre les différents cartels. Ces-derniers dans certaines provinces remplacent même l’Etat en venant en aide aux plus précaires : un moyen de s’attacher de nouveaux soutiens.
A partir de ce constat, il semble évident que la France n’est pas dans une situation aussi délicate que celle du Mexique, en état de guerre contre les cartels. Point essentiel, la France n’est pas une terre productrice. De surcroit si des cas de corruption inquiétants existent – et ils seront évoqués par ailleurs – c’est sans commune mesure avec le Mexique. Le niveau de violence est également incomparable. Cela s’illustre par le taux d’homicide quinze fois plus élevé au Mexique avec un taux de 23 pour 100 000 habitants contre 1,5 pour 100 000 en France.
Par conséquent, tout ce tapage médiatique autour d’une hypothétique « mexicanisation » de la France sans préciser les réalités auxquelles cela renvoie, semble dénué d’intérêt. Cela ne détail rien de la situation préoccupante du narcotrafic dans l’hexagone dont l’analyse est l’objet des prochains paragraphes.
Ainsi, le marché de la drogue en France représente des sommes colossales. Selon l’ancien ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, le trafic de drogue représenterait entre 3,5 et 6 milliards d’euros par an. Cela va de pair avec le nombre important de consommateurs de cannabis : 5 millions de consommateurs annuels, 1,3 millions de consommateurs réguliers et 850 000 consommateurs quotidiens selon un rapport de 2022 de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives (OFDTA) ; mais aussi de cocaïne et de drogues de synthèse avec respectivement 600 000 et 400 000 usagers annuels. Ce constat permet de mettre en évidence l’importance de cette économie souterraine dans l’hexagone.
Une des conséquences alarmantes des enjeux économiques que représente le trafic de drogue est la formation et le développement de réseaux criminels de plus en plus « professionnels ». Par exemple, apparue en 2022, la « DZ mafia » s’accapare le contrôle de nombreux territoires en imposant toujours dans la violence, ses méthodes, ses prix, ses valeurs. Cette organisation criminelle est partie des quartiers Nord de Marseille avant d’imposer sa suprématie sur l’ensemble de la cité phocéenne en remportant une lutte sans merci contre le clan « Yoda » ayant fait trente-cinq victimes. Désormais la « DZ mafia » s’étend non seulement dans tout le Sud de la France à travers Nîmes, Avignon ou encore Valence mais aussi en région lyonnaise, à Dijon ainsi qu’à Rennes et Toulouse. Elle est une forme de fédération d’association criminelle apportant sa logistique, son savoir-faire et ses armes à d’autres groupes criminels. Cela n’est pas sans rappeler le fonctionnement des cartels mexicains ou de la mafia du Sud de l’Italie.
La France fait donc face à un phénomène nouveau et inquiétant. Cela se caractérise également par le recrutement de tueurs à gages toujours plus jeunes via les réseaux sociaux comme en témoigne le cas du tueur présumé de quatorze ans dans le cadre du meurtre d’un chauffeur VTC à Marseille, début Octobre. Face à cette aggravation des violences, la sémantique a changé, le terme de « narchomicide » est préféré à celui de « règlement de comptes » mettant en exergue la prise de conscience de la gravité de la situation. Illustrant également cet engrenage des violences, les trafiquants n’hésitent pas à défier l’Etat en se présentant à ce-dernier comme un interlocuteur. C’est le sens de la vidéo partagée le 9 Octobre dernier par la « DZ mafia » pour démentir les accusations à son encontre, un procédé symbolisant la puissance grandissante de cette organisation.
Enfin, sûrement le phénomène le plus alarmant, le développement de la corruption guette la France. Elle se manifeste déjà dans les prisons depuis lesquelles les têtes de réseaux continuent de diriger leur trafic. En effet, les téléphones circulent aisément et les surveillants face au sentiment d’échec et exerçant dans des conditions toujours plus difficiles sont en proie à la corruption. Par exemple, en Décembre 2023, un réseau de corruption à la prison de Meaux a été démantelé. Une greffière agissant au profit de trois trafiquants au lourd casier judiciaire était même impliquée.
En outre, les ports européens, essentiels dans l’acheminement des marchandises illicites, sont marqués par des cas de corruption. En ce sens, un rapport alarmant d’Europol publié en 2023 montre que seuls 2% des conteneurs sont contrôlés et jusqu’à 10% pour ceux issus d’Amérique Latine. Pour échapper aux inspections, les trafiquants achèteraient les dockers, les grutiers, les employés des autorités portuaires et ceux ayant accès aux systèmes informatiques en échange de plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Plus grave encore, certains services de polices et douaniers seraient infiltrés prévenant les trafiquants à l’avance des contrôles. De plus, lorsque ces-derniers sont renforcés dans les principaux ports tels que Rotterdam, Anvers ou Hambourg, les stupéfiants sont acheminés sur le vieux continent par des ports secondaires et notamment les deux plus grands points d’entrée maritimes français, Marseille-Fos et Le Havre. La lutte contre le trafic de drogue apparait donc d’autant plus difficile que ce dernier est diffus.
En définitive, la situation du trafic de stupéfiants en France demeure bien différente du cas mexicain. Pour autant, il ne faut pas nier les menaces que représente cette économie souterraine, de plus en plus puissante dans l’hexagone. Alors, pour revenir à notre question initiale, suffisant pour parler de « mexicanisation » de la France ?
A la lueur des éléments évoqués dans cet article, chacun se fera son opinion, mais au fond, peu importe. En effet, l’enjeu prioritaire, une fois le constat établi, n’est pas de s’attarder sur ce qui ressemble à de la « petite politique » mais bien de réfléchir à des solutions pérennes. Ainsi, face à une situation à la fois urgente et complexe on peut s’interroger, en dehors de toute considération idéologique, sur les solutions à mettre en œuvre pour endiguer le trafic de stupéfiants et les effets délétères qu’il génère.
Mathis SORLUT
Créez votre propre site internet avec Webador