Plus d’hirondelles pour Kaboul
Les hirondelles, symbole du printemps, annoncent le renouveau. A Kaboul, il semblerait que ce renouveau ne viendra pas. Depuis la 1ere prise du pouvoir par les talibans en 1992, le pays a sombré dans l’obscurité pour ne pas dire l’obscurantisme.
Publié en 2002 par Yasmina Khadra, Les hirondelles de Kaboul dépeint le quotidien des habitants de Kaboul à travers leurs peines et leurs colères, face au régime et ceux qui l'incarnent. Mais aussi à travers leurs amours et leurs rêves qui tourneront pour bien à la tragédie. Le récit prend place entre 1992 et 2003 pendant la première période de gouvernement des talibans marquée par les exécutions et lapidations répétitives.
Atiq, moudjahid reconverti en geôlier est marié à Mussarat femme mourante qu’il n’ose pas répudier. Mohsen vit avec sa femme Zunaïra dont la beauté semble venue d’ailleurs. Issue de l’ancienne bourgeoisie intellectuelle afghane, Zunaïra suffoque sous son tchadri. Lorsque Mohsen avoue avoir participé à la lapidation en place publique d’une femme, Zunaïra folle de colère se mûre dans le silence jusqu’à l’implosion, la menant inexorablement à sa rencontre avec Atiq. Parallèlement, le personnage de Nazish, homme âgé, nous rappelle que dans la cité transformée en arène, il reste une place pour ceux qui rêvent. Il promet que le jour où il sera rétabli, il franchira la colline qui le sépare de l’horizon, s’ôtera des griffes des talibans et « sans dire adieu ni merci » il s’en ira.
L’ouvrage nous plonge dans une folie constante que ce soit au sein de l’intrigue, comme au sein des rapports entre les personnages, illustrant bien la folie dont s’est emparé Kaboul. L’histoire s’escalade sur un ensemble de malentendus menant au destin tragique des personnages qui ne sont pas capables de l’exprimer.
« Kaboul que la folie guette n’as plus d’autre histoire à offrir que la tragédie »
Accablés par le lent pourrissement qui les gagne, Atiq et Mohsen errent comme des âmes égarées ne sachant plus comment trouver la paix. Emportés dans les rouages de ce système qui les dégoûte, ils se laissent lentement céder à la pression fataliste des autres hommes de leurs entourages. Le symbole de Zunaïra, emprisonnée par le régime et ses politiques répressives mais restée convaincue par ses idées, nous met face à la réalité de la condition féminine afghane.
« Nous avons tous été tués. Il y a si longtemps que nous l'avons oublié. »
Malgré la plume romancée de Yasmina Khadra, la préface, datant de 2021, nous replonge au cœur de la réalité du conflit. Au-delà de la déploration de la situation afghane, il y émet une critique des interventions occidentales.
« Quels lendemains ? Des lendemains ensevelis sous la poussière des milliards de dollar invertis pour des prunes, des milliers de projets livrés aux vandales et au prédateurs, des centaines de discours pompeux sur la démocratie et les acquis occidentaux qui, éblouis par leurs rhétoriques, auront perdu de vue la culture et les coutumes d’un orient captif de son atavisme tribal et de sa peur viscérale de modernité… »
Pour mieux comprendre l'ouvrage, il nous faut revenir 30 ans en arrière:
Dans un contexte de guerre froide, L’URSS envahit en 1979 l'Afghanistan dans le but de sauver le gouvernement communiste afghan. Après une guerre entre l’armée rouge et les moudjahidines (les combattants de la résistance afghane soutenue par les États-Unis, l’Iran, le Pakistan et l’Arabie Saoudite ), les moudjahidines arrivent au pouvoir en 1989 entraînant par la suite une guerre civile entre le gouvernement communiste afghan et les moudjahidines. En 1992, le commandant Massoud prend le pouvoir à Kaboul grâce au soutien Indien auprès des Tadjiks. En réaction, le Pakistan ayant soutenu les Pachtounes, crée à Islamabad en 1994 les talibans, une milice qui recrute de jeunes réfugiés afghans dans les écoles coraniques. En 1996, les talibans arrivent à Kaboul chassant le commandant Massoud et son alliance au nord du pays. Les talibans proclament alors l’émirat islamique d’Afghanistan dirigé depuis Kandahar ( ville au sud de l'Afghanistan) par le mollah Omar (commandeur des croyants).
Une chape de plomb s’abat alors sur l’Afghanistan au nom d’un islam rigoriste. Une police des mœurs est mise en place, reléguant les femmes hors de la vie publique.
En réaction, la coalition dirigée par les États-Unis renverse le régime et déploie partout dans le pays les forces de l’OTAN. Cependant les États-Unis n’arriveront pas à éteindre le mouvement taliban ayant trouvé refuge dans les zones tribales. Sous la présidence de Donald Trump les États-Unis signent le 29 février 2020, un accord avec les représentants talibans censé déboucher sur le retrait total des troupes américaines. En 2021, au moment du retrait des troupes américaines, les talibans reprennent 228 districts au gouvernement afghan qui finit par s’effondrer. Le 15 août 2021, ils entrent dans Kaboul sans combattre et reprennent le pouvoir.
Ce premier volet d'une trilogie illustrant « le dialogue de sourds qui oppose l'Orient et l'Occident » (L’attentat publié en 2005, Les sirènes de Bagdad publié en 2006) est un livre aux images fortes et aux dialogues percutants, qui, sur le fond apocalyptique d'un afghanistan jeté dans un chaos économique et humanitaire, met en lumière le désespoir d'une population persécutée par un régime de terreur lui imposant d'inconcevables restrictions. Au-delà du sort des Afghans, c’est du sort des femmes, ni plus ni moins rayées de la condition humaine, que traite ce livre. Réduites à disparaître de la vie publique, elles sont à ce jour privées d’enseignement secondaire et supérieur, confinées à leurs domiciles, avec des moyens de subsistance limités, et gravement exposées à la violence, devenue systémique. Pourtant, c'est justement par les femmes, que, dans ce drame réaliste, réussit à subsister un semblant d'espoir, incertain et fragile.
Un roman cru mais nécessaire sur l'infinie tragédie afghane.
1. Personne qui garde les prisonniers.
2. Vêtement caractérisé par une calotte brodée, souvent bleue, qui couvre entièrement la tête et le corps, ne laissant au niveau des yeux qu'une étroite meurtrière grillagée permettant de voir sans qu’aucun trait du visage ne soit discernable.
Luna Bouhadjar
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