Les graines du figuier: la dénonciation d’un régime répressif
Introduction
Dans ses films, le cinéaste Mohammad Rasoulof raconte l'Iran. Alors que son précédent long métrage Le Diable n’existe pas lui permit de remporter l’Ours d’or à Berlin, en 2020, il prit un chemin plus sinueux pour critiquer le régime iranien. Son dernier film Les Graines du figuier sauvage (2024), par sa représentation intimiste, prend le taureau par les cornes. Le propos est clair, dénonciateur et surtout très courageux. Quand on sait qu’une partie de l’équipe de tournage est, en ce moment, détenue en Iran, on comprend que la démarche de Rasoulof est aussi un moyen d’obtenir un sursis pour ses collaborateurs, en apportant une audience internationale à un pays qui reste souvent dans l’ombre.
Rasoulof lui-même, a déjà passé plusieurs années dans les prisons iraniennes. Suite à sa condamnation à 8 ans de prison pour “collusion contre la sûreté nationale”, il décide de fuir le pays pour pouvoir être certain de continuer son œuvre. Il y parvient après avoir marché 28 jours dans les montagnes pour franchir la frontière de son pays mais laisse, malgré lui, une grande partie de son équipe en prison. Il leur rend néanmoins hommage à Cannes en mettant un point d’honneur à les citer lors de ses interviews et n’hésite pas à brandir des photos d’eux après avoir monté les marches.
L’aggravation de la répression en Iran, dont est victime Mohammad rasoulof et son équipe, n’est pas un phénomène récent et isolé. Il est important de comprendre cette évolution pour mieux appréhender Les Graines du figuier sauvage.
Retour sur l’histoire politique de L’Iran
60 ans en arrière, lors des manifestations de 1963 contre l’empereur, un certain Khomeini est remarqué pour son activisme et se voit obligé de s'exiler notamment en France où il sera accueilli et admiré par les médias. À Téhéran, la colère du peuple gronde, les manifestations se multiplient et sont brutalement réprimées. Alors que le monde commence à imaginer l'autodétermination des peuples, les Iraniens veulent leur part de révolution nationale. En janvier 1979, le dernier chah Mohamed Pahlavi abandonne le navire et laisse la place à Khomeini, revenu après 15 ans d’exil.
Celui-ci prend la tête des principaux mouvements révolutionnaires et instaure la république islamique d’Iran. Voyant un potentiel ennemi grandir, les État-Unis tentent d’isoler l’Iran et provoquent une série de guerre qui appauvrissent le pays. Après un retour à des gouvernements plus neutres de 1991 à 2005, le pays ne s’est toujours pas relevé, le pouvoir religieux toujours très influent tente à nouveau de faire basculer le pays et finit par y arriver avec l’élection du maire ultra conservateur de Téhéran Mahmoud Ahmadinejad en 2005. Dès lors les arrestations de manifestants deviennent fréquentes, le pays devient infréquentable pour les journalistes et le tribunal islamique gagne en puissance.
Plus récemment, la mort d’une manifestante nommée Mahsa Amini, trois jours après avoir été arrêtée par la police pour port du voile non réglementaire choque l’opinion publique. De ce fait, de grandes manifestations éclatent dans le pays suite à une indignation populaire, que Rasoulof montre crûment dans son long métrage par des extraits de vidéo provenant des réseaux sociaux. Les femmes se réunissent et enlèvent leur voile en signe de protestation et scandent “ Femme, Vie, Liberté “. En quelques semaines plus de 120 personnes sont tuées par la police de ce régime théocratique autoritaire. En outre, le bilan est sanglant pour la liberté d’expression. Selon Amnesty International les réseaux sociaux sont impossibles d’accès sans vpn. De plus, le réseau internet est coupé pendant les manifestations afin d’empêcher le relais de vidéos incriminantes pour la police.
Toujours selon l’ONG, les interrogatoires, la torture, les emprisonnements arbitraires sont monnaie courante. Plus de 70 journalistes ont été arrêtés dernièrement et selon RSF ( Reporters sans frontières ) l’Iran est classé 177 / 180 au niveau de la liberté de la presse.
Tout cela, Mohammad Rasoulof le dénonce dans son film et le fait transparaître de façon très nuancée. Là où le cinéma américain est souvent moraliste, le cadre ici est moral. Il cherche à interroger son audience sans pour autant dicter une ligne de conduite et de pensée . La seule véritable morale du film réside dans les espoirs que le cinéaste a pour la nouvelle génération.
Analyse et critique du film
La première scène sonne comme un pacte faustien, en effet, une main anonyme signe avec Imran ( le père de famille ) un pacte qui le nomme juge islamique chargé des condamnations à mort. En signant, on lui offre un plus grand appartement dans un quartier sécurisé. En plus, un pistolet lui est donné en contrepartie. Cette arme est le symbole phallique de sa domination, sur la société et sur les femmes de sa famille ainsi que de son élévation sociale.
Cette élévation a un prix. Les deux filles d’Imran sont désormais surveillées et doivent respecter la loi islamique sous peine de jeter l’opprobre sur leur père.
Un des points forts du film réside dans son symbolisme. Le pistolet représente ainsi le pouvoir d’un homme juge qui est complice d’un gouvernement despotique mais aussi le pouvoir du père de famille qu’il doit exercer sur sa femme et ses filles. C’est ce pouvoir malsain qui, insidieusement, retourne une famille contre elle-même dans une atmosphère qui rappelle l’angoisse de certaines scènes de “Grand-peur et misère du troisième Reich” de Brecht.
La recherche de l’arme, véritable fusil de Tchekhov, représente très littéralement la façon dont l’autoritarisme patriarcal aveugle, s’insinue entre les gens, les enfermant alors chacun dans une bulle de peur. Ici, c’est la peur du régime oppresseur et de ses concitoyens, tous potentiels délateurs.
Le symbole est d’autant plus fort que le film joue de la nuance pour développer les racines d’un système qui se durcit et prend au piège ses fonctionnaires. Dès le début du film, on voit Imran partagé entre son attachement au régime fruit d’un endoctrinement progressif et sa répugnance à exécuter des gens, sans procès.
C’est cette dernière part de conscience dans un monde dénué d’empathie, qui le place dans le viseur de ses supérieurs. Ceux-ci sont d’ailleurs toujours invisibles, allégorie de la machine implacable et assoiffée de sang qui se dresse au-dessus d’eux.
Ce film explore le concept de “banalité du mal”, théorisé par Hannah Arendt. On comprend comment des personnes ”normales” sans particulières convictions pour le gouvernement iranien, comme Imran qu’on voit être un père aimant, sont capables de commettre des horreurs par simple endoctrinement et soudoiement.
Au niveau de la mise en scène, certaines images réelles issues des manifestations du peuple iranien sont montrées à travers les téléphones des deux filles et deviennent partie intégrante du film et de l’histoire. Selon M.Rasoulof "Le monde digital est devenu un vrai contre pouvoir : l'Iran a tout fait pour que les images des manifestations ne fuient pas, mais les gens eux-mêmes ont pu les capter”( France inter, 11/09/2024)
C’est ce qui distingue dans le film la jeune génération connectée de l'ancienne génération qui par la télévision était constamment en train d’absorber, sans broncher, la propagande du régime iranien.
Les plans séquences présents à plusieurs reprises contribuent à l’immersion dans la réalité de la vie en Iran. On observe la détresse du père, lui qui distille habituellement la peur et distribue les sanctions. Lorsque le pistolet disparaît, Imran sens sur lui l’œil noir du régime et de ses supérieurs lui rappellant que sa place est fragile et que l’opprobre peut s’abattre sur lui.
Le dernier tiers du film est moins politique et plus personnel. Le film s’enferme dans son intrigue sans laisser de place à la surprise jusqu’au dénouement. On sort du film fleuve pour entrer dans un thriller qui met en scène la jeunesse et les femmes face à une représentation du patriarcat dans un décors qui se rapproche des grands western hollywoodiens.
Conclusion
Ce film, gagnant à Cannes du prix spécial du jury et concurrent direct à la Palme d'or, renouvelle le cinéma Iranien avec un discours incisif et dénonciateur qui prend le parti du film fleuve puis du thriller pour raconter un Iran déchiré par la répression et le conflit intergénérationnel.
Le film est sorti en salle le 18 septembre 2024, j'espère que cet article vous aura donné envie d’aller le voir.
Gauthier Wroblewski
“C’est intolérable qu’un régime puisse exercer une telle répression contre des artistes uniquement parce qu’ils ont exercé leur liberté d’expression, uniquement parce qu’ils ont créé, uniquement parce qu’ils ont raconté des histoires” citation de M.Rasoulof dans une interview accordé à France inter le 11 septembre 2024
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