Voyage à Tokyo, symbole de la transformation japonaise au sortir de la seconde guerre mondiale.

Considéré par de nombreux spécialistes comme l’un des plus grands films de tous les temps, Voyage à Tokyo a été réalisé par Yasujiro Ozu en 1953. Bien que principalement connu pour ses animés, le cinéma japonais ne se sera jamais aussi bien porté que durant la décennie de 1950 avec des réalisateurs tels que Mizoguchi ou Kurosawa en pleine apogée de leur art. Dans leur lignée, Yasujiro Ozu contribuera lui aussi à faire rayonner le cinéma japonais à l’international, par une reconnaissance qui, en revanche, arrivera plus tardivement. Il a fallu en effet attendre 25 ans après sa parution originale pour que Voyage à Tokyo connaisse sa première diffusion dans les salles françaises en 1978, ce qui révèlera Ozu au monde entier. Il ne connaîtra donc jamais de son vivant l’immense succès critique que possèdera son film, considéré comme son ultime chef-d’œuvre. Ce succès critique se voit notamment à travers le classement effectué par le magazine britannique « Sight and Sound » qui tous les 10 ans demande à des critiques internationaux ainsi qu’à des réalisateurs d’élire le plus grand film de l’histoire du cinéma. Voyage à Tokyo est élu 5ème plus grand film de l’histoire lors du classement de 2002 et se hissera sur la plus haute marche du podium lors du classement des réalisateurs de l’année 2012. De par la simplicité limpide de sa mise en scène et la justesse des comédiens, Ozu bouleverse le spectateur avec un épisode de vie ordinaire dans lequel chacun peut se retrouver. Le drame de la vieillesse, l’incompréhension entre générations vont petit à petit montrer le délitement de la famille traditionnelle japonaise et se transformer en réflexion sur l’acceptation de la mort. 



Un film dans la lignée du shomingeki :

 

A la sortie de la seconde guerre mondiale, le genre néoréaliste va de plus en plus s’imposer dans la cinématographie mondiale, comme en témoigne l’âge d’or du cinéma italien avec des films tels que Le voleur de bicyclette ou encore Bellissima. Naruse ainsi qu’Ozu vont être les portes drapeaux de ce mouvement au sein du cinéma japonais avec le développement du shomingeki aux débuts des années 1940, pouvant être traduit comme le « théâtre populaire ». Inscrit dans la tradition néoréaliste, ce genre va axer ses films sur des enjeux ordinaires, dépassant rarement le cadre familial en s’intéressant particulièrement aux scènes de vie quotidienne du citoyen japonais lambda. Loin de l’exubérance d’un film de fiction, le shomingeki s’essaye à la tâche de rendre l’ordinaire extraordinaire, de trouver en chaque situation et instant de vie une raison suffisante pour en faire un film de plusieurs heures. Les réalisateurs préfèrent se consacrer à l’analyse des structures familiales en l’espace de quelques jours plutôt qu’un grand récit épique portant sur l’héroïsme d’un personnage. Cet aspect familial se retrouve très souvent dans la filmographie d’Ozu, et notamment dans Voyage à Tokyo qui va ausculter l’effondrement de la famille traditionnelle japonaise au profit d’une nouvelle société mondialisée. 

Se déroulant 8 ans après la seconde guerre mondiale, le film nous montre un Japon fracturé entre une campagne encore ancrée dans les traditions japonaises et un Tokyo en pleine transformation. En effet, la défaite japonaise en 1945 va permettre aux troupes américaines d’occuper le pays pendant six ans et huit mois. En outre, la guerre froide éclate et les américains tirent profit de cette situation pour « occidentaliser » les mœurs japonaises afin d’en faire des alliés dans une Asie plus propice au bloc soviétique. En résulte alors une réelle fracture géographique et temporelle dans ce nouveau Japon. 

Voyage à Tokyo nous fait suivre l’histoire d’un voyage à priori banal d’un couple de retraité provinciaux se rendant à Tokyo le temps d’une semaine afin de revoir leurs enfants après de longs mois, de longues années d’absence. Profitant de l’industrialisation du pays avec la démocratisation des modes de transport tel que le train, le couple va enfin pouvoir découvrir la capitale japonaise. Mais très vite la présence des parents provoquera une sorte de malaise au sein de la famille avec l’impression que leur arrivée dérange plus qu’autre chose leurs enfants en proies à leurs activités professionnelles.



Une sobriété de la mise en scène rendant ce film universel :

Suivant le courant du Shomingeki, Ozu fait de ses dialogues et du relationnel entre les personnages le fait majeur de ce film. Il choisit d’adopter la sobriété dans sa mise en scène en effectuant de nombreux plans fixes permettant une totale immersion au sein de la famille, ou encore par l’absence d’exubérance en termes de paysage avec une caméra se concentrant principalement sur les personnages à l’intérieur de lieux donnés. De par cette absence de surplus, le spectateur peut alors entièrement se focaliser sur les avancées narratives et relationnelles de la famille. Cette sobriété va également être une force pour l’universalité de ce film. Le thème familial est évocateur pour tout spectateur. En effet, chacun a une représentation très personnelle de ce qu’est la famille. Cela permet donc de s’adresser au plus grand nombre malgré le fait que ce soit un film de nationalité japonaise, tourné en noir et blanc à une époque paraissant lointaine. Des problématiques familiales récurrentes sont abordées, comme des attentes vis-à-vis des enfants parfois beaucoup trop élevées ou encore des problèmes de communication entre générations empêchant de régler les incompréhensions entre les membres familiaux. 

Tout au long du film une mélancolie globale se fait ressentir avec un sentiment funèbre grossissant au fur et à mesure de son avancée. L’idée de l’acceptation de la mort comme faisant partie intégrante du cycle de la vie se retrouve et elle est matérialisée notamment par la construction cyclique de l’œuvre. Ce sentiment mélancolique peut être perçu, et il est accentué par l’absence de la jovialité et de l’innocence enfantine. En effet, la joie de vivre liée aux enfants ne se fait pas ressentir ici de par leur faible présence à l’écran, jusqu’à leur disparition complète du cadre narratif. Ozu laisse donc le champ d’action à la complète disposition des adultes avec tous les problèmes et difficultés liés à ce statut, renforçant ce sentiment mélancolique lié à l’observation d’une famille en proie à une certaine difficulté de compréhension.

De par son universalité, les thématiques abordées ainsi que la justesse d’une mise en scène réfléchie accompagnée d’un brillant acting, Voyage à Tokyo est considéré comme l’un des plus grands films du cinéma et est incontestablement un classique à voir pour tout amateur de cinéma. 

 

Gabin Nové-Josserand

 

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