Pour une histoire des Houthis

18 novembre 2024
Depuis la « révolution du 21 septembre » 2014, c’est-à-dire le coup de force houthiste ayant conduit à la prise de la capitale yéménite tout entière, Sanaa, ainsi qu’à la démission finale du président Abdrabbo Mansour Hadi, les Houthis font partie des acteurs majeurs présents dans la conflictuelle et complexe région du Proche et Moyen-Orient.
La guerre civile entre les gouvernements yéménites et le groupe des Houthis demeure véritablement depuis 2004. Des tournants ont logiquement eu lieu dans la progression et l’évolution de ce conflit. Nous pouvons ainsi considérer que le coup d’État évoqué précédemment en est un. L’internationalisation du conflit, marquée par l’intervention d’une coalition militaire dirigée par l’historique allié des États-Unis au sein de la région qu’est l’Arabie Saoudite, est également un évènement majeur et basculant dans l’histoire du conflit.
Or, c’est seulement depuis le 19 octobre 2023 que les médias se saisissent plus activement et sérieusement de la question houthie – dont la communauté avait été marginalisée, isolée, au sein du territoire yéménite, par le gouvernement lui-même –, dans un contexte d’exacerbation des tensions israélo-arabes depuis l’attaque terroriste du Hamas perpétrée au sud du territoire israélien, à la frontière avec la bande de Gaza, le 7 octobre de cette même année. C’est donc depuis l’interception de navires israéliens en mer Rouge qu’un écho médiatique a touché la question houthie. Nous évoquons, de fait, souvent le nom de ce groupe, les actions qu’il perpétue, son soutien iranien, sans avoir connaissance de sa généalogie, de son histoire, notamment de l’histoire de sa fondation, de sa doctrine idéologico-religieuse principale, mais aussi des éléments contextuels qui le concernent depuis 2014.
C’est pourquoi j’ai souhaité, à travers cet article, dresser une présentation d’une organisation assez peu connue du grand public – voire de nombre d’individus qui parlent de la situation moyen-orientale en ayant un coffre de connaissances assez faible… –, bien qu’elle soit souvent citée sur les plateaux de télévision traitant de l’actualité – je n’évoquerai pas de noms en tant que tels, mais vous penserez à bien des chaînes particulières.
Qui sont les Houthis ?
La communauté houthie, qui est majoritairement zaydite (le zaydisme est une branche minoritaire du chiisme), est de 1962 - année de l’abolition de la monarchie zaydite yéménite et de la création successive du Yémen du Nord -, à fin mai 1990 - date à laquelle les deux Yémen, du Nord et Sud, sont unifiés -, majoritaire et, de facto, en position de force, au sein de leur État-nation, c’est-à dire au sein du Yémen du Nord. Et cette unification des deux États yéménites, qui conduit donc à la création du Yémen actuel, est un évènement fondamental dans la compréhension des raisons justifiant l’émergence du groupe idéologico politico-terroriste qu’est le groupe des Houthis.
C’est pour le coup que la communauté houthie devient par l’unification du 23 mai 1990 minoritaire dans l’État dans lequel elle vit désormais. En effet, ce regroupement du Yémen du Nord et du Sud tend à une majorité sunnite, ce qui affaiblit considérablement l’influence de la communauté houthie au sein-même des décisions étatiques. L’influence houthie devint marginale, bien que cette dernière communauté réussît à obtenir quelques symboliques sièges au Parlement yéménite. Des tensions apparaissent en outre entre les représentants houthis et le président Ali Abdallah Saleh (1990-2012), notamment sur des questions de politique extérieure, les Houthis contestant la soumission yéménite aux Américains qui perpétuent des assassinats ciblés sur le territoire yéménite dans le cadre de la guerre civile yéménite de 1994 (février-juillet 1994), en soutien au gouvernement yéménite opposé, lui, aux forces séparatistes de l’ex vice-président du Conseil présidentiel Ali Salem al-Beidh.
C’est donc en raison de cette perte d’influence de la communauté houthie, et de la marginalisation subséquente de cette même communauté, mais également de l’influence croissante du wahhabisme - qui, par définition, est sunnite -saoudien au Yémen, que les Houthis décident, à la mi-juin 2004 de faire totalement sécession avec le gouvernement yéménite en se soulevant contre ce dernier dans le gouvernorat de Saada (ou Sa’dah), gouvernorat majoritairement peuplé de Houthis situé au Nord-Ouest du territoire yéménite. Le conflit s’étend par la suite dans l’ensemble du Nord-Ouest du Yémen.
Les combats de cette guerre sont particulièrement meurtriers, notamment pour les civils. C’est aussi au cours de cette guerre que le fondateur et chef du groupe, Hussein Baddredine al-Houthi, est assassiné, le 10 septembre 2004.
Quelle est l’origine directe des Houthis ?
Marquons ici un arrêt sur la généalogie directe de ce groupe. Ce groupe découle du Forum des jeunes croyants, fondé en 1992 par Hussein al-Houthi. Le Forum des jeunes croyants n’est en aucun cas initialement un groupe terroriste armé. Il est en effet une organisation idéologique, religieuse et culturelle, se réclamant du courant zaydite, qui menait un combat d’influence religieuse afin de lutter contre la propagation du salafisme saoudien au Yémen. À la suite d’une multitude de scissions, une certaine faction de ce groupe a donné vie au groupe des Houthis qui s’appelle, en fait, le groupe Ansar Allah (termes arabes signifiant « les partisans de Dieu »). L’appellation de ce groupe revêt une certaine importance. Car si les médias occidentaux – je resterai sur le cas médiatique français, le connaissant, je crois, mieux que les autres – font référence à ce groupe lorsqu’ils parlent des « Houthis » - ce qui n’est d’ailleurs pas totalement faux, les Houthis étant partie intégrante et majoritaire de ce groupe -, ce dernier refuse cette nomination, puisqu’il estime être un mouvement national qui ne concerne pas seulement une tribu en particulier.
La guerre de Saada (2004-2014), un évènement majeur dans l’histoire d’Ansar Allah et une rupture déterminante dans l’histoire du Yémen
Évoqué de façon peu précise – volontairement – plus tôt dans l’article, les premiers combats de ce conflit, se déroulant activement de juin à août 2004, sont meurtriers. Nous considérons, à partir du léger panel d’informations que nous détenons sur le sujet, que lors de cette première période conflictuelle, 600 individus, tout au plus, auraient péri lors de ces combats. Pour Ansar Allah, cette guerre marque un tournant majeur : le commandement du groupe change après la mort de son fondateur et chef jusque-lors Hussein al-Houthi, qui est remplacé par son frère Abdul-Malik Baddredine al-Houthi (également nommé Abu Jibril), le benjamin des huit frères al-Houthi - dont Baddredine était le père.
De 2004 à 2014, le cours du conflit est marqué par la poursuite des combats entre rebelles et forces du gouvernements, ainsi que des négociations entre les deux parties. Soutenus par l’Iran depuis le début de son insurrection, Ansar Allah, en position de force, reçoit des propositions de paix et de grâce présidentielle qu’il refuse toutes.
Complètement déboussolé et impuissant face à la situation, le président Saleh quitte le pouvoir et le pays en 2012. Les élections suivant cette démission et cet exil permettent au vice-président et maréchal par ailleurs Abdrabbo Mansour Hadi d’être élu président de la République du Yémen le 21 février 2012. De 2012 à 2014, les Houthis gagnent du terrain par leurs victoires militaires, et progressent vers la capitale Sanaa. Le 21 septembre 2014, ils prennent d’assaut la capitale, et occupent les principaux locaux gouvernementaux. Le Premier ministre yéménite Mohammed Basindawa démissionne le même jour. Dans cette urgente situation de crise politique, l’ONU parvient à négocier un accord de paix entre les forces politiques légitimes yéménites du président Handi et le groupe insurrectionnel. Cet accord implique la création d’un « gouvernement d’unité » dirigé par le chef d’Ansar Allah, Abdul Malik al-Houthi. Nous nommons cet évènement majeur, qui officiellement acte la fin de la guerre du Saada, la « Révolution du 21 septembre », ou « révolution houthiste ».
La guerre civile yéménite (septembre 2014-en cours) comme continuation logique de la guerre du Saada
Toutefois, le coup d’État ne se limite pas à ce coup de force houthiste – que nous pourrions, dans une certaine mesure, comparer à la Marche sur Rome des fascistes de Mussolini, notamment en raison de l’inaction de la majorité des forces militaires yéménites, qui ont quasiment laissé se produire ce coup de force. En effet, en janvier 2015, les forces houthistes prennent d’assaut le palais présidentiel, obligeant le président Hadi à démissionner, celui-ci refusant de se plier aux exigences des Houthis en termes de décisions et d’orientations politiques. Les semaines suivant ce coup d’État, les Houthis mettent en place un Comité révolutionnaire.
Détenu en résidence surveillée à Sanaa, Hadi réussit à prendre la fuite vers Aden, ville située au Sud du pays. Il revient sur sa démission, et déclare qu’il demeure le président en exercice. Il appelle des éléments politiques de l’ex gouvernement ainsi que des éléments militaires à le rejoindre à Aden afin de constituer le « vrai » Yémen, le président Hadi considérant l’action houthiste comme illégitime et subséquemment comme nulle. De fait, la capitale reconnue par l’ONU devient Aden.
Le conflit oppose donc le gouvernement yéménite déplacé aux forces houthistes insurrectionnelles. Le gouvernement yéménite est majoritairement soutenu par les pays occidentaux, ainsi qu’une coalition internationale fondée en mars 2015 dirigée par l’Arabie Saoudite. Cette coalition est principalement composée, outre l’Arabie Saoudite, de l’Égypte, des Émirats Arabes-Unis, de Bahreïn, du Koweït, du Qatar, du Maroc, du Sénégal, de la Mauritanie, et du Soudan. Cette coalition mène de multiples opérations visant à permettre au président Hadi de parvenir de nouveau au pouvoir. Ces opérations s’avèrent toutefois d’une efficacité limitée, malgré les moyens conséquents employés… Les forces houthistes insurrectionnelles, elles, sont essentiellement soutenues par les Iraniens, et de fait par le Hezbollah libanais. La Corée du Nord, selon des rapports onusiens, fournit, depuis 2016, à l’instar des Iraniens, un soutien en termes d’armement aux Houthis, après un « protocole de coopération » supposément signé entre les deux parties en 2016 par l’intermédiaire de Hussein al-Ali, un trafiquant et marchand d’armes syrien.
De plus, il ne faut pas omettre la présence de deux groupes terroristes islamistes en particulier, à savoir Al-Qaïda dans la péninsule arabique (groupe terroriste salafiste yéménite qui est principalement actif dans la province d’Aden) et l’État Islamique, qui sont tous deux parvenus à contrôler des particules du territoire yéménite.
Bilan des conflits yéménites et actualité de la question
En avril 2022, le président Hadi quitte finalement le pouvoir. Un cessez-le feu, négocié par l’Arabie Saoudite pour la période du Ramadan, a été décrété, puis allongé de deux mois. Début octobre 2022, ce cessez-le-feu n’a pas été prolongé, laissant donc vivre la menace d’une reprise sérieuse des combats. Fin décembre 2023, un accord sur l’instauration d’un cessez-le-feu et le lancement d’un processus de paix a été trouvé entre le président Rashad al-Alimi et les Houthis, faisant apparaître un véritable espoir de retour à une paix stable.
Les estimations en termes de pertes humaines pour la guerre du Saada varient et restent inexactes. Nous pouvons considérer que 20 000 à 40 000 individus, combattants et civils confondus, sont décédés à cause de ce conflit. Il faut aussi préciser – et cela m’est une question sensible, qui m’est chère – l’instrumentalisation d’enfants pour les combats. Les Houthis ont en effet envoyé des « enfants-soldats » pour se battre contre les forces yéménites gouvernementales sur le champ de guerre. Cet exemple prouve bien la catastrophe humanitaire qu’a été le conflit au Yémen depuis 2004.
Cette pratique houthie, consistant à recruter des enfants-soldats, est encore utilisée par les Houthis depuis septembre 2014 et le début de la guerre civile majeure. En 2017, Amnesty International dénonçait 1 500 cas d’enfants soldats, tandis qu’en 2022, TFI Info recensait la mort d’au moins 10 000 enfants, dont une partie conséquente étaient des enfants-soldats dans le conflit yéménite depuis 2015 – selon le cumul des rapports annuels de l’ONU. En somme, l’ONU estime que le bilan humain approcherait les 400 000 morts depuis 2014.
Ainsi, j’achèverai mon propos par la citation d’une publication datée du 25 mars 2024 d’Amnesty International, concernant la situation humanitaire catastrophique au Yémen actuellement, situation muette, sans écho ou moindre son - ce silence et désintérêt des populations et médias occidentaux sur la question yéménite peuvent être expliqués par une méconnaissance d’un conflit complexe, mais également et surtout par le sentiment présent que les États occidentaux n’ont aucune implication ni intérêt dans celui-ci ; ce n’est pourtant pas une raison de se murer dans le silence sur un conflit dramatique tel que le conflit yéménite, surtout lorsque nous nous réclamons de ceux qui défendent les causes humanistes et humanitaires, justement par humanité… -, en Occident :
« Le Yémen demeure l’une des pires crises humanitaires au monde, qui se caractérise par 4,56 millions de personnes déplacées par le conflit et plus de 70 000 réfugié·e·s et demandeurs·euses d’asile, d’après les chiffres du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations unies indique que 18,2 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire et d’une protection. Au moins 17,6 millions de personnes sont actuellement confrontées à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition, tandis que la moitié des enfants yéménites de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance modéré à sévère en raison de l’insécurité alimentaire. »
Bastien cohen
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