Le vote barrage et l'illusion démocratique

 

actu.fr

 

Si ce titre -à vocation aguicheur- a des airs dramatiques et effrayants, la question de l’état de notre démocratie fait régulièrement le tour de la presse et des médias. 

 

Cette capacité par ailleurs, de s’interroger librement sur l’état de notre démocratie, montre un attachement farouche à un facteur existentiel du système démocratique : la liberté d’expression. 

 

Toutefois, il existe une nuance entre être en démocratie, et être une démocratie. 

 

Être en démocratie signifie de manière très synthétique, la possibilité de pouvoir choisir entre plusieurs candidats pour exercer notre souveraineté. Ainsi, on explique bien souvent que nous sommes ici en démocratie, car tous les cinq ans, nous nous rendons aux urnes pour élire de manière succincte notre président, et nos députés. 

 

En s’arrêtant à cette définition très (trop) simpliste, nous sommes une démocratie au même titre que la Norvège (première sur l’indice de démocratie) ou que le Paraguay (qui figure à la 74e place). 

 

Pourtant, une démocratie englobe de manière plus large tous les répertoires d’action politique à la disposition des citoyens pour exprimer leur souveraineté. On retrouve ainsi la possibilité de manifester librement, d’enquêter sans encombre sur le gouvernement, ou encore de bénéficier de l’absence de privatisation des médias. 

 

En prenant en compte tous ces éléments, la France des Lumières recule quelque peu dans notre estime de la démocratie. Mais si le traitement de tous ces éléments nécessiteraient d’étayer beaucoup plus, un phénomène émergeant au XXIème siècle soulève une nouvelle problématique : le vote par barrage. 

 

 Le vote barrage : l’illusion démocratique

 

En 2002, suite à l’accession au second tour de Jean Marie Le Pen pour la première fois de l’histoire de l’extrême droite, les mobilisations massives contre le parti ouvertement xénophobe avaient permis à Jacques Chirac de terrasser son adversaire. La gauche désunie avait alors appelé massivement à glisser un bulletin républicain dans l’urne, pour faire barrage au Front National. 

 

Depuis, le vote par barrage s’est généralisé en prenant une tournure historique sous l’impulsion d’Emmanuel Macron. En 2022 plus qu’en 2017,  le président a dû compter sur les voix de la gauche pour accéder une nouvelle fois à la présidence de la France. Largement décrié pour son bilan mitigé, pour ne pas dire mauvais, le plus jeune président de la Cinquième s’est également illustré par la fragilité de son barrage républicain. 

 

Et encore, cet euphémisme ne représente que très peu la passoire (voire le tremplin) pour l’extrême droite qu’a représenté la Macronie durant ces dernières années au pouvoir. Car en plus de rebuter des millions d’électeurs, le président a favorisé l’essor de la bande à Le Pen. 

 

C’est de cette manière que s’illustre le vote de barrage dans lequel ont sombré bon nombre de français : un vote par dépit, un choix entre la peste et le choléra. 

 

Sommes nous vraiment libres d’exercer notre souveraineté lorsque nous sommes contraints de voter pour une personne ? Sommes nous réellement citoyens lorsque notre belle démocratie nous offre un choix entre trois uniques blocs ? 

 

J’ai une pensée pour tous les sociaux-démocrates qui refusent de voter pour Macron, sont rebutés par l’extrême droite, et scandalisés par la mainmise de LFI sur le NFP. 

 

J’ai également une pensée pour la droite républicaine, qui en a marre de se retrouver dans une impasse manichéenne entre le bloc central (à défaut d’être véritablement centriste) et une extrême droite, dont l’incompatibilité du vote tient notamment à la sémantique du nom de leur parti Les Républicains

 

Car si le premier parti de France est l’abstention, ce n’est que la lecture du tripartisme d’ambiance qui clive les français au lieu de les rassembler. 

 

Ce serait une gauche dont les divergences internes présagent une bombe à retardement, une coalition centriste dont le bilan ainsi que la figure présidentielle tiennent à l’écart de la majorité, ou alors une extrême droite qui traverse plus que jamais l’opacité partisane des classes sociales. 

 

Pour autant, la gauche était dans l’obligation de s’allier pour espérer faire de l’ombre au barrage centriste, et ainsi être la première force d’opposition à l’extrême droite.Toutefois, une gauche menée par Jean Luc Mélenchon clive plus qu’elle ne rassemble, et nombreux sont les électeurs de gauche qui voteront avec un pincement au coeur. 

 

Ici résident donc toutes les limites du vote “barrage” face à cette montée de l’extrême droite, couplée à l’actualité politique qui anime nos débats ces derniers jours. On ne vote plus pour des idées, pour un parti voire un leader charismatique, on vote contre un programme, une idéologie et une vision de la société. 

 

Notre démocratie s’est métamorphosée. On ne vote plus pour ; on vote contre. 

 

L’extrême droite aux portes du pouvoir

 

La montée de l’extrême droite hors du pouvoir, est tout aussi inquiétante pour notre démocratie que l'extrême droite au pouvoir. Car si le RN à l’Elysée aurait par exemple les mains libres pour réaliser la privatisation de l’audiovisuel public, la montée du RN sans accéder au pouvoir pousse un gouvernement impopulaire au clientélisme électoral le plus abject sur la loi de l’immigration, et inquiète notre démocratie en parachevant la prééminence du vote barrage aujourd’hui. 

 

L’extrême droite n’est pas la source de tous nos maux, mais couplée à notre démocratie vacillante, elle n’aurait aucune difficulté à faire chanceler le peu de libre arbitre qu’il nous reste. 

 

Mais au lieu d’être exemplaire face à cette montée en puissance d’un parti aux germes fascistes, beaucoup se montrent indignes de la hauteur des évènements. 

 

Comment peut-on argumenter dans le sens d’une extrême droite qui serait une atteinte à la démocratie, et revendiquer un blocage général de la France en cas d’accession au pouvoir (cf Manon aubry) ? 

 

Si la France interroge sur ses capacités à réunir tous éléments faisant d’elle UNE démocratie, il est certain que le vainqueur du 7 juillet au soir ne serait que le reflet d’un scrutin EN démocratie. 

 

Ainsi le vote barrage prenant une place de plus en plus importante dans notre système démocratique, on peut légitimement s'interroger sur le caractère démocratique de nos scrutins ces dernières années. Non pas sur les résultats, mais sur les choix qui s’offrent à nous autres : citoyens et bras armé démocratique de la République. 

 

En 2027, l’après Macron devra de toute évidence se construire autour d’une résurgence d’une plus forte pluralité partisane. Le clivage droite gauche, s’il est amené à disparaître, ne doit pas laisser les électeurs choisir entre une gauche radicale, un parti centriste et une extrême droite désormais première force politique du pays. 

 

Dans 3 ans, l’état de notre démocratie dépendra aussi beaucoup des vestiges macronistes et de la reconstruction politique. Pour l’heure, le vote barrage est encore une fois une nécessité électorale… Mais jusqu’à quand ?

 

Exclu de toute prise de décision, ostracisé de la vie politique, le peuple observe de loin sa démocratie, se transformer en démostracise. 

 

Eliot Senegas

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