La gauche est-elle (toujours) condamnée à décevoir?
Alors que les divergences de fond et de forme paraissaient insurmontables, les partis de gauche sont parvenus en 4 jours à former une alliance ambitieuse, que le RN désigne déjà comme sa « principale adversaire ».
Emmanuel Macron aura réussi à faire l’impensable : quelques heures seulement après l’annonce par le président de la dissolution de l’Assemblée Nationale, Marine Tondelier annonçait un accord de principe sur une coalition des Partis Ecologiste, Communiste, Socialiste et de la France Insoumise. Une unité qui contraste avec la brutalité d’une campagne fratricide, dans laquelle les deux gauches irréconciliables - la ligne social-démocrate portée par Raphaël Glucksmann et la ligne plus radicale de LFI – n’ont cessé de se fracturer.
Ce nouveau Front Populaire peut-il répondre aux attentes des Français ?
Rien n’est moins sûr, car les projets sociaux ambitieux ne peuvent masquer les nombreuses interrogations sur le financement ainsi que sur la cohérence du programme.
Le programme économique, tout d’abord, flirte de très près avec la démagogie. Le SMIC à 1600€, les retraites de retour à 60 ans… Le “Nouveau Front Populaire” entend redonner du pouvoir d’achat aux Français en « prenant l’argent là où il est », c’est-à-dire en taxant les superprofits. Mais comment les petites et moyennes entreprises, déjà en difficulté, pourraient-elles assumer une augmentation du SMIC ?
De même, la mesure sur l’annulation de la hausse des coûts de l’énergie intervenue en février interroge. L’ensemble du programme économique s’apparente à un « quoi qu’il en coûte » permanent, qui serait financé presque exclusivement par la hausse des impôts sur les grandes fortunes. On a envie d’y croire, mais il en est peut-être « comme de ces beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus ».
Une étude par le parti Renaissance de la majorité présidentielle évalue le programme du “Nouveau Front Populaire” à 287 milliards d’euros. Certains candidats aux législatives sous la bannière de l'alliance des gauches parlent plutôt de 80 à 100 milliards “d'investissements”. En l'attente d'études indépendantes, il est difficile d'estimer avec précision les conséquences de la mise en œuvre d'un tel programme sur les finances du pays. Dans un sens, la campagne express imposée par la dissolution surprise du Président bénéficie à la gauche: pas le temps pour les candidats de s'étendre sur le financement de leur programme, ni sur la manière dont ils gouverneront ensemble malgré leurs divergences. Ils pourront à défaut se concentrer sur ce sur quoi ils sont réellement d'accord: la nécessité urgente de faire front commun face à l'extrême-droite.
L’abrogation de la loi sur les retraites avant une hypothétique réforme semble aussi hasardeuse : jusqu’à maintenant, les leaders de gauche n’ont proposé sur la question du système de pensions que le déficit structurel.
Le volet social du programme a le mérite d’être ambitieux : gratuité des cantines, revalorisation des APL, construction de 200 000 logements publics… L’alliance des gauches souhaite ainsi « changer la vie » des Français, inquiets dans une période trouble sur les plans économique, politique et géopolitique. Des mesures intéressantes qu’il convient néanmoins de mettre en œuvre sans faire exploser la dette…
Le programme commun sur les sujets internationaux est sans doute la plus grande prouesse de l’union de la gauche, tant les divergences semblaient importantes il y a encore une semaine. La ligne socio-démocrate semble prendre le dessus, avec un soutien « indéfectible » à l’Ukraine, la reconnaissance d’un Etat Palestinien, la volonté d’« agir pour la libération des otages détenus depuis les massacres terroristes du Hamas »… Le « Nouveau Front Populaire » s’accorde également sur une ligne relativement pro-européenne. Ces concessions de LFI semblaient indispensables à la constitution de l’alliance, tant le mouvement de Jean-Luc Mélenchon avait divisé (jusque dans ses propres rangs) sur les questions internationales, notamment en refusant de qualifier le Hamas de groupe terroriste après les massacres du 7 octobre 2023 en Israël.
Sur le plan environnemental, là encore, des mesures ambitieuses, résolument écologiques. La lutte pour la préservation du climat est au cœur du projet, et on ressent l’influence des Ecologistes avec des mesures telles que l’interdiction du glyphosate, qui ne ravira pas les agriculteurs. Au sujet des énergies, aucune mention n’est faite de l’énergie nucléaire : on ressent là les divergences entre les Communistes et Socialistes pro-nucléaires, et les Insoumis et Ecologistes qui souhaitent se tourner à 100% vers les énergies renouvelables.
Enfin, le programme expose la volonté de tendre vers une VIe République, plus démocratique, où disparaîtrait l’article 49.3. par exemple. Mais quand on voit les méthodes utilisées par le parti le plus important de la coalition, La France Insoumise, qui choisit ce vendredi de ne pas réinvestir 5 députés sortants dont Alexis Corbière et Raquel Garrido, après que ceux-ci aient exprimé des désaccords en interne avec le chef de file Jean-Luc Mélenchon, on peut raisonnablement questionner la crédibilité et la légitimité d’un parti dirigé autocratiquement à réinsuffler un souffle démocratique dans notre pays.
L’éternel problème de la gauche qui gouverne, c’est la confrontation au principe de réalité.
On oublie souvent que le Front Populaire de 1936, renouveau social et sociétal, est aussi un échec économique majeur : inflation causée par la hausse des salaires, fuite des capitaux, diminution de la production. Il faudra 8 mois au gouvernement Blum pour annoncer une « Pause » dans les réformes qui déçoit et désillusionne les syndicats et les travailleurs. Renversé en juin 1937, un an après sa victoire, par la défection des radicaux, le Front Populaire n’aura pas su résoudre la crise économique qui touche la France des années 30.
En 1981, même rengaine. Le socialiste François Mitterrand est élu sur un Programme Commun reprenant les thèses keynésiennes au moment même où le néolibéralisme triomphe au Royaume-Uni avec Thatcher et aux Etats-Unis avec Reagan. Un programme en rupture sur le plan économique, qui ne sera tenu que 6 mois avant les premières dévaluations. En 1983, c’est le tournant de la rigueur. Les réformes économiques sont abandonnées au profit d’une politique de réduction des dépenses publiques et d’augmentation des impôts. Le Parti Socialiste perd progressivement le soutien des classes populaires et des ouvriers qui se tournent peu à peu vers le Front National. C’est la gauche qui « trahit », la « gauche de gouvernement », expression utilisée pour distinguer les programmes ambitieux des politiques réellement menées. Expression qui revient à acter le caractère démagogique des programmes, puisqu’il sous-entend qu’il y aurait une gauche non destinée à gouverner, mais seulement à bercer les électeurs d’illusions.
Si la rapidité avec laquelle les partis de gauche ont su « jeter les rancunes à la rivière » est à saluer, on se demande toujours comment des partis qui ont des divergences fondamentales pourront, en cas de victoire le 7 juillet, gouverner main dans la main pendant 3 ans. Autrement dit, faire barrage à l’extrême-droite c’est bien, mais ça ne dirige pas un pays. Il faudra bien plus que cette posture anti-RN pour répondre aux nombreuses exigences des Français.
Il ne s’agit pas ici de rentrer en profondeur dans le programme de ce « nouveau Front Populaire », ni de débattre de la légitimité à reprendre ce nom, et encore moins de cautionner le programme de repli sur soi du Rassemblement National qui semble au moins aussi irréalisable.
Seulement de remettre en cause la posture manichéenne qu’on peut être tenté d’adopter face à la peur de l’extrême droite. Quand bien même le Rassemblement National serait le Mal, cela ne signifierait pas pour autant que la Gauche est le Bien.Seule une analyse approfondie des programmes, prenant en compte les enjeux à court, mais aussi à moyen et long terme, peut déterminer quel projet est le plus crédible et le plus souhaitable pour notre pays.
L’Histoire est souvent le meilleur outil pour anticiper les futurs évènements, et devant les nombreuses promesses faites par cette NUPES 2.0., on ne peut s’empêcher d’éprouver une sensation désagréable de déjà-vu.
Rémi Kouevi
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