RN au pouvoir : une faillite collective

 

Source : Antlantico.fr

 

Dans 6 jours, le Rassemblement National sera majoritaire à l’Assemblée Nationale.

A qui la faute ?



La faute à la Gauche qui, après avoir miraculeusement réussi à s’unir, n’a pas réussi à faire taire l’épouvantail Jean-Luc Mélenchon, ultra-présent dans la campagne. Celui-ci ne sera sans doute pas Premier ministre, mais ce sera surtout parce que le NFP n’aura sans doute pas de majorité. Le calcul n’a pas été bon, à moins que le candidat de la France Insoumise aux dernières élections présidentielles ne se soit lancé dans une entreprise de sabotage.

 

Dimanche soir encore, c’est lui qui a pris la parole pour la France Insoumise, sourd aux voix qui l’appellent depuis des semaines à se mettre en retrait. Pour une majorité d’électeurs de gauche et du centre, l’hypothèse JLM à Matignon est un repoussoir. Surtout, la pseudo-candidature du chef des Insoumis à la primature a permis au Rassemblement National de réduire le « Nouveau Front Populaire » à Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise. « Vous avez le choix entre Mélenchon, Attal et moi », c’est ce que Jordan Bardella s’est évertué à dire durant la campagne, et on l’imagine jubiler à chaque prise de parole de l’Insoumis crédibilisant son hypothèse.

 

Une gauche qui manque cruellement d’incarnation, comme on a pu le voir lors des débats où Jordan Bardella et Gabriel Attal s’affirmaient tandis que les représentants du NFP se succédaient, sans être mauvais, mais sans que l’on comprenne quelle ligne allait réellement l’emporter s’ils parvenaient à obtenir une majorité. Il aurait fallu trouver un nom capable de rassembler. François Ruffin, à l’initiative de ce « Front Populaire », mais en ballotage dans sa circonscription de la Somme, aurait pu l’être, si ses positions très incisives à l’égard de Jean-Luc Mélenchon et de la gestion du parti LFI ne l’avaient pas coupé de ce qui sera à n’en pas douter le plus grand groupe au sein du NFP dans la future Assemblée. Finalement, ce ne sera personne et les partis de gauche paient peut-être leur incapacité à s’allier jusqu’au bout, c’est-à-dire se mette d’accord sur un nom qui porterait leur voix.

 

Une gauche qui, dans un accès de peur panique de l’extrême-droite, a jugé bon de s’allier avec des partis insortables, dont le NPA de Philippe Poutou, qui applaudissait les massacres du 7 octobre.

 

Une gauche qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de régler les différends internes en « purgeant » ceux qui avaient osé exprimer des divergences avec la ligne du chef. Indigne du moment, indigne d’une coalition visant à réformer la démocratie française. 

 

Une gauche qui a investi des candidats fichés S, d’autres qui ont flirté avec les outrances antisémites. On imagine facilement l’ampleur du malaise de la candidate du camp macroniste dans la première circonscription du Vaucluse, Malika di Fraja. Eliminée au premier tour malgré un score de 16%, elle doit maintenant se positionner entre le candidat investi par la France Insoumise, Raphaël Arnault, fiché S et militant antifasciste déjà condamné pour violences en réunion, et la candidate RN locale Catherine Jaouen. L’adage « voter pour le moins pire » s’est rarement appliqué avec autant d’exactitude.

 

En somme, le « Nouveau Front Populaire » n’aura pas été digne de son prédécesseur, et ne survivra probablement pas au second tour. Les différentes nuances de gauche reprendront leurs distances, ne s’alliant que pour s’opposer aux mesures du RN, puisque c’est dans ce seul registre qu’elles ont prouvé être capables de s’unir. La seule chance de la gauche en 2027, c’est une inversion des rapports de force en son sein, au profit d’une ligne social-démocrate capable de réunir un camp républicain face à l’extrême-droite. Mais cela est une autre question.

 

La faute à Emmanuel Macron évidemment, joueur de poker accro à l’incertitude, qui a misé le destin de la France alors qu’il avait en main une paire de deux. Un suicide politique incompréhensible. Jusqu’au bout, Macron aura joué le Charles de Gaulle, mais il n’est pas dit qu’il connaisse la même postérité (sans trop se mouiller). 

 

On peut lui accorder qu’il n’est pas le seul à avoir joué avec l’extrême-droite pour se maintenir au pouvoir, il n’a fait que perpétuer une longue tradition française entamée en 1986 par François Mitterrand. Mais quand le Président qui avait juré qu’il ferait tout pour faire disparaître les extrêmes offre un pont d’or vers le pouvoir au Rassemblement National en dissolvant l’Assemblée le jour de sa plus grande victoire électorale, forcément, ça passe mal. Et les déclarations qui ont suivi n’ont rien arrangé. Après le sempiternel « moi ou le chaos », le « moi ou la guerre civile » n’a pas été très bien perçu par les Français - à raison. 

 

Le chef de l’Etat, figure centrale de notre République, est devenu radioactif. Chaque apparition, chaque prise de parole, affaiblit son camp. Emmanuel Macron a semblé, dans la chaude soirée du 9 juin 2024, touché par l’hubris. Pensait-il réellement pouvoir gagner, dans un accès de mégalomanie, coupé du monde réel par sa fonction de monarque républicain ?

 

 Il était jusqu’alors celui à qui tout sourit, le visage de la réussite insolente, qui déjoue tous les pronostics pour se faire élire Président de la République à 39 ans, celui qui devient le premier Président à se faire réélire à l’issue d’un quinquennat. 

 

Il restera sans doute comme celui qui aura laissé les clés du pouvoir au parti de la famille Le Pen, prêt - peut-être -  à sacrifier 3 ans du destin du pays pour viser 2027 avec Edouard Philippe. Un constat d’échec, un renoncement à sa prétendue lutte contre les extrêmes. Le 9 juin, Jupiter a manié la foudre une dernière fois, mais c’est sur l’Olympe qu’elle s’est abattue.

 

La faute à la majorité présidentielle, qui ne sera pas reconduite dimanche, et partira par la petite porte qu’Emmanuel Macron a lui-même ouverte pour elle.  Une majorité sortante qui a voulu créer pendant cette campagne une certaine équivalence entre LFI voire le NFP dans son ensemble, et l’extrême-droite.

 

Ceux qui aujourd’hui refusent de voir que la priorité est au barrage face au RN et son programme mortifère plutôt que de dénoncer un programme commun de la gauche qui peut avoir tous les défauts du monde, mais qui ne s’inscrit pas en dehors du cadre républicain, comme le font les propositions xénophobes et déshumanisantes du Rassemblement National.

 

Ceux qui participent à la perméabilité du Front Républicain auront leur part de responsabilité dans le désastre qui s’annonce. D’autant que la gauche a elle toujours su faire quand elle n’était pas au second tour, c’est d’ailleurs ce qui vaut à Emmanuel Macron d’être à la tête de l’Etat à cette heure.

 

La faute à la droite « républicaine », celle qui se déclarait droite dans ses bottes, mais qui aujourd’hui maintient le flou. Pire, certains Républicains regardent à droite pour le second tour, à l’image de François Xavier Bellamy, tête de liste du parti aux Européennes, qui déclarait qu’il voterait « bien sûr » pour un candidat du RN face à un candidat du NFP au second tour. Un discours qui pourrait presque s’apparenter à une main tendue. Bellamy au gouvernement Bardella d’ici quelques semaines ? Dans le chaos politique que nous vivons, rien n’est inenvisageable.

 

En tout cas, lorsque l’ancien professeur de philosophie déclare dimanche après les résultats qui projetaient une majorité importante au RN, que « le danger qui guette notre pays aujourd'hui, c'est l'extrême gauche », on se dit que la dissolution aura au moins eu le mérite de faire tomber les masques.

 

Pas besoin d’évoquer le traître Éric Ciotti, qui aura vendu son honneur et celui de son parti pour un siège, pour continuer à exister. Lui se félicitera de l’arrivée de Bardella à Matignon. Il convoitera sans doute le ministère de l’Intérieur. Comme le disait le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau, il y a en politique plus que des idées, il y a des valeurs humaines.

 

Et quand on annonce le ralliement de son parti à un parti né d’idées fascistes, antisémites, racistes (on ne le rappellera jamais assez) et qui véhicule ces thèses dans la société française depuis plus de 50 sans, on a au moins la décence de prévenir les autres membres de son parti. Ou alors on a encore un peu de honte, et on se cache, on balance la nouvelle sur un plateau télé, avant de se terrer dans son QG et de fermer le siège de son parti à double-tour. Éric Ciotti a fait son choix. Voilà le genre de personnes que nous pourrions retrouver demain dans notre gouvernement.

 

Il est toujours difficile de mettre le peuple en accusation, lui qui a toujours raison en démocratie. Mais quand l’incompétence saute aux yeux à ce point, quand les candidats aux positions misogynes, racistes, antisémites voire nazies (!) se multiplient, quand les mesures sociales disparaissent au fur et à mesure de la campagne, l’arnaque est évidente. Par les résultats de ces élections, on mesure surtout le désespoir de Français qui se sentent abandonnés, sur le pouvoir d’achat ou la sécurité, qui ont l’impression d’avoir tout essayé.

 

 

L’ensemble de la scène politique a sa part de responsabilité dans l’accession au pouvoir du Front National. Et pourtant, vous verrez dans les prochains jours les acteurs de la vie publique se renvoyer la balle, se disculper, s’écharper, s’accuser de cette situation. Comme tout le monde est coupable, tout le monde doit se racheter. Et la meilleure manière de le faire, la seule en fait, c’est de construire un camp républicain. Le camp de tous ceux qui sont attachés à nos valeurs républicaines fondamentales.

 

Une alliance qui ferait fi des désaccords politiques pour un temps, pour gouverner la France durant la période sombre qui s’annonce. Une coalition qui pourrait aller des Insoumis attachés aux valeurs républicaines aux Républicains refusant la compromission avec l’extrême-droite. Ce Front Républicain, qui aurait des divergences majeures sur tous les sujets, pourrait s’appuyer sur un gouvernement technique pour faire marcher le pays, et faire barrage aux députés RN lorsque les fondements de notre démocratie seront mis à mal (et ils le seront). Pas un accord de gouvernement, (impossible) seulement un accord de principe. Lorsque les droits des femmes, les droits des minorités, les droits humains seront mis en cause, il faudra voter comme un seul homme. 

 

Ce camp républicain, demandé par plusieurs personnalités politiques dont la présidente sortante de l’Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet, est-il réalisable ? Aussi compliqué qu’il soit à mettre en œuvre, il apparaît constituer la seule alternative plausible au pire, à savoir l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon.

 

Pour que cela soit possible, pour que le RN ne gouverne pas le pays d’ici une semaine, il faut qu’il n’ait pas une majorité absolue, ni même une majorité avoisinant les 289 députés, car le déficit pourrait être comblé par des membres de la droite avides de gloire ou de portefeuilles ministériels.

Il est peut-être trop tôt pour le dire, mais cette accession au pouvoir de l’extrême-droite semble acter le fait que nous avons failli en tant que société. Comment ne pas voir dans la propagation des idées dangereuses qui s’assument de plus en plus, de haine de l’autre, les symptômes d’une société malade, divisée entre les villes et les campagnes, les riches et les pauvres, polarisée entre deux blocs, qui ne se parlent plus, ne s’écoutent plus. La France est sur le point de s’engouffrer sur un chemin dangereux, pour l’Etat de Droit, pour les libertés individuelles, pour les droits humains, pour la justice sociale, pour nos institutions. Mais aussi hostile soit-il, ce chemin a au moins pour lui le fait de ne jamais avoir été emprunté (du moins par les urnes). 

 

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas encore trop tard. Il le sera dimanche soir. L’Histoire nous montre que la France sait se relever des pires épreuves. Ce dimanche 7 juillet 2024, nous serions bien inspirés de nous relever avant même de tomber.

 

Rémi Kouevi