Le consentement : une dénonciation de la culture du viol adaptée au cinéma 

 

 Crédit : Julie Trannoy

 

Réalisé par Vanessa Filho, Le Consentement est sorti le 11 octobre 2023 au cinéma. Film dramatique, c'est une adaptation du livre autobiographique de Vanessa Springora, du même titre.

 

Dans les années 80, Vanessa (jouée par Kim Higelin) vit seule avec sa mère célibataire (Laetitia Casta) et se réfugie dans la lecture pour combler le vide d'un père absent. Elle a treize ans lorsqu'elle rencontre Gabriel Matzneff ( joué par Jean Paul Rouve), grand écrivain sulfureux d'une cinquantaine d'années.  S’ensuit une relation d'emprise et d'abus sexuels entre le célèbre auteur et la jeune fille. 

 

Pourquoi l'adaptation cinématographique du livre Le Consentement était-elle nécessaire ?

 

Tout d'abord parce qu'il est factuel.

 

S’il est une adaptation fidèle du livre de Vanessa Springora, il n'en demeure pas moins une œuvre à part entière, qui sait proposer une nouvelle perception de ce récit. Vanessa Springora le dit elle-même, « le film apporte quelque chose que les mots n'ont pas pu atteindre ». Il expose avec violence la réalité de la relation entre Vanessa et Gabriel Matzneff. Il ne cherche pas à la romancer : à l'instar de Lolita de Vladimir Nabokov (1955) , il relate chronologiquement l'emprise sentimentale entre un adulte et une enfant. Mais ce qui fait sa force, c’est qu’il n’est pas équivoque. En revanche, Lolita pouvait sembler parfois ambiguë parce que le livre se focalise sur le point de vue de l'agresseur en attisant presque une forme de pitié.  Le Consentement, au contraire, garde une position claire : ce qu'il aborde sont les faits et les dommages causés par cette relation toxique que la victime subit, notamment les séquelles psychologiques qui en découlent. Alors, le film n'est pas des plus agréables à regarder, et sans doute qu'il ne fait pas partie des films à visionner en famille, mais il apporte une perception nécessaire de la notion d'inceste et d'agression sexuelle. La relation entretenue entre Matzneff et Vanessa est dérangeante et démontre bien de l'emprise de Matzneff sur la jeune fille.

 

Parce que Jean Paul Rouve marque les esprits. 

 

L'acteur signe une performance cinématographique impressionnante en proposant un Matzneff conforme au vrai, glaçant et terrifiant. Désormais, aucune complaisance n'est tolérée, la vision de Matzneff demeure être celle d'un monstre sans scrupule plutôt que celle d'un écrivain de renom. Il est représenté comme imbu de sa personne et manipulateur. Tout au long du film, l'écrivain se dédouane en décrivant la relation qu'il entretient avec Vanessa comme une relation amoureuse, passionnelle et passionnée. Il se plaît à romantiser ce qui ne devrait pas l'être : le viol. Cela lui permet d'accéder à une position poétique de personnage romanesque amoureux de l'amour. Il ne se remet évidemment pas en question : il est un séducteur. Mais le film le montre sous sa véritable forme de pédo-criminel,  pervers narcissique dangereux et méprisable.

 

Parce que l'adapter au cinéma est symbolique. 

 

C'est dans un contexte post Me too, que Le Consentement s'inscrit. Il offre des images chocs, il est brutal, écoeurant et à la fois terriblement juste. Alors que la complaisance à l'égard des violences sexuelles et de l'hypersexualisation des jeunes filles est encore un sujet brulant, le film déclare à l'entièreté du monde du cinéma que la culture du viol, de l'inceste et la complaisance à l'égard des agresseurs n'est plus acceptable aujourd'hui. De plus, il faut rappeler que les faits se sont déroulés dans les années 80 mais que le film est sorti en 2023 !

 

Or, rappelons qu’en 2020, lors de la célèbre Cérémonie des Césars, Polanski (célèbre réalisateur accusé de viol par de nombreuses femmes) est décrié par quelques actrices, et notamment Adèle Haenel, pour avoir gagné le César du meilleur réalisateur alors même qu’il était accusé de viol par douze femmes, dont dix d’entres elles étaient mineurs au moment des faits . Si cette cérémonie restera une soirée électrique et révélatrice pour le cinéma français, elle a peut être permis d’entrevoir, dorénavant, le cinéma comme un instrument libérateur d’un abus sexuel comme peut en témoigner Le Consentement. Enfin, aujourd’hui, le cinéma punit fermement ces abus sexuels puisque rappelons que depuis cette année, la Cérémonie des Césars a revu ses critères de participation et il sera impossible aux acteurs accusés d'agression sexuelle d'y participer. Sofiane Bennacer, l'acteur du film Les Amandiers présenté lors de la dernière cérémonie, n’avait donc pu participer à cette dernière en raison d'une enquête pour des allégations de viol. 

 

Parce qu'il dénonce la culture du viol et de l’inceste. 

 

L'inceste, selon la définition de l'Association internationale des victimes de l'inceste (AIVI) concerne la « famille de sang et la famille élargie, ainsi que la famille par adoption. Mais le lien familial est avant tout pour la victime un lien de proximité, d'autorité, de confiance , de dépendance et d'amour. » . La relation entre Vanessa et Matzneff est donc de nature incestueuse : leur lien mêle dépendance, autorité et amour. Vanessa souffre de l'absence de son père, et elle retrouve chez Matzneff une affection paternelle qu’elle ne connaissait pas. Ce dernier en profite pour élargir son emprise sur elle. Il apparaît ainsi nécessaire de formuler leur relation de la sorte, afin que la responsabilité de Vanessa dans cette affaire et des victimes en général ne soit plus mise en cause. 

 

Elle était une enfant, dépendante et dominée  par un homme éhonté qui plaçait l’abus sexuel sous le prisme de l'amour. Il a pris l'ascendant sur la jeune fille, en jouant sur son âge, sa notoriété et sa position sociale. En effet, il est un grand écrivain renommé, admiré de tous. Elle est une jeune fille qui vit seule avec sa mère et qui a encore tout à prouver. Le film expose les mécanismes classiques de l'inceste, de l'emprise d'un pédo-criminel qui se traduisent par une confusion chez l’enfant entre la domination et l'amour. Il y a un tel déséquilibre de pouvoir que la notion de consentement n'est même pas envisageable : le dominant a l'ascendant. C'est chez Matzneff qu'elle vit, c'est lui l'artiste, l'intellectuel, le talentueux, l'adulte. En quête de reconnaissance, c'est sur l'opinion de Matzneff que sa perception d'elle-même repose. Alors il déploie son narratif, classique du pervers narcissique sexuel en lui faisant comprendre que lui seul, sait qui elle est vraiment. Ainsi, sa parole est suprême et Vanessa s'y soumet. 

 

Leurs rapports sexuels ne sont rien d'autres que de l'ordre du viol. Il lui laisse penser qu'elle a le choix, que rien ne l'oblige à le suivre, à dormir avec lui. Mais c'est sur la nature de leur relation et sur la redevabilité  que Matzneff s'appuie : Vanessa éprouve une totale confiance envers lui, et se sent redevable envers cet homme qui lui offre tant: de la reconnaissance, de l’attention. C'est cette notion de redevabilité, très fréquente dans les relations de nature toxiques et dans les agressions sexuelles, qui fait comprendre aux victimes que le consentement est une notion complexe, non binaire. Mais formellement, consentir, ce n'est pas seulement dire oui. C'est dire oui en étant soumis à aucune autre forme de domination, de persuasion ou d'influence. 

 

Ce qui paraît d'autant plus scandaleux est le fait que l'entourage de Springora dans le film se complait dans cette culture de l'inceste. Seuls les enfants semblent s'insurger, s'étonner de ce cinquantenaire qui rôde autour du collège. Les adultes se taisent, préfèrent en rire. Matzneff est un cavalier, séducteur de jeunes filles. Ce phénomène témoigne du fait qu’il est plus simple d’acquiescer plutôt que de remettre toutes les mœurs d'une société en question : Pourquoi un homme de 50 ans s'intéresse-t-il a des enfants ? Cette complaisance marquée socialement, qui choque à l'écran, est en fait récurrente dans les histoires d'inceste et d'agression sexuelle. Elle fait partie du mécanisme de cette culture du viol et de l'inceste. En se taisant, l'entourage est complice et entretient cette machine infernale. Constater que la mère de Vanessa ne s'oppose pas à la relation paraît incompréhensible et pourtant cette attitude n'est pas inhabituelle. Matzneff est puissant, elle pense ne pas faire le poids face à un homme admiré de tous. Elle accepte par conformisme et est aussi dans l’illusion d’une histoire d’amour.

 

Parce qu'il permet un véritable tournant dans l'impunité des agresseurs

 

Gabriel Matzneff voit sa réputation se détruire depuis la publication du livre de Vanessa Springora. Avant cela, même si ses agressions sexuelles étaient de notoriété publique, il recevait encore de nombreux prix pour le récompenser de son travail : le prix Amic de l'académie française en 2009 et le prix Renaudot essai en 2013.

 

La sortie du film dans les salles de cinéma permet une visibilité d'autant plus étendue, qui finit d'achever l'ancienne réputation romanesque de l'écrivain. Aujourd'hui son art n'est plus récompensé,  ce sont ses agressions sexuelles qui sont dénoncées. Il est désormais considéré comme pédo-criminel auprès du grand public, sa réputation est donc détruite à jamais. Mais il est important de souligner qu'en réalité, peu d'agresseurs sexuels (qu'ils soient des personnalités publiques ou non) voient leur image ternir à ce point. Alors que la parole des victimes est systématiquement remise en cause, l'indulgence à l'égard du violeur demeure. L'enquête de victimisation de l'INSEE, parue en 2020 déclarait que seulement 0,6 % des viols et tentatives de viol avaient donné lieu à une condamnation. Concernant les viols pour lesquels il y a eu plainte à la police, seulement 14,7% avaient donné lieu à une peine.

 

Ainsi le chemin vers la libération de la parole sur les agressions sexuelles reste encore complexe, et ce sont les films comme Le Consentement qui permettent de tendre progressivement vers celle-ci. Dernièrement, une tendance Tik Tok est sortie dont le but est de se filmer avant et après la séance pour rendre compte du malaise du film, avec en fond sonore la voix de l'écrivain déchu, extraite de la bande-annonce. Cette dernière n’est pas sans conséquence puisque les entrées pour le film ont augmenté de 39%. Le chemin vers la libération de la parole réside peut-être là : utiliser les médias pour inciter le jeune public à aller voir le film afin de le sensibiliser et de dénoncer les actes pédophiles en libérant la parole !

 

Joséphine Charvin et Césarine Sehier Bouquerel 

Évaluation: 4.5 étoiles
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