La famille : première cause de traumatisme ? Faut-il la supprimer ?

 

— Suzanne Tucker / Shutterstock.com

 

Pour la bonne compréhension de cet article, il est fortement recommandé de lire l’article « Qu’est-ce qu’un traumatisme psychique ? » .

 

Je rappelle que d’après le CAMH, nous pouvons définir un traumatisme comme « une réaction émotive persistante qui fait souvent suite à un événement extrêmement éprouvant de la vie ». Un traumatisme est multifactoriel et sa source peut-être très large. Et pourtant, il semble bien que certains environnements et situations sont plus propices à générer un traumatisme chez un individu l’ayant vécu. Entre violence psychologique, physique, sexuelle et intimidation, ne serait-ce pas des situations récurrentes au sein d’une famille ? 

 

La famille, serait-elle la première cause de traumatisme psychique ? Serait-il nécessaire de supprimer la famille ?

 

Défaillances de la famille selon Gérard Decherf 

 

               La famille est un modèle très ancré dans notre société, et qui sous-entend dans la majorité des cas, un père, une mère et des enfants. Bien sûr, il existe bien d’autres formes de famille comme monoparentale ou homoparentale qui fonctionne tout aussi bien. L’objectif premier de la famille est de faire de l’enfant un individu construit et autonome, qui pourra par exemple ré-appliquer les mêmes schémas sur sa propre famille, ou faire le choix d’un tout autre mode de vie. Cependant, les « familles idéales » sont quasiment inexistantes, et chaque famille rencontre des problèmes qui auront plus ou moins de conséquences sur les relations entre ses membres. 

 

Selon Gérard Decherf, un des pionner de la théorisation de la psychanalyse familiale, la famille a comme objectif l’organisation de vie, c’est-à-dire l’apprentissage à un enfant de comment vivre convenablement. Ce processus passe par différents phénomènes. Les citer est nécessaire pour comprendre notre sujet, mais nous ne rentrerons pas dans une analyse précise de ces derniers*.

 

On retrouve dans un premier temps la fusion primaire, puis la désillusion progressive et enfin l’accès à l’individualisation. Ces phases constituent les étapes que traversent les parents et leur enfant durant son développement. Cependant, en cas de défaillance ou de manquements à l’objectif d’organisation de vie au cours d’une de ces 3 étapes, la famille passe dans une organisation de survie. C’est-à-dire, que l’enfant n’aura plus non seulement à apprendre à vivre, mais à survivre. Ainsi, il sera confronté d’après l’auteur, soit à l’abandon, soit à la surprotection, soit à l’alternance entre surprotection et abandon de ses parents. Ce qui va venir mettre en difficulté l’enfant et être facteur de traumatisme. 

 

*Pour plus d’informations, je vous redirige vers l’article « Qu’est-ce qu’un traumatisme psychique ? » 

 

  1. La surprotection : 

Dans le cas de la surprotection, le parent ne souhaite pas sortir de la phase de la fusion infantile avec sa progéniture. Souvent, le parent se sent coupable d’un événement passé en lien direct ou non avec son enfant, ce qui le mène à le surprotéger. Dans d’autres cas, il peut être simplement intrusif. Ces parents vont venir vivre par procuration et souvent baser tous leurs espoirs d’atteindre le bonheur à travers leurs enfants. Pour finir, certains parents sont « réparateurs », ils agissent pour les mêmes raisons qu’un parent coupable, mais ils fonctionnent dans une problématique narcissique. En effet, la raison de leur surprotection provient d'événements de leur passé les concernant, ce qui les pousse à vouloir les réparer, mais à travers leur relation avec leur enfant. Par exemple, une mère très surprotectrice avec son enfant qui cherche à combler l’abandon qu’elle a pu vivre avec ses parents est une mère « réparatrice ». 

 

  1. La sous-protection/abandon :

Au contraire, le phénomène de sous-protection,  voire de l’abandon, se caractérise selon l’auteur par différents facteurs. Par exemple, des parents en dépression ou souffrant de pathologie mentale sont plus à même de ne pas apporter le sentiment de protection nécessaire à leurs enfants qui pourront même, dans certains cas, se mettre à protéger eux-mêmes leurs parents.

 

On peut aussi  citer l’absence parentale comme facteur contribuant au phénomène de sous-protection, après un décès par exemple. Enfin, Gérard Decherf explique que les cas de violences entre les parents peuvent mener à une destruction des liens entre un parent et ses enfants. Nous pouvons imaginer un père qui viendra liguer ses enfants contre sa femme qu’il bat régulièrement pour lui faire davantage de mal. 

 

  1. L’alternance entre sous-protection et surprotection :

Pour finir, le psychanalyste évoque un dernier phénomène qui est celui de l’alternance entre sous-protection et surprotection. Dans ce cas-là, les soins parentaux vont être discontinus, voire contradictoires. Ce sont souvent des parents épuisés par une vigilance constante qui vont tout abandonner pendant une certaine durée et mettre en péril la protection de l’enfant. 

 

En bref, peu importe le type de défaillance qu’un enfant peut vivre, il est très rare qu’elle ne soit pas lourde de conséquence sur ce dernier. Etant donné que ces situations peuvent constituer une menace à l’intégrité de l’enfant, le traumatisme est bien plus probable. En effet, se faire abandonner ou surprotéger durant son enfance ne permettra pas à l’enfant d’évoluer dans un environnement sain. L’enfant présentera des troubles spécifiques plus ou moins importants. Entre hypervigilance, hypersensibilité, une prévalence des angoisses d’existence, etc. 

 

De plus, il est important de noter que ce genre de situations est loin d’être rare. Car oui, on estime qu’un enfant français sur 10 est victime d’inceste, c’est à peu près 2 à 3 enfants par classe d’après le gouvernement. Ce genre d’abus est extrêmement destructeur pour l’enfant en plein développement qui peut perdre tout estime de soi-même, développer des troubles, et tout simplement mettre en danger la santé physique et psychique de la victime. C’est un sujet encore trop peu connu et pas assez signalé. De plus, les abus sexuels intra-familiaux ajoutent une certaine pression sur l’enfant qui aura comme difficulté de plus son agresseur qui fait partie de son entourage proche. 

 

D’après l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE), près de 20 % des mineurs sont victimes et sont donc pris en charge par ce même organisme en France. C’est un chiffre alarmant qui fait l’état de la situation. La famille peut être un cercle fermé rempli de secrets qui peuvent détruire un individu, même si son objectif initial est de garantir un environnement sain aux enfants.

 

La transmission transgénérationnelle de traumatismes

 

                Les secrets de famille sont courants et sont souvent vu comme anodins. Et pourtant, ils peuvent être à l’origine d’une souffrance s’étalant sur plusieurs générations. En effet, les jeunes enfants sont comme des éponges, ils captent les souffrances dites ou non dites de leurs parents.

 

La notion de transfert de traumatisme provient de Konrad Stettbacher, auteur et psychothérapeute qui décrit le phénomène par une simple phrase : « Quand le phénomène n’est pas digéré, quand il n’est pas mis en mots, ce sont les attitudes qui les suintent ». Ainsi, lorsqu’un enfant est confronté à des réactions contradictoires de ses parents, suite à un traumatisme pas accepté, il va chercher à le comprendre. Cependant, son seul moyen de le comprendre sera de l’intérioriser en reproduisant ses réactions. L’enfant va donc se retrouver traumatisé à son tour. 

 

Mais tout se complique quand l’enfant n’est pas tenu au courant du passé de son parent. En effet, la transmission du traumatisme à lieu, lorsque l’enfant n’a pas encore tout à fait conscience de ce genre de chose. Ainsi, l’enfant pourra avoir des séquelles à long terme, se matérialisant par des souffrances psychiques et morales, sans jamais comprendre la source de son malheur.

 

Le problème est que tant que la parole n’est pas libérée, le traumatisme peut se transmettre de génération en génération sans jamais que le secret ne soit révélé; ou pire, qu’il soit oublié suite aux décès des générateurs du traumatisme. L’ouvrage Le Secret de Philippe Grimbert dépeint de manière très exacte quelles conséquences peut avoir ce genre de secret de famille.

 

Avec toutes ces conséquences néfastes, ne serait-ce pas plus sain de supprimer la famille ?

 

         Michel Fize est un sociologue français et ancien chercheur au CNRS qui nous fait part de sa théorie sur la fin de la famille dans son ouvrage A mort la famille ! Plaidoyer pour l’enfant

Malgré la montée des libertés, de l’individualisation certaine de la société et de nombreux discours anti-dominations, la famille reste l’incarnation numéro 1 de l’autorité qu’exercent les anciennes générations sur les nouvelles. 

 

D’après l’ancien historien, la famille tyrannique, isolante et patriarcale se fait vieille, il est temps de questionner celle qui nous domine depuis des siècles. En effet, la famille biparentale est instable, elle se base sur les sentiments du couple qui sont loin de garantir un environnement sain et égalitaire au sein de la famille. De plus, elle vient infantiliser enfant et adolescent qui n’ont pas le droit à la révolte ou à l’intimité, des droits pourtant fondamentaux pour un adulte.

 

Pour Michel Fize, les jeunes exprimant leur volonté d’appliquer les mêmes schémas familiaux que leurs parents seraient seulement des victimes du système familial. 

 

Ainsi, il propose comme solution des transferts éducatifs. Ce seraient des lieux où les jeunes pourraient se reposer de leur famille en restant encadrés par des éducateurs. La famille de demain serait une famille de réseau, avec des parents qui acceptent de confier leurs enfants à des adultes de proximité afin d’éviter cet enfermement de la famille. 

 

La théorie de Michel Fize est très intéressante et soulève beaucoup de problèmes, autres que la création de traumatisme, qui est récurrent au sein de la famille. Cependant, il semble plus acceptable de conserver cette forme de famille, mais de l’ouvrir. La famille n’est pas que bonne à jeter loin de là, quand elle fonctionne correctement l’enfant peut évoluer dans un milieu adapté et riche socialement.

 

Ainsi, ouvrir la famille à d’autres personnes et environnements tout en s’éloignant peut-être de la notion de sang, pourrait être une solution. Malgré tout, il est très important de rester prudent sur l’impact traumatisant que peut avoir la famille et d’avoir conscience que des solutions existent, il est toujours possible de s’en sortir.

 

En cas de besoin, des lignes gratuites et ouvertes à n’importe quel moment sont à votre disposition.

Allô enfance en danger : 119

SOS Amitié pour personnes en détresse psychologique et son entourage : 09 72 39 40 50

 

Lucie François

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