La Pennsylvanie en juge de paix

 

 

Avec 19 Grands électeurs, le plus important des Swing States est également un des plus indécis.

 

La Pennsylvanie est réputée être l’Etat baromètre des élections américaines.

Constitué de grandes métropoles dynamiques, des villes moyennes touchées par la désindustrialisation, et des campagnes agricoles, le Keystone State (littéralement Etat Clé-de-voûte) semble parfois incarner une représentation miniature des Etats-Unis d’Amérique.

 

Depuis les années 70, la Pennsylvanie est considérée comme un swing state. Constamment au diapason du vote national entre 1972 et 1996, les Pennsylvaniens ont penché vers le bleu au tournant des années 2000. Avec à chaque fois des marges resserrées, Clinton, Kerry, puis Obama par deux fois recueillent les 20 Grands Electeurs du Keystone State

En 2016, c’est le grand chamboulement: alors que les sondages voyaient Hillary Clinton s’imposer confortablement, c’est Donald Trump qui empoche l’Etat, après 28 ans de mainmise Démocrate. Et ce pour 44 000 voix.

4 ans plus tard, c’est à 80 000 voix près que Joe Biden rectifie le tir. Pour mettre en perspective ces écarts, il faut se dire que lors des deux dernières élections le vainqueur l’a emporté pour moins de 0,01% des voix. 

 

Pour l’élection 2024, les sondages sont dans la marge d’erreur, et il faut bien comprendre que dans une élection qui peut se jouer à quelques voix d’écarts, la suspicion de fraudes, serpent de mer agité en permanence par la campagne Trump, pourrait faire basculer le scrutin dans l’opacité. Alors que des enquêtes ont été lancées par les autorités de plusieurs comtés pour vérifier les inscriptions sur les listes électorales, Donald Trump a accusé sans la moindre preuve les Démocrates d’être à l’origine de fraudes électorales à Lancaster, Pennsylvanie.

 

Selon Adimpact, une agence qui compile les dépenses publicitaires des partis politiques, le camp démocrate a dépensé 159,1 millions de dollars et le parti républicain 120,2 millions en Pennsylvanie, entre le 22 juillet (retrait de Joe Biden) et le 7 octobre. Ces sommes astronomiques font de la Pennsylvanie l'État où les deux partis ont dépensé le plus d'argent ces dernières semaines

 

C’est aussi là que les candidats se déplacent le plus. Kamala Harris cumule ainsi une quinzaine de déplacements sur les terres natales de Joe Biden, privilégiant les villes. Si on ne peut résumer la géographie politique américaine à l’opposition entre des villes progressistes et des campagnes conservatrices, cette fracture semble nette en Pennsylvanie, et c’est en toute logique que Donald Trump privilégie lui les comtés ruraux, comme celui de Butler où il faillit trouver la mort le 13 juillet dernier. 

 

En effet, comment ne pas évoquer l’un des tournants de la campagne, cet après-midi d’été dans laquelle le destin du pays aurait pu basculer dans le chaos, Donald Trump évitant une blessure mortelle pour quelques centimètres. Le choc retombé, le milliardaire n’hésite pas à surfer sur sa nouvelle image de miraculé. Revenu sur les lieux le 5 octobre, il déclare: “ Il y a douze semaines, ici même, un assassin a tenté de me réduire au silence, ainsi que notre mouvement. Ce monstre vicieux (…) était proche d’y parvenir, mais la main de la Providence l’en a empêché”.

 

Présent ce jour-là à Butler, Elon Musk a lui pris une place déterminante dans la campagne pennsylvanienne. Au-delà de ses apparitions aux côtés de Trump, le fondateur de SpaceX pilote depuis Pittsburgh, où il a établi son “centre de commandement”, ses actions massives de soutien à la campagne républicaine. Dernière trouvaille en date, une loterie qui tire au sort parmi les signataires d’une pétition pro-Trump un gagnant par jour, qui empoche la modique somme d’un million de dollars. Allant même plus loin, le propriétaire de X déclare la semaine dernière: “Offre spéciale pour les électeurs de Pennsylvanie ! Cent dollars si vous signez cette pétition”.  Ladite pétition proclamant un soutien aux 2 premiers amendements de la Constitution Américaine, qui encadrent (peu) les droits relatifs à la liberté d’expression et au port d’armes, il n'est pas nécessaire de préciser quel électorat est visé.

 

Cet achat de votes plus ou moins déguisé est en théorie illégal, mais Musk, traduit devant la cour de justice de l’Etat, tente de retarder la procédure.

 

Les 18 millions de dollars dépensés jusqu’alors par le milliardaire et son comité d’action politique America PAC sont un calcul reposant sur une hypothèse: comme beaucoup d’observateurs, Musk est persuadé que l’élection se jouera en Pennsylvanie.

 

Kamala Harris privilégie elle une approche de terrain, dans les banlieues des métropoles, territoires âprement disputés, on la voit au contact de la population, s’arrêtant dans les boutiques, restaurants, salons de coiffure… En ces derniers jours de campagne, le camp démocrate souhaite surtout capitaliser sur la colère des Latinos, directement visés par une blague raciste par l’humoriste Tony Hinchcliffe pendant un meeting de Trump. En comparant Porto-Rico à une “île flottante d’ordures”, le petit malin pourrait bien obérer les chances de Donald Trump en Pennsylvanie, alors que les 600 000 électeurs latinos seront à coup sûr décisifs dans la lutte que se livrent les deux camps.

 

Théâtre d’une bataille acharnée, le Keystone State a été témoin d’une des images de la campagne, Donald Trump reconverti en serveur servant des frites aux clients d’un McDonald’s pour se moquer de Kamala Harris qui avait confié avoir travaillé dans le célèbre fast-food pour payer ses études, ce à quoi Trump ne croit pas. Illustration d’une campagne désarçonnante, et d’un “trumpisme” poussé jusqu’à la caricature.

 

Sans la Pennsylvanie, les deux candidats auraient besoin d’un miracle : le statisticien Nate Silver (une référence aux Etats-Unis) a estimé que Harris a plus de 88 % de chances de gagner si elle sécurise la Pennsylvanie, tandis que les chances de Trump de retourner à la Maison-Blanche grimpent à plus de 90 % s'il remporte cet État. C’est toute la spécificité du mode de scrutin américain, qui fait de certains Etats les réels décideurs de l’élection. 

 

 A elle seule, la Pennsylvanie représente un concentré de ce qu’aura été cette campagne.
Une campagne violente, ordurière, flirtant parfois avec le ridicule, consacrant l’avènement de l’ère de la post-vérité, dans laquelle l’argumentation et les faits sont relégués au second rang derrière l’idéologie, l’émotion et la croyance.

 

Alors que 76 % des citoyens craignent une explosion de tensions politiques après le scrutin, la rupture semble consommée entre deux Amériques qui ne se parlent plus ni ne s’écoutent. Dans l’Etat qui a vu naître la démocratie américaine, espérons seulement que le résultat des urnes fasse foi pour déterminer le vainqueur.

 

Rémi