Le Michigan, un microcosme des États-Unis

 

 

« Plus que jamais, le monde a les yeux braqués sur nous, et je pense qu’il est important de faire entendre notre voix », a déclaré Eminem lors d’un rassemblement de soutien à Kamala Harris à Detroit, sa ville natale et la plus peuplée du Michigan. Le rappeur emblématique a marqué les esprits lors de ce rassemblement où Barack Obama l’a rejoint ensuite sur scène pour interpréter un couplet du célèbre morceau Lose Yourself. Ce moment fort reflète le poids important de cet État clé dans la présidentielle : la voix de chaque personne y est plus précieuse qu’ailleurs.

 

Le Michigan, avec ses 10 millions d’habitants et ses 16 grands électeurs, est une représentation en taille miniature des États-Unis.

Entre zones urbaines dynamiques comme Detroit et Dearborn, et régions rurales conservatrices, cet État incarne la diversité et les tensions du pays tout entier. État industriel au cœur de la « Rust Belt », le Michigan rassemble des communautés variées : ouvriers, jeunes urbains, et minorités. Ces électeurs se partagent entre démocrates et républicains, ils se distribuent de nouvelles cartes à chaque élection et confirment le statut de l’État comme pivot incontournable.

 

Dans ce contexte, le Michigan incarne des enjeux de taille. Les nombreuses mobilisations, tant démocrates que républicaines, traduisent cette volonté d’attirer un large électorat, parfois en combinant l’influence de la culture populaire avec des discours politiques qui visent les indécis, les jeunes et les minorités.

Cependant, pour remporter cet État-clé, il sera crucial de ne pas accorder un enjeu central autour de ces communautés au faible nombre au risque de négliger les véritables préoccupations de la majorité des électeurs.

 

 

UN BASTION RÉPUBLICAIN DEVENU UN ETAT DU « MUR BLEU »

 

Du milieu du XIXᵉ siècle jusqu'à la fin des années 1980, le Michigan fut un bastion républicain. Ce penchant était si marqué qu’en 1912, il fit partie de l’un des six rares États à appuyer Theodore Roosevelt dans sa scission républicaine contre le candidat officiel du parti républicain William Taft et contre le démocrate Woodrow Wilson.

 

Mais cette dynamique s’est rompue en 1988 avec George H. W. Bush. Effectivement, quatre ans plus tard, le Michigan bascule dans ce que les experts politiques identifient comme le « mur bleu », soit un groupe de dix-huit États et du district de Columbia fidèles aux démocrates de 1992 jusqu’en 2012.

 

En 2016, Donald Trump défie les attentes et remporte cet État clé par une marge infime d'environ 10 000 voix face à Hillary Clinton. Sur plus de quatre millions et demi de votants dans cet Etat, l’élection s’est donc jouée sur une différence de 0,23% entre les deux candidats.

 

En 2020, le Michigan est revenu vers les démocrates avec Joe Biden, bien que sa victoire ait également été serrée, avec une avance de 154 000 voix seulement.

 

Mais depuis, le soutien au Parti démocrate semble relativement fragile : lors des primaires de février, plus de 100 000 électeurs ont voté uncommited (« sans préférence », il s’agit de l’équivalent du vote blanc), manifestant leur mécontentement vis-à-vis de la politique de Joe Biden.

 

Kamala Harris, en lice pour la présidence, fait face à une incertitude grandissante, sans marquer de rupture nette avec Joe Biden sur des points largement controversés elle laisse de nombreux électeurs déçus.

 

 

LA COMMUNAUTÉ ARABO-AMÉRICAINE, UN ACTEUR CLÉ MAIS DÉSTABILISÉ

 

Avec 350 000 membres, principalement concentrés dans les villes de Dearborn et Hamtramck, la communauté arabo-américaine du Michigan représente une part influente mais ambivalente de l’électorat. Bien que minoritaire, nous avons vu qu’elle est au nombre suffisant pour être capable de faire renverser l’élection.Si cette communauté avait accordé sa confiance à Biden, la conduite de la politique étrangère et singulièrement le soutien quasi inconditionnel de l’administration Biden-Harris envers Israël a créé une grande vague de mécontentement.

 

Originaire d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient c’est une population qui exprime un sentiment de fraternité géographique plutôt que religieuse avec la Palestine, elle juge Washington complice des massacres perpétrés par l'Etat hébreu.

 

Ce sentiment de désillusion est particulièrement palpable à Dearborn, où près de la moitié des 100 000 habitants sont musulmans. Le maire démocrate Abdullah Hammoud incarne cette rupture avec l'administration actuelle. Il multiplie les discours exhortant les électeurs à voter, non pas pour Trump, mais plutôt blanc.

 

Malgré une lucidité collective vis-à-vis du leader républicain, la communauté arabe de Dearborn ne se positionne plus comme un soutien indéfectible des démocrates. En 2020, ils étaient 69% de cette communauté à avoir voté démocrate, selon les estimations, ils ne sont plus que 30% à se tourner vers Kamala Harris.

Cette évolution met en lumière un changement de dynamique qui pourrait avoir des répercussions significatives sur les résultats électoraux si les démocrates n’ont pas réussi à convaincre d’autres populations dans les urnes.

 

Cependant, certains experts estiment que cette communauté ne représente pas l’enjeu électoral principal du Michigan, représentant au plus 5 % de la population totale elle fait plus de bruits que de dégâts en agissant comme une caisse de résonance.

Pour les candidats, le vrai défi reste la satisfaction des ouvriers et cols bleus, et notamment des travailleurs de l’industrie automobile, pivot économique de l’État.

 

 

L’INDUSTRIE AUTOMOBILE, LE VÉRITABLE ENJEU POUR LES ÉLECTEURS

 

Le Michigan est indissociable de l’industrie automobile, celle-ci fait vivre un million de personnes : à Détroit, les « Big Three » — Ford, General Motors, et Chrysler — dominent l’économie locale. Dans cet État de la « Rust Belt », où la désindustrialisation a laissé des cicatrices profondes, les électeurs considèrent la santé économique comme leur priorité. Les promesses faites par les candidats sont souvent scrutées, mais rarement tenues.

 

En 2020, les syndicats des camionneurs et des pompiers, traditionnellement proches des démocrates, ont refusé tout soutien officiel, dénonçant le manque de résultats concrets sous les administrations de Trump comme de Biden.

 

Lors d'un meeting à Détroit en octobre, Donald Trump a accusé Kamala Harris de vouloir éliminer les voitures à essence. Bien que cette affirmation ait été démentie, elle exploite les inquiétudes locales liées à la transition écologique et à ses conséquences sur l’emploi.

En mettant l'accent sur sa volonté de taxer tous les véhicules non produits aux États-Unis, Trump a su séduire une partie de la classe ouvrière en se présentant comme un défenseur de l'industrie locale, contrairement à Kamala Harris, qui semble davantage concentrée sur les enjeux des minorités.

La stratégie électorale de Trump centrée sur la relance de l'industrie automobile, s'avère efficace dans un État où les emplois liés à ce secteur sont perçus comme fondamentaux pour l’économie, et risque d’être fatale cette année pour le camps démocrate.