Le Sand Power : la place du sable dans la géopolitique mondiale

Photographie de Mathias Depardon, Le Monde, les « pilleuses » du Cap-Vert, 20 septembre 2022
Le sable, tout comme les énergies fossiles telles que le charbon, le pétrole ou le gaz, est actuellement reconnu comme une ressource cruciale pour notre société. Surprenant pour certains, ce matériau représente la deuxième ressource la plus convoitée au monde après l'eau.
Les grains de sable font l'objet d'une exploitation massive en raison d'une demande constamment croissante. Ils se retrouvent omniprésents autour de nous, contribuant à 70% de toutes les constructions dans le monde. Le sable joue un rôle majeur dans le commerce international, mais il est également devenu le symbole de pressions environnementales et de tensions géopolitiques. En effet, son extraction engendre des vulnérabilités sociales et économiques, entravant les efforts de protection de notre environnement.
Ces vulnérabilités prennent différentes formes selon les régions, soulignant ainsi pourquoi le sable est considéré comme une ressource en danger, et pourquoi son exploitation peut être un facteur de déstabilisation.
Son utilisation dans la société :
Le sable s'impose comme une ressource incontournable pour la confection de divers biens usités au quotidien. Il est présent, tant dans les microprocesseurs de nos dispositifs électroniques comme dans nos téléphones et ordinateurs, ainsi que dans plusieurs produits cosmétiques et compositions picturales.
Néanmoins, le secteur le plus gourmand en sable, est celui du bâtiment et des travaux publics (BTP). En effet, cette matière première est primordiale pour la fabrication du béton et la conception du verre. Aujourd’hui, plus des deux tiers des édifices mondiaux sont en béton, lui-même constitué en grande partie de sable (deux tiers) et de ciment (un tiers). À titre d'exemple, la construction d'une résidence pour quatre personnes nécessite environ deux cents tonnes de sable, tandis qu'un établissement hospitalier exige 3 000 tonnes, et la réalisation d'un kilomètre d’asphalte nécessite plus de 30 000 tonnes.
A première vue, le sable est en quantité illimité sur terre, il y a autant de grains de sable que d'étoiles dans notre univers. Néanmoins, une infime partie de celui-ci est exploitable. En effet, le sable du désert du Sahara en Afrique est trop fin et trop rond pour pouvoir être utilisé à la conception du béton. En conséquence, on se tourne vers des gisements plus éloignés ou plus profonds, avec notamment l’extraction du sable des fonds marins et fluviaux. Aujourd’hui, le sable représente 85% de l’activité extractive mondiale. La demande en sable ne cesse de croître, alimentée par une croissance démographique soutenue, une évolution des modes de vie et de consommation et une urbanisation constante.
Cette demande a triplé depuis les années 2000, et d’après une étude parue dans le New scientist, la demande pourrait augmenter de 45% d’ici 2060. Actuellement, la consommation annuelle mondiale de sable atteint 40 milliards de tonnes, ce qui équivaut à 18 kg par jour et par personne. La Chine représente à elle seule 60% de cette consommation, en raison de son développement rapide et d’une poldérisation massive, ayant utilisé en quatre ans ce que les États Unis ont utilisé en un siècle. La France n’est pas en reste.
Prenons l’exemple de Paris et des nouveaux aménagements : quatre nouvelles lignes de métros, 68 stations et plus de 12 000 hectares de bureaux et de logements... Pour alimenter ces chantiers colossaux, l’agglomération est obligée de s’approvisionner toujours plus loin.
En effet, la carrière présente dans les Yvelines n’est plus suffisante, la commune est dès lors obligée d’ouvrir de nouvelles carrières cette fois-ci en Normandie. La France a eu besoin de 453 millions de tonnes de sable en 2019 et ce chiffre risquerait d’augmenter dans les années à venir car de nouvelles infrastructures sont prévues pour les Jeux Olympiques 2024.
Cependant, tous les états du monde ne possèdent pas de gisements de sable assez importants pour répondre à leurs besoins. Il y a donc un commerce qui se traduit par des importations et des exportations entre les pays. Par exemple, la ville de Dubaï a inauguré récemment sa fameuse île artificielle, « palm island ». Pour cette construction, la ville a importé 150 millions de tonnes de sable depuis l’Australie, le sable d’Arabie Saoudite n’étant pas exploitable. Ces échanges et ces exploitations sont faiblement réglementés donnant naissance à une multitude de conflits et de trafics clandestins.
Son exploitation, source de tension :
Le sable, souvent perçu comme une ressource inépuisable et gratuite, est devenu le catalyseur de trafics clandestins et d'activités mafieuses à l'échelle mondiale, profitant de la lacune réglementaire qui entoure cette matière première. Cette absence de contrôle se traduit par une corruption des administrations et des conflits territoriaux, donnant lieu à des guerres de territoires résultant d’un vaste problème sans mesure. Un exemple illustratif réside au Maroc, où l'exploitation du sable atteint 10 millions de mètres cubes par an, dont la moitié est extraite de manière illicite.
D’après des témoignages, les forces de l'ordre sont souvent impliquées, escortant des travailleurs clandestins sur des sites d'excavation nocturnes, pour ensuite revendre la totalité de la récolte sur le marché noir.
Ce phénomène ne se limite pas au Maroc. L'Inde, en tant que deuxième plus grand consommateur mondial de sable après la Chine, fait face à une exploitation illégale de grande envergure, avec environ 2 milliards de tonnes récoltées chaque année. Due à sa forte croissance démographique, ce pays se voit dans l’obligation de construire toujours plus. Cette activité illicite, principalement dirigée par des entrepreneurs, des notables locaux et des forces de l'ordre, a des répercussions significatives sur le niveau d'eau des fleuves, affectant la biodiversité de manière préoccupante.
Le journaliste Richard HIRAULT, dans un article paru le 24 février 2016, affirme que la "guerre mondiale du sable est déclarée". Il cite l'exemple du Sénégal, qui ne dispose que de 27 kilomètres carrés de surface exploitable au large de Dakar. Face à cette insuffisance, des pilleurs de sable opèrent dans des zones maritimes qui ne leur appartiennent pas, récoltant près de 40 000 tonnes de sable quotidiennement.
Cette "guerre du sable" s'étend également à l'Asie du Sud-Ouest, avec des tensions croissantes suite à l'extension du territoire de Singapour de près de 20%. Singapour, l'un des principaux importateurs de sable, a vu ses alliances pour l'approvisionnement en sable rompues par des pays voisins tels que l'Indonésie et la Malaisie suite à de nombreuses campagnes de législation, entraînant une dépendance de Singapour envers le Cambodge, où des licences d'extraction douteuses alimentent un commerce illicite.
En effet, d’après plusieurs membres du gouvernement, le premier ministre autoriserait plusieurs personnes de son « entourage » à exploiter ce sable illégalement. Ces carrières sont un réel désastre pour la biodiversité du pays, elles contribuent à l’extinction de plusieurs espèces de la faune et de la flore et seraient également la cause de la disparition de plusieurs îles ou îlots indonésiens (environ 24) créant alors une forte tension entre Singapour et l'Indonésie.
Malgré cet enjeu problématique, Singapour a toujours pour projet d’étendre son territoire d’environ 100 kilomètres carrés d’ici 2030 comptant sur ses alliances avec les pays voisins.
Ces activités illicites, en plus d'être un fléau pour le commerce international, occultent un problème majeur touchant un grand nombre d'individus dans le monde : les conditions de travail. Pour faciliter l'exploitation illégale du sable, les contrebandiers ont recours à une main-d'œuvre souvent non qualifiée.
Un exemple poignant se déroule au Cap-Vert, où des plages autrefois paradisiaques telles que Ribeira de Barca sont devenues des carrières exploitées par des femmes, communément appelées "pilleuses de sable". Ces travailleuses, souvent jeunes et désireuses de subvenir aux besoins de leur famille, risquent leur santé au quotidien, plongeant à la recherche de sable qu'elles revendent ensuite au marché noir. Elles sont tout simplement munies d’un seau qu’elles remontent sur leur tête à l’aide de leur Ordiaja en direction de la plage, là où des camions les attendent. Le contenu de ces seaux peut parfois atteindre les 40 kilogrammes.
Elles commencent à travailler très jeunes, souvent vers l’âge de huit ans, une fois la journée d’école terminée. Les conséquences sont désastreuses sur la santé de ces femmes. Certaines sont brulées par le sel de mer, tandis que d’autres ont une multitudes de coupures sous les pieds. Évidemment, les articulations sont aussi endommagées puisqu’elles sont contraintes de porter des charges lourdes.
Ces travailleurs/travailleuses clandestins risquent leur vie chaque jour dans l’espoir de récolter suffisamment d’argent pour nourrir leur famille. Ce phénomène, amplifié par une demande croissante, souligne les défis complexes liés à cette ressource raréfiée.
Son impact sur notre environnement :
A l'échelle mondiale, la réserve naturelle de sable reste importante. Néanmoins, son accessibilité est difficile. Comme expliqué un peu plus tôt, tous les types de sable ne sont pas exploitables, à cause en particulier des différentes formes de grains et de leurs épaisseurs. A l’origine, l’extraction du sable se faisait grâce aux différentes carrières et mines autour du monde.
Mais les quantités étant trop peu suffisantes, il a fallu trouver une autre solution. En effet, la collecte s’effectue dorénavant le long des littoraux, dans le lit des fleuves et des rivières et dans des bassins sédimentaires. Ces activités extractives font effet de pression environnementale, car elles provoquent une multitude de phénomènes.
D’abord elles participent à l’importante modification des fleuves et des rivières. Le niveau de l’eau baisse et son état devient insalubre, car confronté aux mouvements des outils d’extractions. Ensuite, 75% à 90% des plages du monde reculent à cause de l’érosion du littoral, entraînant avec elles une détérioration de la faune et de la flore.
Prenons l’exemple des Maldives. Il s’agit du pays le plus bas par rapport au niveau de la mer. 500 000 personnes y habitent et l’archipel reçoit environ 1,7 millions de touristes chaque année pour 300 kilomètres carrés seulement. Cet état ne cesse, -et ce depuis de nombreuses années-, d’agrandir ses îles afin de d’accueillir les touristes toujours plus enthousiastes de découvrir ces belles plages paradisiaques, mais surtout pour se protéger de l’élévation de la mer.
Pour cela, ils creusent sur les littoraux afin de récolter du sable. Cependant, cette solution ne fait qu’aggraver leur vulnérabilité. En effet, l’océan comble les trous laissés par les outils d’extraction, ce qui accentue et accélère l’érosion. D’ici quelques années, cette pratique ne leur permettra plus de lutter contre ce problème, laissant alors une ombre planer sur la question du statut de réfugiés climatiques.
Néanmoins, cet enjeu climatique peut être profitable pour d'autres états. Par exemple, le Groenland, qui jusqu’à maintenant était un territoire gelé, perd peu à peu sa couche de glace, laissant apparaître d’éventuels gisements de sable. Cette nouvelle perspective laisse à penser que le territoire danois pourrait, grâce à ces gisements de sable, diversifier son économie et marquer dès lors une distance majeure avec Copenhague.
Le sable, en tant que ressource, subit une raréfaction substantielle en raison d'une demande mondiale soutenue, déclenchant une exploitation intensive qui perturbe les équilibres sociaux, économiques et environnementaux. Ces pressions croissantes engendrent des tensions géopolitiques, dont les manifestations varient selon les régions. Dans ce contexte spécifique, l'intervention de l'Organisation des Nations Unies (ONU) apparaît comme une avenue potentielle pour réguler notre consommation de sable. Néanmoins, le droit de véto accordé aux cinq membres permanents du conseil de sécurité peut freiner les éventuelles actions de l’organisation.
Un rapport crucial intitulé "Sable et développement durable : trouver de nouvelles solutions pour la gouvernance environnementale des ressources mondiales en sable," paru en 2019, attire notre attention sur l'urgence de la situation. Ce document propose des solutions éclairées, notamment en faveur du recyclage du béton et des matériaux déconstruits. Il préconise également la promotion de la rénovation des édifices existants pour éviter la démolition systématique suivie d'une reconstruction. Enfin, le rapport souligne l'impératif de renforcer les lois et décrets régissant l'exploitation du sable afin de lutter efficacement contre les trafics illégaux.
Ces propositions mettent en lumière la nécessité d'une approche coordonnée et mondiale pour atténuer les pressions exercées sur la ressource en sable et garantir une gestion plus durable de cette matière première essentielle.
Romuald Jacquet
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